Print Friendly, PDF & Email

La réforme du collège a-t-elle un avenir face à une possible alternance politique ? Fallait-il vraiment faire cette réforme ? Pourquoi est-ce si difficile ? François Dubet, qui publie avec Pierre Merle, à la rentrée « Réformer le collège », expose quelques unes des idées du livre. Il va aussi au-delà..

Votre ouvrage « Réformer le collège » est publié à la rentrée alors que la réforme se met en place. Faut-il y voir une critique de la réforme ?

Non. Ce livre est plutôt favorable à la réforme.

Un point touche directement les enseignants c’est l’article d’Anne Barrère sur la résistance au changement des enseignants. Elle dit qu’il n’y a pas de résistance mais une stratégie des enseignants. Qu’en pensez-vous ?

Ce qu’elle dit est juste. Les enseignants ont le sentiment d’être harcelés par les réformes et de voir leur métier changer. Elle a raison de contester l’expression « résistance au changement ». Personne n’aime changer sa façon de travailler. D’autre part les enseignants ont le sentiment d’une sorte de fébrilité, de directives qui ne produisent jamais d’effets. Elle met bien en évidence le fait que les enseignants font déjà plein de choses que les réformes recommandent. Donc ça crée des sentiments mêlés. Le principal point d’opposition des enseignants, c’est qu’ils souhaitent que les chefs d’établissement restent à distance de leur travail.

Le tableau d’Anne Barrère est donc nuancé. Elle montre notamment qu’à beaucoup d’endroits les intentions de la réforme sont déjà mises en œuvre. Ainsi les enseignants sont ambivalents à l’égard de la réforme.

Changer la place des chefs d’établissement est bien inscrit à l’agenda politique. La droite n’en fait pas mystère en lien avec l’idée d’encourager l’autonomie des établissements. Vous pensez qu’il faut le faire ?

J’y suis favorable personnellement. Il faut renforcer l’autonomie des établissements et la capacité du ministère à évaluer cette autonomie. Je préfère un système qui dit aux établissements « prenez des initiatives et nous verrons si ça marche » plutôt qu’un système qui vise dans les moindres détails à définir la façon de s’y prendre tout en ne faisant pas grand-chose si ça ne marche pas.

Ça ne veut pas dire que je suis pour la concurrence entre établissements ou pour l’idée « qu’il faut des chefs pour faire travailler les professeurs » comme je l’entends à droite. Ces discours ont peu de chances de réussir. Par contre, l’autonomie des établissements on ne pourra pas y échapper.

Elle doit aller jusqu’où ?

Elle ne doit définir ni les programmes ni les masses horaires. Mais elle peut définir les méthodes pédagogiques ou l’annualisation des heures. Aujourd’hui on a des collèges expérimentaux qui ne sortent ni des programmes ni des horaires officiels. On a des élèves à qui on doit tant d’heures de français mais cela ne veut pas dire tant d’heures avec un professeur chaque semaine. Ils peuvent avoir des classes ensemble ou dédoublées ou des horaires différents chaque semestre. Mais l’autonomie ne doit définir ni les objectifs ni les programmes.

Le système actuel est bureaucratique mais en même temps il ne vérifie pas vraiment ce que font les établissements.

Quelle autre difficulté à réformer voyez-vous ?

Les acteurs de l’école, parents et enseignants, ne sont pas forcément favorables à des politiques égalitaires. C’est ce qu’on voit avec la réforme du collège. On défend toujours les classes et les filières spéciales car la tradition scolaire reste très sélective.

Les gens sont inquiets s’ils voient que leurs enfants ou leurs élèves ne bénéficient plus d’un petit privilège de langue ou d’horaire. Il y a aussi en France de façon quasi pathologique une nostalgie de l’école d’autrefois. A chaque réforme une armée d’éditorialistes explique qu’on va détruire la culture et la civilisation. Il y a toujours une peur obsessionnelle du nivellement par le bas.

Aussi, quand un ministre veut réformer, se heurte-t-il aux syndicats et à des mouvements d’opinion qui voient en toute réforme une catastrophe. On en a eu un bel exemple avec l’histoire de la suppression de l’accent circonflexe. Notre ouvrage montre que les pays qui s’en tirent sont pourtant ceux qui ont été capables de se réformer sans faire de bruit.

La réforme du collège devait-elle être faite ? Devait-on réformer tous les collèges ou simplement assurer une égalité d’offre entre tous les collèges, ce qui est loin d’être le cas actuellement ? On sait par exemple que les collèges populaires ont peu d’enseignants titulaires chevronnés et moins d’heures d’enseignement.

On vit dans une hypocrisie en faisant croire que toutes les écoles se valent. C’est une responsabilité collective. Car quand on prétend prendre des moyens aux lycées surdotés pour les attribuer aux collèges sous dotés on a une réaction vive. Si on dit « je vais changer le mode d’affectation des enseignants pour qu’on n’ait pas que des débutants dans les collèges de banlieue », on a aussi des mouvements de protestation très importants. Cette inégalité de l’offre va au-delà de la volonté politique.

Ce n’est pourtant que de la gestion…

Mais si ma gestion des carrières c’est démarrer dans un collège de banlieue et terminer en centre ville, je dote mieux le collège de centre ville. Si je touche à ce modèle, j’ai une armée de syndicats sur le dos. Il faut le rappeler. Pour lutter contre cela il faudrait des modes de rétribution plus favorables dans les établissements populaires, ce qui serait interprété comme une remise en cause de l’égalité des fonctionnaires. Malheur au premier qui toucherait à cela…

Je pense personnellement qu’il fallait faire cette réforme. Il faut arrêter de tricher dans les établissements en créant des classes où on regroupe les bons élèves sous prétexte de langue ou de classe européenne.

Avoir une partie de l’enseignement qui est commun et une partie différenciée est une bonne idée. Ce qui m’interroge, c’est que cette réforme modeste crée un émoi qui occupe la scène politique avec une violence des attaques invraisemblable.

Je suis donc favorable à cette réforme qui fait aussi que l’aide aux élèves peut entrer dans la classe et non être externalisée comme le remarque Dominique Glasman dans l’ouvrage.

Vous concluez en disant que ce qu’on peut attendre d’une réforme c’est de dire vraiment ce qu’on attend du collège. Que voulez-vous dire ?

L’espèce de tragédie française du collège unique, c’est qu’on a défini le collège comme le premier cycle du lycée bourgeois tout en disant en même temps que c’est le collège pour tous, la prolongation de l’élémentaire. Or dire ces deux choses à la fois c’est intenable.

Les choses se sont quand même beaucoup arrangées. Quand j’ai commencé à regarder le collège du temps de la réforme Haby (réforme qui a créé le collège unique NDLR), on mettait en place de façon systématique des classes de niveau et des classes de relégation. On voyait des professeurs certifiés qui se demandaient ce qu’ils faisaient là. On avait créé un système invraisemblable.

Mais aujourd’hui le collège reste défini par cette ambiguïté. Si vous dites je vise le socle commun car c’est le prolongement de l’école élémentaire, tout le monde dit que ça fait baisser le niveau. Pourtant si tous les élèves français atteignaient le niveau du socle commun on serait devant la Finlande ou le Japon dans les enquêtes internationales.

Le collège français est ambivalent. Quand il crée des inégalités on le lui reproche. Quand il a le souci des élèves faibles on lui reproche aussi . Il y a une contradiction initiale qui n’a jamais été tranchée.

La réforme est mise en place à la rentrée mais la droite annonce qu’elle va la supprimer. Le livre est une réponse à ce risque ?

Non. J’ai vu trois projets de la droite très contrastés. Le projet Juppé ne vise pas à revenir sur le réforme. Celui de Lemaire est le plus incroyablement réactionnaire avec un examen d’entrée en 6ème. Le projet Sarkozy est plutôt autoritaire et sélectif. Donc on est plutôt face à de la gesticulation politique. Jusque là on n’a jamais abrogé de réforme.

La réforme la plus sérieuse de la droite ce sera le renforcement du rôle des chefs d’établissement et le recrutement des enseignants par les établissements.

Le livre est-il un appel à poursuivre la réforme du collège ?

Ce n’est pas un livre politique. Mais il dit qu’on ne peut pas continuer à dire que 20% des élèves sortent de l’école sans savoir lire, que les inégalités augmentent dans l’école, que le climat scolaire n’est pas bon par rapport aux autres pays, que les professeurs ont le sentiment d’être maltraités, et conclure en disant « ne faisons rien ». Les auteurs ont une conviction commune qu’on ne peut pas éternellement regarder un système se défaire. On a une sensibilité commune pour essayer de réussir des réformes.

Propos recueillis par François Jarraud

François Dubet, Pierre Merle, Réformer le collège, PUF.

Sortie le 31 août.