Print Friendly, PDF & Email

Alors que revient dans le débat l’idée d’un pilotage du système éducatif par les preuves, Samir Barbana, Sébastien Dellisse, Xavier Dumay, Vincent Dupriez étudient dans un Cahier du Girsef (Université catholique de Louvain) ce qui se passe concrètement quand celui ci se met en place. Comment les établissements s’adaptent-ils au pilotage par les résultats ? Quels changements s’opèrent ? Cette politique est-elle efficace au regard de ses objectifs ?

L’étude est basée sur des entretiens réalisés dans 3 écoles belges : une école performante pour l’élite, une école qui socialise et une école alternative. Dans ces trois écoles, l’équipe du Girsef observe comment les enseignants s’adaptent aux tests nationaux qui sont mis en place.

Quelle efficacité pour les tests nationaux ?

Les scores aux tests nationaux réduisent-ils l’incertitude sur l’efficacité des enseignants ? « Les scores apparaissent au contraire comme peu représentatifs de l’efficacité des enseignants, mais sont davantage interprétés comme le reflet du type d’élèves que les 3 écoles attirent vers elles », estime l’étude. « Il (le test externe) ne mesure pas grand chose ou plus grand-chose. On arrive à une telle diversité de profils d’élèves. Entre les élèves qui sont ici à l’école C et les élèves qui sont je sais pas, à Seraing ou à Charleroi (villes belges franchement moins favorisées sur le plan socioéconomique), on n’est pas du tout dans le même parcours. Ce ne sont pas des élèves qui ont le même capital culturel », explique un enseignant. C’est dans l’école la plus performante que le test a l’impact l eplus négatif. « Certaines dimensions spécifiques de l’univers symbolique (excellence, sélection, effort, mérite) sont ébranlées depuis que les enseignants ne peuvent plus évaluer les élèves selon les cadres habituels et doivent se baser sur les scores aux tests lors des conseils de classe, ce qui induit un nombre de redoublements moins important… Ce qu’on craint avec le CEB qui est réussi à 95 % c’est que les élèves se disent : « Plus besoin de travailler. Tout le monde réussit. » », dit un professeur.

Des enseignants davantage responsabilisés ?

Le pilotage par les tests responsabilise-t-il les enseignants ? « Les enseignants perçoivent une réduction de la confiance que leur accordent les autorités éducatives depuis l’arrivée des tests. Selon les enseignants, si le Pouvoir central empêche les enseignants d’évaluer leurs élèves en fonction des normes et traditions propres à chaque école, c’est parce que ce Pouvoir n’a pas confiance dans la pertinence de leur évaluation », note l’étude. Cette opposition des enseignants inquiète les parents, plus formalistes, et la confiance de sparents est elle aussi ébranlée.

Le pilotage aligne-t-il les pratiques sur les standards attendus ? Ce que montre l’étude c’est la « digestion » des tests dans les pratiques enseignantes. On finit par enseigner le teste. On l’utilise dans des cours « refait à notre sauce ». Ou alors on l’utilise comme source d’entrainement aux prochains tests ce qui consomme beaucoup de temps d’enseignement.

L’échec du recouplage

En conclusion l’étude montre que le « recouplage », c’est à dire l’alignement des pratiques sur les objectifs de la nouvelle politique éducative reste marginal et limité à quelques enseignants. « Le renforcement de l’État via les tests et les instruments de standardisation est perçu par les acteurs locaux comme une réduction de la confiance qu’a le pouvoir central dans leur capacité à agir en autonomie… Les nouveaux moyens politiques sont bien incorporés (les tests obligatoires sont organisés de manière systématique et rigoureuse), mais les cartes cognitives et les pratiques des membres de l’organisation ne sont que très faiblement structurées par ces nouvelles demandes de l’environnement politique qui ont réussi à pénétrer les murs de l’école. C’est donc bien une implémentation effective, mais rituelle de moyens politiques que notre matériau indique ».

Cahier Girsef 105

Dupriez : Réforme et pouvoir enseignant

L’école à l’épreuve de la performance

Blanquer : l’école à l’épreuve du pragmatisme