Print Friendly, PDF & Email

Mes travaux de recherche me conduisent régulièrement à interroger des enfants qui travaillent au sein de classes où la coopération est une organisation ordinaire. L’une des questions rituelles que je leur pose est celle-ci : ” est-ce que tu ne ressens pas de la honte à aller demander de l’aide à des camarades ?” La réponse est souvent la même, similaire à celle qu’Alexia, 8 ans m’a donnée : ” Non, pas du tout. Ca fait pas la honte parce qu’en fait il y a pas que nous qui demande de l’aide, il y en a plein d’autres. ça fait pas la honte. C’est juste que tu comprends pas l’exercice. ça peut arriver des fois.”

Qu’est-ce qui fait que des enfants, ou des adolescents, soient amenés à une telle confiance en l’autre ? Par ricochet, pourquoi la qualité de ces relations englobe-t-elle également celle avec les enseignants ?

Nous définissons la confiance à l’école comme un sentiment se traduisant par l’absence de peur à manifester ses imperfections et ses manques, notamment en prenant le risque d’exprimer de ce que croit savoir. L’autre est alors conçu comme sécurisant et bientraitant. Dans la relation qui nous unit à lui, on dispose de suffisamment de garanties pour savoir qu’il n’utilisera pas ce que je lui montre de moi (qui peut ne pas très valorisant) pour me mettre en porte-à-faux vis-à-vis de mes pairs ou de mes proches. Nous postulons également que cette confiance en l’autre correspond à un levier pour consolider ou entretenir de la confiance en soi (un sentiment de compétence) ainsi que de l’estime de soi (le fait d’apprécier de vivre avec soi-même).

Plusieurs pistes pédagogiques se cachent derrière la manifestation de cette confiance, que nous estimons construite et méritant un entretien vigilant.

Un espace hors-menace

C’est à Jacques Lévine que nous empruntons cette expression. Elle désigne ce que d’autres désignent comme un cadre contenant, qui se traduit par une matrice de lois dont l’adulte-enseignant est le garant. Ces lois ne sont pas négociées avec les élèves. Elles sont apportées par les adultes qui les expliquent. Sans elles, la démocratie ne peut exister au sein d’un groupe, parce que, justement, leur but est d’assurer chacun de son égal droit à l’expression et au respect. Ces lois gagnent à ne pas être nombreuses puisqu’elles ne concernent que les règles relatives à la sécurité. Par exemple, à l’instar des travaux de Bruno Robbes :

  • On ne se tape pas, on discute : chacun a le droit au respect de son corps
  • On ne se moque pas, les erreurs ne sont pas des fautes : chacun a le droit de se tromper ou d’avoir un avis différent
  • On ne prend pas les affaires d’un autre sans son autorisation: chacun a un droit de propriété
  • On est en classe pour travailler et apprendre : si on ne comprend pas, on demande de l’aide, si on sait, on aide
  • L’enseignant ne travaille pas que pour certains, il doit rester accessible pour tous.

Ces lois peuvent être complétées par des règles de vie qui concernent plus spécifiquement l’organisation de la vie du groupe. A ce titre, elles peuvent être modifiées en cours d’année, en fonction des besoins.

Ainsi donc, en appui sur de telles lois, le groupe peut se former autrement que dans la seule relation à l’enseignant et celui-ci dispose de repères symboliques sur lesquels son autorité peut se construire par le rappel de ce qui est ” inter-dit.”

Une autonomie objectivée

Autoriser des élèves à exercer leur liberté à travers des moments d’autonomie est également une occasion de développer chez eux ce sentiment de confiance. Mais avec la condition de ne pas être trop loin, pour éviter que notre retrait momentanée ne se traduise par une délégation de notre pouvoir auprès des élèves les plus en recherche de l’affirmation d’eux-mêmes (ce qui pourrait avoir des effets de désordre, contraire à ce dont un espace d’apprentissages a besoin).

Par exemple, lors du travail en groupe. L’enseignant a tout intérêt à ne pas être proche des élèves, pour les laisser exprimer leurs idées, les confronter à celles des autres et participer ainsi à l’approfondissement du problème et des savoirs que l’on souhaite leur faire travailler. En même temps, il est nécessaire d’encadrer ces moments d’autonomie par des consignes clairement présentées, par un temps court préalable de réflexion individuelle (pour que chacun ait quelque chose à partager), par des fonctions spécifiques qui balisent les échanges démocratiques (distributeur de parole, référent du temps, référent du calme, porte-parole, …) par un temps de bilan qui permet, si besoin, d’ajuster les façons de travailler en groupe pour que chacun puisse en profiter pleinement.

Une autre occasion de susciter cette autonomie correspond à l’autocorrection des entrainements (ce qui réduit considérablement les temps de correction collective, qui, souvent, se traduisent par beaucoup de passivité intellectuelle chez les élèves). Les élèves disposent librement des ” réponses” aux exercices distribués, ce qui constitue une occasion de les responsabiliser. Chacun a en effet la possibilité de tricher, en surestimant son travail ou en recopiant directement les réponses. L’enseignant ne fait alors que répondre à des demandes individuelles. Son intervention est en revanche nécessaire pour corriger le ” test” qui finalise les entrainements. Il est fort probable que celui qui aura triché (ou effectué avec beaucoup de légèreté son travail d’apprentissage) ne le réussira pas, là où ses camarades plus sérieux pourront passer à autre chose. La conséquence est alors que ce travail devra être repris, ce qui nécessite un temps de travail supplémentaire, qui aurait pu être évité. Ainsi, les élèves s’assurent progressivement des intentions bienveillantes de l’enseignant, présent pour accompagner au mieux les apprentissages de ses élèves. Il n’est pas présent en classe ni pour les piéger, ni pour les empêcher d’apprendre. Des collégiens m’ont plusieurs fois expliqué lors d’entretiens qu’ils ne souhaitaient pas tricher, d’une part parce que c’était une stratégie ” stupide” en termes d’efficacité, d’autre part parce qu’ils ne voulaient pas décevoir la confiance que les enseignants leur manifestaient en les laissant s’autocorriger.

Une évaluation pour les apprentissages

Les pratiques d’évaluation sont également des leviers pour travailler cette confiance. Principalement parce que, au moins jusqu’à la fin du collège, on y attribue des intentions plus orientées vers l’accompagnement de ce que les élèves apprennent que vers leur sélection voire leur progressive relégation. Cela se traduit par le principe dit de la ” boucle évaluative” qui autorise les élèves à reprendre leurs entrainements suite à une évaluation non réussie, notamment en sollicitant des camarades identifiés comme ressources. Sur ce qui est indiqué comme essentiel par l’enseignant, les élèves ne sont pas abandonnés à leur sort s’ils n’y arrivent pas du premier coup. Pour eux, on ne l’oublie pas. Ces apprentissages sont à consolider et, sur le temps scolaire, au même titre que pour d’autres élèves sur d’autres objets de savoirs, on leur donne les moyens, sans traitement individualisé, de travailler sur ces besoins. Pendant des moments prévus à cet effet (par exemple les temps d’accompagnement personnalisé au collège), chacun fait son travail, peut solliciter ou apporter de l’aide. La logique est alors d’entretenir un espace scolaire où il est très facile de disposer d’informations pour progresser facilement, ce qui réduit le travail à faire seul chez soi et optimise ses chances de mieux réussir les évaluations à venir.

A travers un cadre contenant, de l’autonomie encadrée et des évaluations pour les apprentissages, la confiance s’installe grâce au principe de réciprocité : dans un groupe, personne ne fait la loi et tout le monde en a besoin, personne ne dispose d’une liberté infinie et tout le monde en profite pour exister, personne ne sait tout, personne ne sait rien, on s’enrichit en transmettant ce que l’on sait. L’enseignant a ainsi pour rôle d’introduire et de garantir le respect des règles de sécurité, d’enrichir au mieux les espaces d’autonomie pour qu’ils profitent à chacun, de transmettre du savoir sans être le seul à pouvoir le faire. Il transforme ainsi la classe en une communauté apprenante où chacun fait de son mieux, qui pour enseigner, qui pour apprendre, sachant que nul ne pourra dispenser l’autre de ses responsabilités.

S. Connac