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Et si beaucoup d’innovations n’en étaient pas ? Et si les vraies innovations étaient tellement de détail que leur diffusion n’avait plus d’intérêt ? Dans la collection « Mythes et réalités » (Retz éditeur), André Tricot, professeur à l’Espe de Toulouse, passe l’innovation pédagogique au crible des évaluations et de la recherche. Un travail décapant qui attaque les mythes pédagogiques au risque de désespérer les enseignants en début d’année. André Tricot vous avez le droit de faire cela ?

Les utopies démasquées

« J’ai réussi à établir le portrait robot du bon enseignant. Il est innovant : il fait manipuler ses élèves, les fait découvrir par eux-mêmes, il s’appuie sur leur intérêt, les fait travailler en groupe, notamment dans le cadre de projets. Depuis quelques années il inverse sa classe… il est un fervent utilisateur du numérique… Cette vision un peu caricaturale de la pédagogie innovante correspond-elle à une réalité ? Ces innovations sont-elles vraiment nouvelles? Améliorent-elles les apprentissages des élèves ?  » Voilà les questions auxquelles A Tricot se propose de répondre dans un petit livre très savant et en même temps écrit dans un style enlevé.

Mais ne vous y fiez pas ! Mine de rien, André Tricot débroussaille nos utopies pédagogiques au bulldozer. Première idée : manipuler permet de mieux apprendre. Outre que l’idée est ancienne, A Tricot montre que c’est pertinent quand la connaissance à acquérir est un savoir-faire. Quand il s’agit d’élaborer une notion – situation où on aimerait manipuler ! – ça peut devenir hors de portée des élèves.

Pédagogie de projet et découverte

Faut-il faire découvrir les connaissances aux élèves ? Pour A Tricot, cette démarche, elle aussi ancienne, est très exigeante. Il y a un fort risque qu’elle capote avant que l’élève ait acquis le savoir envisagé. Le travail de groupe favorise-t-il l’apprentissage ? A Tricot montre que ça peut augmenter la difficulté de la tâche. Le travail de groupe n’est vraiment intéressant que quand il est indispensable à la tâche à accomplir.

André Tricot analyse encore la pédagogie de projet, un crève-coeur nous dit-il, pour trouver qu’elle engage les élèves mais est très exigeante. Même jugement nuancé sur la classe inversée : c’est une occasion de réfléchir à la complémentarité entre le travail en classe et celui hors de la classe. Préparer avant de venir en cours n’est pas vraiment une innovation.

L’enterrement de l’innovation pédagogique ?

La conclusion d’A Tricot, c’est de dire que les apprentissages scolaires sont bien différents des apprentissages de la vie où le jeu et le plaisir ont toute leur place. « Les apprentissages scolaires sont plus lents.. Ils requièrent de l’attention et de l’engagement. Les innovations depuis plusieurs siècles tentent de réutiliser en classe les moteurs des apprentissages adaptatifs… Tout cela pour augmenter l’intérêt des élèves, leur niveau d’engagement. C’est une bonne idée tant que cela ne se traduit pas par une trop grande augmentation de l’exigence cognitive de la tâche, une pédagogie pour bons élèves ».

Alors faut-il enterrer l’innovation ? Ce sont plutôt les 9 idées générales étudiées qu’André Tricot relativise. Il estime que les vraies innovations ne se situent pas au niveau des grands principes mais à celui de micro réalisations concrètes forcément liées à un contexte précis.

Ces 9 mythes démontés par l’analyse scientifique ne font pas d’ombre aux grandes pensées pédagogiques, qui appartiennent à un autre domaine. Doivent-ils même pousser l’enseignant au traditionalisme ? Certainement pas. C’est à la réflexion et à la création que ce petit livre invite. De là à penser que le prof innovant vaut plus cher que l’innovation…

François Jarraud

André Tricot, L’innovation pédagogique, collection mythes et réalités, Retz. ISBN 978-2-7256-3582-8

Feuilleter l’ouvrage

Cinq questions à André Tricot

Pourquoi publier ce livre en ce moment ? Est-ce parce que le ministre est perçu tantôt comme un innovateur, tantôt comme un conservateur ?

J’ai écrit ce livre avant les élections sans lien avec l’actualité. J’essaye de remettre en cause ce qui me tient à coeur depuis des années. J’ai commencé avec le numérique. Et je poursuis avec l’innovation, qui m’intéresse aussi beaucoup.

Votre livre détruit tout un tas d’idées sympathiques. Voulez vous désespérer les profs ?

Non. J’ai d’abord voulu qu’on arrête de faire passer pour des innovations des démarches pédagogiques qui sont souvent anciennes. Et j’ai voulu aussi dire que l’innovation pédagogique est l’objet d’études et de travaux de recherche et qu’il faut la confronter à cela.

Comme les résultats sont rarement au rendez-vous, faut il en finir avec l’innovation ?

L’innovation pédagogique est nécessaire. Mais quand elle existe, elle est beaucoup plus ponctuelle et précise que les grandes idées que j’étudie dans le livre comme « s’appuyer sur l’intérêt des élèves améliore leur apprentissage » ou « les élèves apprennent mieux en groupe ». Je dis cela même si je crois en certaines de ces idées, la pédagogie de projet par exemple. Par exemple , une enseignante a l’idée de faire faire à ses élèves les dictées en binôme et ça donne des résultats. Voilà une innovation précise.

Donc l’innovation c’est rarement généralisable ?

C’est précis. Si on veut la transférer, il faut s’intéresser aux conditions de transfert. Le métier d’enseignant c’est un métier d’ingénieur. Un ingénier ne met pas le même pont dans la Seine et le Rhône… La pédagogie de projet par exemple, ça fonctionne mais avec tels étudiants dans tel contexte.

Alors pourquoi y a t-il autant d’intérêt pour l’innovation pédagogique ?

Je crois que c’est parce qu’on n’arrive pas à faire de véritables diagnostics. Alors on cherche des solutions pour améliorer le système éducatif en innovant. Réfléchir aux causes de nos problèmes, établir de solides diagnostics nous ferait progresser davantage.

Propos recueillis par F Jarraud

Tricot : Le numérique améliore-t-il l’apprentissage ?