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Officiellement lancé dans tous les collèges à cette rentrée, le dispositif Devoirs faits est réputé réduire les inégalités sociales et scolaires. Dans 20 Minutes, JM Blanquer ne porte pas toutes ces promesses. Mais le 7 novembre, il accompagne le premier ministre dans un collège pilote de la banlieue parisienne pour mettre en valeur ce qui devient un dispositif clé dans la stratégie de communication du gouvernement. Mais qu’en est-il réellement du déploiement de Devoirs faits ? Et quelle peut-être son efficacité sur le plan scolaire ?

 » Oui les devoirs sont importants car ils permettent à l’élève de développer son autonomie, sa mémoire et sa capacité d’exercice « , explique JM Blanquer dans 20 Minutes. Le dispositif Devoirs faits  » a une dimension sociale, sociétale et pédagogique « , poursuit le ministre.  » Sociale car il s’agit d’aider les élèves qui ne bénéficient pas des circonstances familiales leur permettant de bien travailler à la maison. Sociétale, car les parents de toutes classes sociales confondues peuvent avoir du mal à suivre les devoirs de leurs enfants… Pédagogique car grâce à cette mesure, nous allons renforcer la cohérence entre le temps des cours et le temps des devoirs… Ce dispositif est l’occasion pour les enseignants d’expliciter aux élèves quel est l’enjeu d’une leçon et ce qu’ils doivent faire ensuite par eux-mêmes « .

On notera la prudence des propos ministériels particulièrement par rapport aux attentes des parents. Le ministre promet de la cohérence là où les parents espèrent une réduction des inégalités scolaires dont tout le monde sait qu’elles sont liées à l’origine sociale. L’ambiguïté se renforce quand le ministre évoque le déploiement du dispositif Devoirs faits.

Cette prudence est aussi historique : JM Blanquer a eu à rogner les crédits de l’aide aux devoirs que X Darcos avait imaginé pour tous les collèges en 2007. Mise en place à la rentrée 2008, le directeur de la Dgesco de l’époque l’avait jugé si peu utile qu’il avait supprimée peu à peu à partir de 2010…

Quelle mise en place réelle ?

Le dispositif sera déployé  » dans les 7.100 collèges de France « , promet JM Blanquer. Il donne des chiffres plus précis.  » 50 % des coordonnateurs de la mesure dans chaque collège sont des enseignants, 30 % des CPE (conseillers principaux d’éducation) et 20 % des membres des équipes de direction… 7.000 jeunes en service civique sont engagés dans le dispositif, mais notre objectif est d’atteindre 10.000. Nous allons encore en recruter « .

Décrypté à l’usage des parents, il apparait en réalité que les élèves seront accompagnés par des jeunes très peu ou pas du tout qualifiés, les jeunes du service civique. Même au niveau de la coordination dans l’établissement, une tache purement administrative, on ne trouve que moitié d’enseignants. Les personnels de direction sont contraints souvent de s’en occuper eux-mêmes… On ne saurait dire plus clairement que les enseignants ne croient aps dans l’efficacité du dispositif. Ils ont quelques raisons pour cela. Notons également que dans deux cas sur trois cet accompagnement trouve place dans des  » trous  » de l’emploi du temps : sur le moment du repas ou dans des suppléances. Tout cela montre le peu d’intérêt porté à un dispositif imposé par en haut dans les établissements qui, dans certains cas, remplace une structure fonctionnelle.

Quelle efficacité des devoirs faits ?

JM Blanquer aurait-il oublié ses chères études ? S’il y a une chose qui est établi c’est la difficulté à mettre en place une aide efficace des élèves en dehors de la classe. Et c’est pire quand l’aide est confiée à des non enseignants comme les assistants d’éducation ou, comme le prévoit le ministre, des jeunes encore plus éloignés de la clase comme des jeunes du service civique.

Un précédent devrait faire réfléchir le ministre : celui des Teaching Assistants anglais. Déployés par milliers dans les écoles anglaises par les travaillistes, ces assistants d’éducation sont là pour aider les élèves en difficulté , souvent des jeunes défavorisés. En 2008 une évaluation du dispositif est lancée. Ses premiers résultats sont tels que l’étude est prolongée d’un an.

Ils tombent finalement en septembre 2009. Et ils sont clairs. Plus un jeune est « aidé » par un Teaching Assistant moins il progresse. Ce qui est en cause c’est l’aide en dehors de la classe par des personnels non enseignants. Dans le cas des Teaching Assistants, qui intervenaient aussi sur le temps scolaire, en voulant aider les défavorisés le gouvernement britannique avait finalement accru les inégalités scolaires.

Quel est l’intérêt des devoirs ?

Mais les pédagogues interrogent aussi l’intérêt même des devoirs. En 2010, P Rayou publie « Faire ses devoirs », un ouvrage qui étudie de près les pratiques du travail à la maison.

 » Il ne semble pas que les devoirs soient utiles aux élèves qui ont le plus besoin de compléter des apprentissages qui n’ont pas été convenablement mis en place pendant les séquences de cours. Beaucoup des élèves que nous avons vus, notamment dans des aides aux devoirs, s’acquittent très scrupuleusement de leur tâche, mais si leurs difficultés d’apprentissage au cœur de la classe, au milieu de leurs pairs, persistent, ils peuvent finir par penser qu’ils sont  » nuls « . Ils se débarrassent alors de ce qui ne constitue plus qu’un pensum, voire ne font plus leur travail. Ce qui ne fait en effet que creuser les inégalités d’apprentissage », explique-t-il.

Reprenant une étude de D Glasman pour le HCE, il précise.  » Nous avons nous-mêmes constaté une grande hétérogénéité des pratiques d’accompagnement. Si toutes redonnent assez facilement confiance aux élèves qui les fréquentent, elles ne parviennent pas, dans beaucoup de cas, à restaurer chez ceux qui en ont le plus besoin les apprentissages premiers. Nous avons vu régulièrement des élèves repartir chez eux, très heureux d’avoir rempli leur devoir mais porteurs de cahiers dont les exercices très approximativement réalisés allaient leur valoir beaucoup d’encre rouge dans les marges ».

Le problème de l’extension au primaire

Dans son entretien donné à 20 Minutes, JM Blanquer annonce l’extension au primaire du dispositif Devoirs faits en 2018. Or dans beaucoup d’école il y a déjà des études encadrées par des enseignants avec l’appui financier des communes. Remplacer ces enseignants par des jeunes du service civique serait une vraie dégradation du service offert aux élèves.

En conclusion

Ce que montrent les études internationales, c’est la difficulté d’un encadrement efficace des élèves et de leurs devoirs. En réalité cet encadrement devrait être fait dans la classe et sur les heures de classe. A défaut, pour pouvoir aider les élèves en difficulté et réduire les inégalités, l’aide aux devoirs devrait être effectuée par des enseignants ou par des personnels formés travaillant en lien avec les enseignants. Il faudrait inclure dans le dispositif ce temps régulier d’échange entre enseignants et « aidants ». Il faudrait aussi que les premiers et les seconds soient au clair sur les objectifs donnés aux devoirs et préparent en classe le travail à réaliser. Prétendre réduire les inégalités sociales de réussite scolaire par l’aide aux devoirs est un leurre , une utopie quand cette aide utilise du personnel non formé et étanche à la classe. Mais justement le ministre lui-même ne promet pas cette réduction des inégalités.

François Jarraud

Dans 20 Minutes

L’Expresso du 7 septembre 2009

P Rayou

Dossier Accompagnement