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Boulimique de l’apprentissage, passionné, Pascal Bellanca-Penel enseigne la physique-chimie depuis 20 ans à Lyon. Après un DEA de Physique nucléaire et des particules, il passe l’agrégation de Physique. Plus récemment, afin de « retourner aux sources et aux méthodes », il entame un Master 2 mêlant histoire, anthropologie et sociologie des sciences, avec un brin de didactique. Le M2 validé, il s’engage dans un travail doctoral qu’il a conclu en 2016 sur l’histoire de la physique atomique en parallèle de son activité d’enseignant. Au lycée, il investit pleinement sa liberté pédagogique pour engager chaque fois un peu plus et un peu mieux ses élèves dans les tâches d’apprentissage qu’il leur propose.

Comment avez-vous découvert la classe inversée ?

C’était en 2012, à l’Institut Français de l’Éducation dans le cadre d’un enseignement mineur pour mon Master 2. L’enseignant engageait et stimulait systématiquement notre réflexion en amont de la séance. Cela ne passait pas nécessairement par de la vidéo, mais toujours par l’interaction avec certaines ressources. Lui-même n’a jamais qualifié son cours de « cours inversé » mais plutôt de dispositif d’apprentissage hybride. Le cours à l’IFE portait sur les « jeux sérieux ». C’est à cette occasion que j’ai créé un jeu de ce type avec mes terminales S ( Nuclé@ction, un enjeu sérieux) que j’ai proposé au Forum des « Enseignants Innovants » à Poitiers. Le jeu portait sur l’apprentissage de la radioactivité et de l’énergie nucléaire. « Jouer pour devenir sérieux » et s’instruire tout en s’amusant, c’est s’instruire avant tout ! Et d’autant mieux que l’engagement de l’élève est sollicité de façon inhabituelle par le dispositif. Après cette année de formation – qui a été un véritable bonheur intellectuel et humain – je me suis dit : essayons !

Quel est l’intérêt premier de cette pédagogie pour les élèves ?

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre assurément et complètement. La première raison c’est que « cette pédagogie » n’existe pas ! Elle n’existe pas en dehors de ses différentes modalités de réception et de l’extrême diversité de ses pratiques. Je comprends mon travail comme la création de dispositifs d’apprentissage intégrant une multiplicité de ressources. Je n’ai pas une pédagogie mais des dispositifs que je combine au service de l’apprentissage de la physique par les élèves.

La seconde raison, c’est que l’écosystème d’apprentissage que je propose change d’année en année et même parfois au sein d’une même année. Cet art de la forme qui est le nôtre, je le vis aussi, naïvement peut-être, comme un art de funambule : je suis toujours dans une sorte d’équilibre à la fois dynamique et instable. Je lis, je coupe, je recoupe, j’expérimente et j’essaie de faire tenir ça ensemble en rythmant le tout pour que les élèves sortent de chaque séance avec un point de vue renouvelé sur le monde physique qui les entoure. C’est « suffisamment bien » comme cela.

Il y a quand même un intérêt premier ?

Oui, je crois: « redonner du sens à la présence ». Je comprends ce mouvement, dans toutes ses formes, comme une tentative de redéfinir les contours d’une « économie de l’attention » et de l’engagement en milieu scolaire. Je crois que toutes ces pratiques – sans en avoir l’exclusive – ont en commun de vouloir « redonner du sens à la présence » des élèves dans un contexte où ce sens fait bien souvent défaut. J’espère y arriver, parfois.

Et pour l’enseignant ?

Du point de vue professionnel, je crois que cela a permis à beaucoup d’enseignants de se sentir agir sur leurs pratiques et avoir une action renouvelée sur leurs élèves. Cela a pu passer par un changement de posture en classe et constituer le véhicule d’une réflexivité professionnelle accrue. Ce n’est pas rien, je crois.

De quelles façons ?

Beaucoup d’entre nous ont trouvé sur les réseaux ou dans un cadre associatif ce qu’ils ne trouvaient pas ou plus ou moins avec leurs collègues immédiats : des ressources, des échanges intellectuels, des critiques constructives, une envie commune. On peut dire que leur « zone proximale de développement professionnel » s’est étendue d’un coup ! C’est aussi mon cas et j’adore ça : échanger sans logique corporatiste et sans ornières sur ce qui est au coeur de notre mission : l’apprentissage. C’est une joie quotidiennement renouvelée.

Très concrètement, comment s’organise une séance type ?

Aie ! et bien, il n’y a pas souvent de « séance type ». Il y a évidemment des récurrences dans les séquences d’apprentissage. Par exemple, toujours commencer par une phase de dévolution durant laquelle le problème que je pose essaie de devenir le problème de chacun. Je propose ensuite des tâches dans lesquelles j’essaie d’engager tous les élèves. Ce peut être une activité documentaire, une activité de remédiation ou de consolidation des savoirs et des savoirs faire. Je peux aussi proposer parfois des jeux (sérieux) sur plusieurs séances ou des « résolutions de problème ». Je collabore à un projet de recherche conduit par Karine Bécu-Robinault (ENS Lyon), sur ce thème et les séances durant lesquelles je permets aux élèves de pratiquer cette activité sont toujours passionnantes à observer. Je place aussi, en appui de certaines séances, des ressources numériques, pas uniquement des vidéos. Cela peut être des animations ou des images. J’engage aussi périodiquement les élèves dans un travail de production de ressources pour leurs pairs et dans un travail d’entraide. J’essaie aussi d’intégrer des évaluations au services des apprentissages comme les « évaluations collaboratives »…

Les élèves sont-ils déstabilisés par votre approche pédagogique ? Y-a-t-il des freins à sa mise en œuvre ?

Déstabilisés ? Oui, durant les premières semaines et parfois plus : le « contrat didactique » doit être explicité bien sûr. J’installe les choses petit à petit pour ne pas saturer tout de suite leur charge cognitive ! Un point de friction récurrent : j’essaie depuis ces années de construire une classe plus coopérative et les pratiques collaboratives ont parfois du mal à être comprises dans un environnement très individualiste. Ce système permet à chacun d’aider ou de se faire aider en comprenant qu’une classe – comme une société – c’est autre chose qu’une lutte perpétuelle qui se traduit par la survie des plus aptes. L’inconvénient (pour certains) c’est que plus personne ne peut se cacher.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que ces nouvelles pratiques accroissent les inégalités ?

Difficile et douloureux de répondre à cette question. Je ne suis qu’un enseignant qui ne connaît qu’une partie infime du terrain. Deux choses : Je crois que notre système scolaire va mal, qu’il trie toujours plus et ne travaille pas toujours à la réussite de tous. Il y a même des Ministres qui préféreraient ne pas avoir à se colleter tous les petits français.

Beaucoup des enseignants avec qui j’interagis sur les réseaux ou ailleurs ont fait évoluer leurs pratiques pour justement permettre à toutes et à tous d’apprendre mieux en constatant l’échec croissant du système à faire réussir tous les élèves. J’ai de plus en plus de mal à supporter la dissonance produite par l’écart entre les bonnes intentions égalitaires et modernistes mises en avant – dont les appels incessants à « l’innovation » – et la réalité ségrégative concrète engendrée par le système. M’accommoder de cet état est de plus en plus douloureux. Doublement et paradoxalement douloureux donc, si l’on ajoute ces critiques.

Et ensuite ?

Ensuite, il y aurait beaucoup à dire. Je crois que certains monopoles ou positions ont été violemment dérangés par ces mouvements, en partie à cause de leur résonance médiatique liée au pouvoir incantatoire de la formule « classe inversée ». La lettre récente de l’Académie des Sciences sur l’enseignement des sciences au Lycée est symptomatique à cet égard. Les réformes du bac qui pointent, rendent certaines organisations fébriles et désigner des boucs-émissaires permet à bon compte de ne pas réfléchir sur le fond pour avancer ses pions. Ce n’est pas très glorieux. Ce n’est pas non plus très sérieux de parler « d’enseignement [scientifique] profondément dénaturé » par les pratiques de « contextualisation », « d’évaluation par compétences » ou « d’inversion ». Nous n’avons pas attendu l’Académie pour réfléchir les travaux de certains sociologues et il est savoureux de se voir pointer du doigt par une Institution ou des associations qui contribuent au développement de la professionnalité des enseignants de sciences de façon plus que marginale à mon sens.

Vos capsules ainsi que celles d’autres enseignants comportent de nombreuses vues sur internet. Que pensez-vous de ce nouvel espace de mutualisation et de formation ?

La possibilité offerte au plus grand nombre de consulter des ressources et aux enseignants de les mutualiser rapidement est extraordinaire. Je suis toujours amusé et touché quand je reçois des remerciements d’élèves qui sont parfois à l’autre bout du monde. Mais il faut comprendre que ces ressources sont des ressources « mortes » en tant que telles : elles n’ont de sens et ne peuvent prendre vie que si elles s’inscrivent dans un écosystème d’apprentissage. Elles ne pourront jamais se suffire ou se substituer à un enseignement, bien heureusement.

Enfin, si vous aviez à exprimer un souhait pour une meilleure réussite de nos élèves en Physique Chimie, quel serait-il ?

Merci de m’offrir cette possibilité ! Je leur souhaiterais d’abord de travailler dur et de s’engager plus et mieux. Rien de possible sans cela. Apprendre participe d’abord de cette responsabilité : travailler et s’engager. Faire des erreurs ensuite et s’en servir pour avancer. Aucun apprentissage n’est possible sans ça non plus.

Par ailleurs, je leur souhaiterais de privilégier une logique d’accomplissement intellectuel et humain plutôt que de performance ou d’écrasement compétitif. Notre système meurt des inégalités qu’il promeut structurellement et notre société souffre des liens que nous n’avons pas su tisser collectivement. Je dirais donc : s’engager aussi avec l’autre plutôt que contre.

Je leur souhaiterais enfin d’être enthousiastes pour la vie et conscient de sa valeur et de ne jamais s’arrêter de l’être. Pouvoir s’enrichir et grandir des trésors du passé pour tracer de nouveaux horizons individuels et collectifs. C’est à tout cela que l’École doit servir, d’abord. C’est pas très « physique-chimie » mais je ne fais pas que de la « physique-chimie ». Apprendre est une belle chose, c’est même une chose merveilleuse.

Propos recueillis par Aurélie Badard

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