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A qui et à quoi peut-on faire confiance ? Chaque enseignant, chaque éducateur se pose la question à propos de ses élèves, des jeunes dont il a la charge. Le ministre de l’éducation a répété à plusieurs reprises son souhait de faire une “école de la confiance”. C’est sur cette base que l’on peut essayer de penser ce qui est en train de se passer dans le domaine du numérique : à qui, à quoi pouvons-nous faire réellement confiance ? L’élève, l’étudiant face aux propos de son enseignant fait confiance a priori. Mais a-t-il raison ? Et inversement ? En associant confiance à l’esprit de liberté, le ministre complète le tableau et déclare en septembre dernier : “Cet esprit de liberté est la condition de la confiance si nécessaire à l’échelle de chaque école, de chaque collège et de chaque lycée pour renforcer la réussite des élèves et le dialogue avec les familles. “

L’école, déjà une école de la confiance ?

Lorsque l’élève, l’étudiant va vérifier sur le web les propos de l’enseignant, on peut penser qu’il est dans une forme de “défiance” vis à vis de l’apport de l’enseignant. En fait ce n’est que rarement de la vérification, mais bien au contraire des enrichissements, des compléments qu’il va aller chercher pour “mieux apprendre”.

Lorsque le parent d’élève va regarder le cahier de texte de son enfant, va-t-il “inspecter” l’enseignant et évaluer le travail qu’il donne ? Là encore l’observation montre que, dans la très grande majorité des cas, ce n’est pas de la défiance, mais au contraire, le souhait de mieux accompagner son enfant.

Lorsque les enseignants proposent à leurs élèves d’utiliser leur smartphone pour une action complémentaire de son enseignement, il se sent en confiance. Il sait bien que les élèves sont attirés par nombre de sollicitations autres que les siennes. Mais en engageant une activité de ce type, il fait le pari de la confiance et l’observation et les témoignages recueillis confirment cela.

La société numérique accroit la crise de confiance ?

D’où vient alors ce questionnement sur la confiance ? On peut faire une hypothèse qui pourrait déranger les “gens de pouvoir” : il faut toujours se méfier du peuple, il faut se méfier des médias qui relaient les questionnements du peuple. Ainsi un ministre parlerait d’autant plus de la confiance que lui-même se questionne pour savoir s’il est digne de confiance d’une part et si lui-même fait confiance aux personnes avec lesquelles il travaille.

Faire confiance est un problème dans un monde qui se numérise. Quelques exemples le confirment : Au moment où chaque organe de presse met en place des cellules de vérification de l’information , au moment où la RGPD arrive dans le paysage et nous alerte sur ce que certains peuvent être tentés de faire de nos données, on a l’impression paradoxale que l’on parle beaucoup de la confiance, mais que tout nous pousse à penser que nous ne pouvons pas réellement faire confiance… à l’information à laquelle nous pouvons accéder au quotidien pas plus qu’à l’utilisation des données que l’on partage. La montée de ce paradoxe entre l’incitation à la confiance et l’observation d’une nécessaire méfiance pose un problème éducatif important. Un enfant fait traditionnellement confiance à ses parents. Même chez des enfants maltraités cette confiance reste importante. Dans de nombreuses situations de conflit éducatif la question de la confiance enfant/parent, jeune/adulte est posée.

Le jeune fait traditionnellement confiance, a priori, aux adultes qui l’entourent jusqu’au moment où il se rend compte que cette confiance doit être critiquée (au sens large du terme). L’esprit critique n’est pas un manque de confiance, c’est simplement une exigence éthique, morale face à la parole, à l’expression, à l’action de l’autre. Le pourquoi du petit enfant n’est pas un manque de confiance, c’est un besoin d’explicitation, de transparence. Lorsque dans la RGPD on nous parle de “consentement éclairé”, on comprend bien que la confiance ne va pas autant de soi. Des intérêts peuvent inviter certains à tromper la confiance des autres.

Des exemples pour la classe ?

La confiance c’est aussi le travail du questionnement. Plusieurs faits récents méritent d’être examinés (ils peuvent d’ailleurs être travaillés en classe avec des élèves) :

– Le stockage des données dans le nuage (Cloud) pose de nombreux problèmes dont bien sûr celui de savoir ce qui est fait de ces données qui sont “parties ailleurs”

– Les algorithmes, traduction d’une intention humaine dans un système automatique, sont des éléments invisibles a priori de l’usager comme l’a démontré le débat sur APB (et probablement aussi sur Parcoursup).

– L’Intelligence Artificielle qui vient de revenir en force dans l’actualité médiatique (cf. rapport de Cédric Villani) semble être aussi un espace d’interrogation. D’ailleurs l’imaginaire qui y est associé et que l’on peut lire dans de nombreux propos indique bien qu’il y a du questionnement sur la confiance que l’on peut accorder à ces “mécaniques” cachées

– Le livre de Mathieu Girel, Science et territoires de l’ignorance (Quae éditions 2017) mérite aussi notre attention car il montre comment la science elle-même pose question et comment elle peut être aussi manipulée et ainsi indirectement engendrer de la perte de confiance.

Le développement généralisé du numérique interroge une politique de confiance qui se veut volontariste. Malheureusement l’environnement quotidien dans lequel nous vivons donne suffisamment d’occasions de s’interroger. Inciter à la confiance est une bonne idée, encore faut-il aller au-delà des incantations et donner des gages qui permettent de la développer réellement. C’est ce que tout éducateur est appelé à faire dans son quotidien en particulier lorsqu’il est au travaille avec les jeunes.

Bruno Devauchelle

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