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« On entend souvent dire que la proximité entre l’école et les familles est un facteur favorable à la réussite scolaire des élèves. Qu’en est-il réellement ? » Jean-Paul Payet, université de Genève, ose poser la question. Et il la pose en sociologue. Est-ce la même chose de collaborer avec des parents de milieu aisé ou défavorisé ? Les relations sont-elles dépourvues de préjugés ? Les attentes se rencontrent-elles toujours ? L’injonction de collaboration avec les parents interpelle les enseignants individuellement mais elle engage aussi le groupe d’enseignants de la même école. La grande richesse du petit livre de JP Payet (Ecole et familles. Une approche sociologique, de Boeck) c’est d’interroger ce qui est devenu une évidence avec les regards du sociologue et de l’ethnologue. Car là comme ailleurs, les inégalités sociales, les différences culturelles traversent la relation entre enseignants et parents.

Rapprocher l’Ecole et les parents c’est une injonction de l’institution, mais cela semble aussi aller de soi. Pourtant vous dites que c’est « une évidence à revisiter ». Pourquoi ?

C’est devenu une évidence aujourd’hui. Mais on vient d’une Ecole républicaine construite sur le principe d’une mise à distance de la famille. Depuis une vingtaine d’années on a basculé sur un autre paradigme : la collaboration entre l’Ecole et les parents. Et on fait comme si cela allait de soi. Mais la culture de l’Ecole et les mentalités enseignantes n’y sont pas préparés.

Et si on ne revisite pas cette évidence on prend le risque d’effets pervers. Par exemple la collaboration est une belle idée mais qui crée des attentes chez les enseignants. Ils attendent que les parents soient à la hauteur de cette collaboration, qu’ils deviennent de vrais partenaires. Or tous les parents ne sont pas égaux par rapport à ces attentes. Certains sont socialement prêts à être de bons partenaires. D’autres n’ont pas les capacités sociales à répondre à ce type de collaboration. Cet effet pervers peut mettre encore plus les parents défavorisés en difficulté avec l’Ecole.

Est-ce la même chose pour un enseignant d’avoir à collaborer avec des parents favorisés ou défavorisés ?

Très clairement il faudrait former les enseignants au travail avec toutes les catégories de parents. Tous ont les mêmes droits vis-à-vis de l’Ecole. Mais c’est une égalité formelle. Dès qu’on entre dans la réalité c’est différent.

Avec les parents de milieu favorisé les enseignants doivent être préparés à faire face à des revendications très individuelles. Ces parents vont demander un contrôle de l’espace scolaire pour satisfaire des intérêts individuels. Les enseignants devront être compétents pour protéger l’espace scolaire de ces revendications.

A l’autre bout de l’échelle sociale c’est très différent. Les enseignants devraient être capables d’aider ces parents à devenir de vrais partenaires. En amont, cela signifie déjà les reconnaitre comme des partenaires.

Malheureusement on a généralement un discours très général sur l’école et les familles. Mon ouvrage essaie par contre de partir des réalités concrètes.

Dans ce livre vous parlez de professeurs « domestiqués » par certains parents. Le terme n’est pas trop fort ?

C’est souvent le cas avec les parents très favorisés. Le mot fait référence à ces familles très bourgeoises qui ont du personnel de maison et qui finalement étendent ce type de rapport aux enseignants. Dans ce milieu les parents ont une forte capacité à mettre les enseignants en rivalité. Ils disent par exemple que l’an dernier M. X. faisait comme cela. Ou qu’ils préfèrent la façon de faire de Mme Y. Dans ce petit monde de parents il y a un marché des réputations auquel il est difficile de résister. C’est très différent des quartiers défavorisés où les parents se plaignent peu et où les enseignants font plus corps.

Dans ces quartiers les enseignants se plaignent souvent de parents démissionnaires. Qu’en pensez-vous ?

C’est un stéréotype qui me gêne et qui empêche souvent d’aller voir réellement les situations individuelles. Il y a bien des parents qui sont en difficulté. Mais je ne connais pas de parents qui se désintéressent de l’école. Car tous savent qu’il faut des diplômes pour accéder au travail. Tous sont convaincus du rôle fondamental de l’Ecole.

Les parents qui semblent s’en désintéresser sont en réalité en difficulté. Il faut travailler avec ces parents et leur donner les moyens de reprendre confiance dans leur capacité à éduquer leur enfant. C’est un défi qui vaut la peine.

Concrètement sur le terrain comment font les enseignants pour collaborer avec les parents ?

Il y a bien sûr les entretiens individuels. Il y a les relations informelles comme lors de sorties ou d’activités. Une vraie formation à ces entretiens serait nécessaire. C’est pourquoi dans le livre je donne des outils pratiques pour se préparer à ces échanges et mener un entretien individuel collaboratif.

Aujourd’hui les enseignants auraient besoin sur cette question d’espaces tiers d’analyses de pratiques pour arriver à se décentrer et à élaborer des stratégies. Ça me désole de voir que l’institution ne fait pas confiance aux collectifs enseignants.

Il faut donner davantage de droits dans l’Ecole aux parents ?

Je ne pense pas que ce soit le problème. Le problème c’est l’égalité dans l’effectivité des droits. Certains parents utilisent beaucoup leurs droits. D’autres pas du tout. Le problème c’est surtout donner aux parents défavorisés de réels droits de partenariat avec l’Ecole.

La collaboration entre l’Ecole et les parents finalement c’est positif pour les enseignants ?

C’est un plus à condition que les enseignants soient formés à mettre en œuvre cette collaboration avec des parents de milieux différents et qui ont tous une problématique individuelle. Le cœur de la question c’est la formation des enseignants. Mon livre a l’ambition d’y contribuer.

Propos recueillis par François Jarraud

Jean-Paul Payet, Ecole et familles. Une approche sociologique, De Boeck, 2017. ISBN 978-2-8041-9645-5