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Si l’insertion professionnelle des non diplômés fait l’objet de nombreux travaux, que sait-on de celle des diplômés du supérieur ? Présenté au laboratoire Liepp de Sciences Po le 16 mai, l’ouvrage de Romain Delès, « Quand on n’a que le diplôme » (Puf), éclaire l’insertion professionnelle de ces jeunes et construit une typologie de cette jeunesse. Il montre également une forte singularité française de l’insertion professionnelle et des études supérieures.

L’importance de la spécialité du diplôme

Romain Delès s’appuie pour cet ouvrage sur une longue enquête menée auprès de l’AFIJ, une association qui s’occupait de l’insertion des jeunes diplômés. Il a mené près d’une centaine d’entretiens avec des jeunes diplômés et des conseillers tout en observant des ateliers organisés par l’association.

A priori, les jeunes diplômés du supérieur ont nettement moins de problèmes d’insertion professionnelle que les moins diplômés. 3 ans après leur sortie d’études 85% ont un emploi contre 50% pour les non diplômés. Le diplôme fonctionne toujours comme un bouclier contre le chômage même si l’on observe des disparités entre les formations. « La spécialité du diplôme joue autant que le niveau de diplôme  » estime R Delès.

Pourtant Romain Delès définit trois profils de jeunes diplômés dans leur rapport à l’insertion professionnelle : ceux dont l’insertion est prévisible, les jeunes à l’insertion entravée et ceux de l’insertion refusée.

Trois modèles d’insertion professionnelle

Les jeunes de « l’insertion prévisible » sont ceux qui sont à la fois proches subjectivement et objectivement de l’insertion. « On est fait pour l’emploi », disent-ils. Et toute leur formation supérieure les prépare à cela en même temps qu’ils intériorisent les codes de l’insertion professionnelle. Ce sont des jeunes qui ont suivi des formations courtes, BTS ou IUT, parfois prolongées en licence professionnelle. Ils viennent de filières sélectives et sont « programmés pour l’emploi ». Ce sont ceux qui rencontrent le moins de frustrations.

Les jeunes de « l’insertion entravée », ont un profil bien différent et connaissent davantage les frustrations. Ils cherchent leur insertion professionnelle en partant d’une proximité objective faible. Venus de formations longues, souvent littéraires, ils doivent se convertir aux exigences de l’insertion professionnelle. Ils doivent convertir leur bagage de formation en compétences professionnelles. C’est une mue difficile, douloureuse qui amène, quand l’attente se prolonge, à une véritable crise de statut. Ils perdent alors en autonomie, reviennent chez leurs parents, culpabilisent, intériorisent finalement l’exigence sociale dans la douleur.

Troisième catégorie : les jeunes de l’insertion refusée. Souvent sortis de formations artistiques ou culturelles, ils refusent les voies classiques de l’insertion professionnelle. S’ils critiquent l’aliénation au travail, ils font le choix de petits boulots en attendant leur véritable insertion. En attendant ils maintiennent le mode de vie étudiant. Mais finalement ils sont obligés de faire ce qu’ils critiquent pour vivre.

Une jeunesse obsédée par l’insertion

Car ce que montre Romain Delès c’est la force du modèle de l’insertion professionnelle à la française. « En France il y a une exigence de placement professionnel précoce », dit-il. La moyenne d’âge des étudiants en France est de 22.5 ans contre 24.5 en Allemagne ou 28.5 au Danemark. « On précipite le parcours étudiant », par rapport aux autres pays, pour aller tout de suite à l’emploi.

Cette norme sociale est écrasante. Elle est relayée par les universités et , pour R Delès, Parcoursup va encore renforcer cette linéarité par l’obsession de diminuer les échecs.

Cela tient aussi au modèle de financement des études : en France ce sont les parents qui payent et qui exigent des comptes si l’on s’écarte un tant soit peu du modèle. Au Royaume Uni ce sont des banques, nettement moins présentes dans la vie du jeune. Ailleurs c’est l’Etat , comme en Suède. Cette situation aboutit à faire de l’insertion professionnelle « l’enjeu principal de la jeunesse ».

Dans le cadre du laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, animé par A Van Zanten et D Fougère, Eric Verdier (CNRS) apportait son regard critique sur l’ouvrage de R Delès.

Pour lui, l’analyse de R Delès aurait gagné à être prolongé dans le temps. Que deviennent réellement les trois types ? Les « insérés prévisibles » reprennent souvent des études plus tard. Les « insérés refusés » diffèrent en fait leur insertion plus qu’ils ne la refusent. Ils la construisent patiemment avec de véritables stratégies pour atteindre leur but.

Une réflexion qui renforce la singularité du modèle de formation français entièrement tourné vers une opposition entre académique et professionnel et où domine cette obsession de l’insertion rapide et en ligne droite.

François Jarraud

Romain Delès, Quand on n’a que le diplôme. Les jeunes diplômés et l’insertion professionnelle. PUF, ISBN 978-2-13-078694-8