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Dans le cadre de sa stratégie de communication au forceps, la présidente de la région Ile-de-France a récemment annoncé dans la presse la gratuité des manuels scolaires, mesure pourtant déjà effective depuis …2001. Sa « non-annonce » s’est toutefois accompagnée d’une nouveauté, le passage aux manuels numériques pour les élèves de la Région capitale. Valérie Pécresse entend ainsi démontrer, dès septembre prochain, qu’elle aura été celle qui aura soulagé le dos des 400.000 lycéens franciliens en remplaçant les manuels scolaires par des tablettes numériques. Mais au-delà du slogan, cette décision, prise une fois de plus de manière hâtive, soulève un certain nombre de problèmes et de questions, tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme tout d’abord : l’annonce ne pouvant souffrir de contre-temps, les établissements scolaires, mis sous pression par la Région, ont été poussés à engager cette réforme dans la précipitation. C’est ainsi que dès le 22 mars, Valérie Pécresse a fait partir un courrier à destination de tous les proviseurs d’Île-de-France, leur indiquant qu’ils avaient jusqu’au 22 avril pour faire un choix : le 100% papier ou le 100% numérique pour la rentrée 2020.

Le choix des « manuels numériques », intrinsèquement moins chers (hors coût du support type tablette) ou papier est donc, en apparence, laissé à l’appréciation des établissements. Mais la réalité est toute autre : la région semble faire un chantage au sens où les établissements qui font le choix du papier ne seront plus prioritaires pour les autres équipements numériques des classes, dont les équipes pédagogiques ont cruellement besoin. En clair : ceux qui ne prendront pas le train des tablettes numériques resteront à quai et seront privés de tout autre outil numérique dans l’animation pédagogique.

La présidente de la Région contredit ici ce qu’elle disait dans la presse à propos du libre choix pédagogique des établissements qui, de fait, se retrouvent sous pression face à un délai extrêmement court et des problématiques de fond à régler, tant d’un point de vue matériel, pédagogique que financier.

Car engager le passage des manuels traditionnels aux manuels numériques, nécessite de pouvoir répondre à de multiples questionnements. Passons rapidement sur la mise à disposition des logiciels dont nous n’avons à ce jour aucune garantie qu’ils seront prêts à temps pour la rentrée scolaire. Sur bien des points, rien n’a été prévu pour s’assurer du succès du passage du livre-papier au numérique via les tablettes.

D’un point de vue pratique, tout d’abord. Il en est ainsi de l’absence dans de nombreux établissements de prises électriques suffisantes dans les salles de classe permettant aux élèves de consulter leur tablette éventuellement déchargée. Ou encore des situations où les tablettes numériques seraient perdues par leurs utilisateurs. Ceux-ci se retrouveraient sans aucun manuel scolaire pour suivre les enseignements…

D’un point de vue social, aussi. Selon la Région, les élèves conserveront leurs tablettes tout le long de leur scolarité et se les verront remises à titre gracieux à l’issue de leur scolarité. Mais tous les frais d’entretien, de réparation, de rachat et d’assurance sont laissés aux parents d’élèves. Une tablette utilisée sur batterie chaque jour ne tiendra que très rarement trois ans. Une assurance tout risque pour tablette coûte autour de 16 euros par mois, donc à la charge des familles.

De plus, comment les équipes pédagogiques, déjà assommées par la réforme du lycée, des nouveaux programmes et du baccalauréat, vont-elles pouvoir au cours de l’été s’approprier ce bouleversement pour la rentrée de septembre ? Disposeront-elles du matériel informatique pour engager ce chamboulement ?

Enfin, choisir de faire passer l’ensemble des lycées d’Île-de-France à l’utilisation de tablettes numériques à la place des livres scolaires, représente un coût élevé pour notre collectivité. De l’ordre de 50M€ par an, soit la construction d’un lycée neuf tous les deux ans.

Cette décision va produire de nombreux effets de cascade qui ne peuvent être balayés au nom du « coup de com ». Dans un moment où les études se multiplient sur les usages non maîtrisés du numérique et sur les dangers de l’exposition aux écrans, il n’est même pas certain que proposer aux lycéens de travailler dorénavant exclusivement sur des tablettes plutôt que sur des livres constitue un acte utile de modernité.

Soyons clairs : s’il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’intérêt des outils numériques pour l’acquisition des compétences et des connaissances de nos enfants, on ne peut à l’inverse basculer sans réfléchir dans un « tout numérique » dont les bénéfices pédagogiques réels et les effets neurologiques méritent d’être sérieusement évalués.

Plutôt qu’une décision à la hussarde, l’importance du sujet aurait donc appelé à ce qu’un minimum de concertation soit menée avec l’ensemble des acteurs du monde éducatif. Et qu’une réflexion soit partagée sur la place que nous souhaitons donner au numérique et au papier dans l’enseignement aux plus jeunes.

Au risque qu’une fois encore, l’intérêt d’une réforme ne se jauge qu’à ses simples bénéfices de communication.

Maxime Des Gayets et Yannick Trigance

Conseillers régionaux d’Ile-de-France