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A l’instar des nombreuses communautés professionnelles, d’intérêt ou de pratiques, l’approche de la reprise après les vacances d’été est propice à des évènements. Ludovia, pour sa 16è édition en fait partie. Comme chaque année, c’est autour de la question de l’informatique et du numérique dans le contexte scolaire (et universitaire) que cet évènement est organisé. C’est donc l’occasion de faire le point sur ce qui émerge, ce qui se confirme et ce qui disparaît (au moins partiellement) du paysage. Ce qui se remarque en premier c’est que la dimension « commerciale » de l’évènement basée sur les stands des vendeurs et concepteurs est réduit à une dimension minimale. Ceci confirme que cet évènement ne se situe pas dans ce créneau. Certains de ces professionnels tentent de résister, mais il est clair que les « stands » d’il y a quelques années (Google ou autres) ont disparu. Cela ne signifie pas que tous aient déserté mais que la manière d’agir est différente : il s’agit pour eux de s’impliquer avec des enseignants dans des mini-évènements et démonstrations. L’idée n’est pas de chercher la rentabilité immédiate, mais plutôt la visibilité dans le milieu de l’enseignement. Car il faut comprendre qui sont les participants.

Participer à Ludovia n’est pas simple pour beaucoup de non-initiés. Les premiers participants sont les habitués. Ils sont bien connus dans le milieu professionnel : ministère, collectivités, innovateurs, blogueurs, entreprises, chercheurs/doctorants, Canopé etc… A côté d’eux et de manière logique il y a des découvreurs de Ludovia qui y viennent soit par curiosité, soit avec des objectifs. La plupart sont en lien avec des collectifs qui se créent à intervalles réguliers (Inversons la classe, Twictée, documentalistes et autres). Car Ludovia est désormais un joyeux kaléidoscope de communautés diverses et variées qui trouvent dans ce rassemblement les moyens de lancer une dynamique en début d’année, de compter les troupes et de croiser d’autres communautés ou personnes. C’est cette dynamique individuelle et collective qui semble attirer, même si le ressenti de cette année est une modification des équilibres des effectifs : plus dans certains groupes, moins dans d’autres avec un ressenti global plutôt à la baisse. Il faut dire que le ministre n’a envoyé cette année qu’une vidéo de quelques minutes et ne s’est pas rendu sur site (y déléguant tel ou telle, voir plus loin), alors que le site de Ludovia l’annonçait jusqu’à quelques jours avant le démarrage.

Pour peu que vous même soyez habitué et reconnu, le temps en échanges interpersonnels limite fortement le suivi des multiples propositions de conférences et forums des uns et des autres. Deux moments nous ont été permis pour couvrir la conférence table ronde sur l’intelligence artificielle et les journées (JANET) des « acteurs du numérique éducatif en territoire », espace de travail commun entre Education Nationale, Collectivités et Entreprise.

Ecole et intelligence artificielle

L’Intelligence Artificielle est un objet étrange et fuyant. Quand on croit l’aborder il se cache et parfois disparaît dans des discours politiques, de conformité ou d’analyse assez globale. En commençant par utiliser la définition du dictionnaire « Larousse » de l’Intelligence Artificielle, Aurélie Jean, membre du conseil scientifique de l’Education Nationale a commencé à décevoir : on s’attendait à mieux d’une « spécialiste revendiquée » de la question. D’une part une approche très généraliste de la question, d’autre part un discours de complaisance voire de soutien massif au ministre de l’éducation et à deux autres membres éminents de ce milieu, MM Villani et Dehaene. Pour l’enseignant qui cherche à mieux comprendre la question, elle a réussi à faire comprendre qu’il fallait se soumettre à l’IA comme devant être apprise dès le plus jeune âge et bien sûr tout au long de la scolarité pour amener les élèves à devenir conscients et responsables. Allusion à l’inclusion, allusion au code et aux algorithmes, allusion aux sciences humaines (réduites à deux reprises aux seules sciences cognitives – rappelons ici qu’elles sont elles-même composites), invocation à deux reprises de l’importance de la pluridisciplinarité (comme une nouveauté dans l’approche éducative), bref un ensemble de propos qui étaient bien davantage politiques (ode au discours du ministre) que pédagogique ou didactique. Les autres interlocuteurs de la table ronde (JM Merriaux, Mme de Vulpillière enseignante, un responsable de l’éditeur Hachette) n’ont pas pu, ou voulu modérer le propos d’une intervenante aux postures très affirmées… Les échanges informels qui ont suivi entre « spectateurs » ont confirmé ces observations et surtout cette déception autant sur la forme que sur le fond

Numérique et territoire

La troisième édition des « Janet » organisé par la direction du numérique pour l’éducation a rassemblé près de 200 participants autour de deux temps d’atelier, kiosque, partage d’expérience. Outre les difficultés matérielles rencontrées par les organisateurs (salles bruyantes et inadaptées…) les modalités de travail n’ont pas semblé évidente à nombre de participants.

Tabler sur le « design de service » (méthodologie d’animation) et laisser des « jeunes consultants » animer des groupes avec des consignes parfois peu compréhensibles et parfois orientées, la première demi-journée n’a pas donné vraiment la saveur attendue d’un échange entre participants. La deuxième demi-journée basée sur des échanges (trop courts) autour de thématiques ciblées a été beaucoup plus riche et aurait mérité davantage de temps, tant les questions étaient nombreuses autour des tables de travail.

Au-delà de ces questions de formes, le fond a cependant été travaillé et en écoutant les uns et les autres et en particulier les trois grands témoins on a pu retirer quelques données intéressantes bien que trop brèves : il y a un réel dialogue qui se noue dans certains territoires entre les collectivités, l’éducation nationale et les industriels, il est cependant très variable et très dépendant des personnes. Les partenariats semblent davantage s’engager. Si les ENT n’ont pas été explicitement cités dans les échanges, cela a semblé révélateur d’un problème pour les financeurs (les collectivités). A la décharge du ministère deux journées avaient été précédemment organisées exclusivement sur ce thème en novembre 2018 et en juin 2019.

Mais ce qui semble faire consensus chez les participants et sur tous les thèmes abordés c’est la volonté d’encadrer et contrôler. Que ce soit pour le BYOD, la mise en place de la réforme du lycée, la transformation des CDI ou encore la mise en place du PIX, chacun des participants y est allé de ses craintes de dérives et de sa volonté de « maîtrise ». DSI, DAN, Responsables des collectivités et autres, tous vont dans le même sens, oubliant parfois que la créativité et l’innovation ne s’encadrent pas forcément.

Où sont les acteurs de terrain ?

Les grands absents des échanges sont les enseignants et les élèves. Certes certains enseignants étaient là, mais rares, mais surtout on s’est très peu intéressé aux élèves directement. Appelés « usagers » et parfois implicitement dans « usages », la prise en compte des acteurs de terrain (démarche assez proche de l’UX Design par exemple) reste encore difficile de la part d’acteurs en responsabilités dans des structures décisionnelles (ministère, collectivités etc.…). Même si on peut entendre que « un objectif partagé de former des citoyens éclairés et réduire les inégalités territoriales et numériques ». L’école de la confiance voulue par le ministre ne vaut que si les responsables font confiance aux enseignants et surtout aux élèves. Il semble que nous en soyons encore loin. Au moins cela a pu être évoqué, souhaitons que cette idée circule et fasse évoluer les manières de piloter le système. Les participants, nombreux jusqu’à la fin de ces journées, ont en tout cas joué le jeu et c’est aussi la magie de Ludovia.

Quel impact ?

Car au final Ludovia#16 a été une sorte de grand cirque (sorte de Barnum à trois pistes ?) avec de nombreux numéros en simultané : Ludodoc, Clic, Twittclasses, journée des directions, recherche scientifique etc.… Le rassemblement des initiatives permis par les organisateurs de Ludovia et leurs choix a été une belle occasion pour ceux qui s’en sont saisi. Mais reste, comme chaque année, à s’interroger sur l’impact de ces journées sur l’ensemble du système éducatif et en particulier au cœur des établissements scolaires. On peut espérer que chacun des participants aura su transformer ses intentions en venant à Ludovia en actions demains dans son environnement professionnel. Il semble qu’une suite de Ludovia en 2020 sera possible à entendre le directeur du numérique pour l’éducation J.M. Merriaux qui a renouvelé son intérêt et son soutien à cette manifestation dont la convivialité, portée par Aurélie Julien et Éric Fourcaud, ne se dément pas au fil des années.

Bruno Devauchelle

Ludovia 2018