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Jeudi 26 septembre, les élèves des quelques deux cents écoles de Rouen, se sont réveillés sous un ciel noir, lourdement chargé de fumée. Dix jours après, et après de multiples déclarations gouvernementales, qu’en est-il dans les écoles ? Pierre Viot, conseiller syndical du SNUipp-FSU, nous raconte les folles journées qui ont suivi l’accident de l’usine Lubrizol. « Concrètement, plus le temps passe plus les odeurs s’estompent. Le souci avec les écoles les plus touchées par les émanations, c’est que les odeurs avaient stagné à l’intérieur. Depuis, on a beaucoup aéré et ventilé les écoles. Mais quid de cet air qui circule dans les écoles ? Est-il vicié ? »

Une cacophonie générale

Oui, dans les écoles de Rouen et de son agglomération, les odeurs ont disparu mais les traces de suie sont notables. Alors que le Préfet décidait jeudi 26 septembre de fermer des centaines d’écoles de treize communes incluant Rouen et son agglomération de rive droite, la rive gauche permettait l’accueil des élèves. Certaines villes ont, elles aussi, fermé leurs écoles. Une sorte de cacophonie générale qui a mis à mal bon nombre d’équipes pédagogiques mais aussi les inspecteurs de l’éducation nationale.

Ne recevant aucune directive du directeur des services académiques de l’Éducation Nationale, ces derniers ont eu du mal à accorder leurs violons. « Les IEN ont réagi, ou pas, mais surtout de façon complètement contradictoire. Par exemple, dans des villes où les maires avaient pris la décision de fermer les écoles, certains ont exigé la présence des enseignants dans les locaux, pour la journée dans certains cas, pour l’accueil des familles dans d’autres. Le DASEN n’a réagi qu’en fin de journée » explique Pierre. Lundi 30 septembre, toutes les écoles ont ouvert quel que soit leur état. Le ministre Blanquer l’avait assuré lorsqu’il s’était rendu sur les lieux vendredi 27. « Dès lundi matin, les cours reprendront normalement » annonçait-il aux médias avant même d’en informer les Rouennais. Mais cette information n’a été confirmée officiellement par la préfecture et la direction académique, réunis en cellule de crise tous le week-end, que dimanche 29 septembre 2019 à 18 heures.

« Les services de la préfecture nous ont assuré que toutes les écoles seraient nettoyées avant l’arrivée des élèves lundi matin. Ce qui a été le cas. La DSDEN nous a aussi dit que trois écoles présentaient des signes plus inquiétants que les autres, sans que l’on sache de quels signes il s’agit et surtout, sans que l’on sache quelles sont ces écoles. Elles ont été nettoyées avec un protocole particulier RRS » Une forme d’omerta, de loi du silence voilà ce que dénoncent principalement les organisations syndicales dont le SNUipp-FSU.

Résultat, le lundi, c’était panique générale chez les enseignants et les parents. Personne n’était rassuré, aller travailler ? Laisser ses enfants à l’école sans avoir de réponse sur ce qui s’est passé ? « Il n’y avait pas beaucoup d’élèves, les parents ont préféré les garder… »

Une scène digne d’un film de sciences fiction

Mais depuis, ce n’est plus le nuage qui inquiète les enseignants, et la population rouennaise, ce sont les retombées de suie. Dans les écoles, des traces noires sont apparues un peu partout, sur les murs, les toits, les fenêtres, la cour et les jeux qui s’y trouvent. Les représentants du SNUipp-FSU ont fait le tour des écoles et dans l’une d’entre elles, ils ont assisté à une scène digne d’un film de sciences fiction. « C’était l’heure de la pause méridienne, le directeur avait interpellé la municipalité sur l’émergence de traces noires. Des équipes de techniciens se sont présentées à l’école pour effectuer des prélèvements. C’était hallucinant ! Ils portaient tous des combinaisons imperméables, des gants et des masques alors que nous étions à quelques mètres, dans l’enceinte de l’école avec les élèves, et que nous savions qu’à un moment ou à un autre, on aurait à repasser par là ». L’après-midi même, la ville envoyait une équipe nettoyer la cour et bâcher le bac à sable.

Mais malgré le nettoyage, les élèves ne peuvent sortir en récréation, les feuilles qui tombent des arbres sont elles aussi chargées de suie. « Nous ne sommes pas rassurés, en tant qu’enseignant mais avant tout en tant que citoyen rouennais, nous ne connaissons pas la composition de cette suie. Je ne veux pas tomber dans le complotisme, mais concrètement Blanquer a dit qu’il fallait rouvrir alors on a rouvert. Mais on n’était pas prêt. On a l’impression que le principe de précaution n’a pas été respecté. Comment on pouvait dire décemment que tout allait bien et que les enfants pouvaient retourner à l’école ? »

« Il a manqué quelqu’un qui prenne les décisions »

Avec la mise en place des PPMS – Plan Particulier de Mise en Sureté – la situation aurait dû être, à minima, sous contrôle. Ce n’est pas comme si les écoles n’avaient pas mis des heures à élaborer ce précieux document : PPMS alerte attentat – en cas d’intrusion ou encore le PPMS confinement, pour les situations analogues à celle-ci. Alors oui, les PPMS sont pensés pour les moments où les élèves sont en classe. Mais on pourrait imaginer qu’au niveau des préfectures et des directions académiques il existe aussi des protocoles pour mieux gérer ce genre de situation. Il faut croire que non.

« Les écoles du département doivent effectuer un exercice PPMS avant le 11 octobre. On appelle au boycott suite à la demande des collègues sur le terrain ». Finalement, ce sont, encore et toujours, les enseignants, derniers de cordée, qui ont dû gérer la crise avec les parents et les enfants. Ce sont eux qui se sont retrouvés exposés aux critiques faute de « chaîne de commandement efficace ». « Il a manqué quelqu’un qui prenne les décisions. On a tous eu peur des réactions des inspecteurs lorsqu’on disait aux parents qu’ils pouvaient garder leur enfant. Nous avions peur de ne pas être couverts par notre hiérarchie » conclut Pierre.

Près de quinze jours après l’explosion, les choses ne sont toujours pas très claires malgré la volonté de transparence affichée par le gouvernement. C’est pourquoi la majorité des organisations syndicales mais aussi les gilets jaunes, ATTAC, la confédération paysanne, le syndicat de médecine générale, plusieurs associations et collectifs appellent à manifester samedi 12 octobre devant le palais de justice. Leurs demandes ? Elles sont multiples mais révèlent toutes d’une volonté de comprendre ce qui s’est réellement passé.

Lilia Ben Hamouda