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« La géographie ça sert à faire de futurs citoyens, curieux et dotés d’un esprit critique. Ce sont mes trois objectifs de géographe ». C’est cette conception de la géographie, avec les instructions officielles, qui guide Virginie Estève, professeure d’histoire-géographie à la cité scolaire Serre-de-Sarsans de Lourdes, quand elle choisit de faire réaliser une storymap sur l’itinéraire d’une famille migrante en classe de 4ème. Alors que la classe politique semble alimenter sans cesse une vision négative des migrants, les professeurs s’obstinent à tricoter le tissu républicain, même en cours de géo…

Dans les médias les migrations sont présentées de façon négative. Peut-on encore parler des migrants en classe en termes humains ?

On le peut d’autant plus dans mon établissement que les migrations sont une réalité à Lourdes. Le collège de la cité scolaire est doté d’une classe UPE2A qui reçoit des élèves migrants. Nos élèves les côtoient et voient que ce sont des enfants comme eux. Ils voient aussi leur belle réussite ; l’apprentissage du français en quelques mois, leurs efforts pour s’intégrer et souvent la poursuite d’étude en lycée général. L’établissement va d’ailleurs mettre en place une « semaine des migrants » pour faire valoir leur présence et cette richesse dans l’établissement. C’est d’ailleurs pour casser avec le discours médiatique que ma séquence débute avec de l’audio.

Expliquez nous ça !

Les élèves sont saturés de médias et je voulais qu’ils échappent à la fascination des images sensationnelles sur ce sujet. Aborder la question des migrations par des extraits audio (en l’occurrence l’interview d’Omar Ouahmane sur France Inter) permet d’adopter un autre point de vue. Dans les 3 classes de 4ème où j’ai utilisé cette séquence très vite en entrant dans le documentaire audio les bruits cessent. Personne ne bouge. Les élèves sentent l’ambiance qui se dégage de l’émission. Ils ressentent la peur des personnes quand les passeurs quittent le bateau laissant les migrants seuls. Ils entendent les cris et les peurs. Ils sont figés et attachés à leurs écouteurs. Là j’ai senti que je les avais attrapés !

Durant toute la séquence les élèves travaillent en autonomie. Pourquoi ce choix ?

D’abord ils y sont habitués. Tout au long de l’année je travaille la collaboration et la coopération sur des projets variés. Chaque thème au programme se termine par un travail en petit groupe avec une production finale. Et on progresse comme cela vers l’autonomie.

Celle-ci reste relative. C’est un apprentissage. Ils sont en salle de classe. Je suis là. Ils ont des fiches méthodologiques à portée de clic. Mais il faut aussi que les élèves se confrontent aux difficultés pour progresser. Apprendre c’est devenir autonome. Et être autonome ce n’est pas être seul. C’est savoir vers qui se tourner en cas de difficulté.

En fin de séquence les élèves réalisent une storymap. C’est quand même un objet curieux, ni carte ni récit, pour le géographe…

C’est en le faisant que j’ai découvert son intérêt. L’intérêt du storymap c’est de décider ce qu’on va cartographier. Les élèves ont des informations de tous types y compris images et vidéos et ils doivent décider de ce qui va aller sur la carte. Or tout ne peut pas y aller. Tout n’est pas localisable. D’où la nécessité du récit. Or comme les élèves n’aiment ps les rédactions, le format de la storymap convient à merveille. Les élèves construisent une narration où ils peuvent glisser des éléments multimédia. Et ils obtiennent une réalisation finale de grande qualité qui les motive énormément. Tous m’ont rendu un travail !

Tout au long de la séquence les élèves passent d’un outil à l’autre car il faut utiliser des versions gratuites et donc limitées. Il y a de la débrouillardise. Mais ne serait il pas temps d’en sortir et d’avoir de vrais outils géographiques numériques de travail ?

Depuis quelques jours on sait qu’Edugéo a sorti une fonction de carte narrative. Cette solution existe maintenant. En même temps les travaux fins qu’ils sont obligés de faire pour passer d’un logiciel à l’autre ne sont pas inutiles. Ils se creusent la tête et ils apprennent des compétences informatiques qu’ils n’ont généralement pas.

Est-ce encore de la géographie qu’un travail sur une famille de migrants ?

D’abord je réponds à une demande institutionnelle : c’est dans le programme que de retracer le trajet d’un migrant. Ensuite La géographie ça sert à faire de futurs citoyens, curieux et dotés d’un esprit critique. Ce sont mes trois objectifs de géographe. C’est important de décrypter avec les élèves ce phénomène avec esprit critique et des outils d’analyse. C’est rarement fait dans les familles. On est bien au coeur de la géographie quand il s’agit de faire des jeunes qui sachent prendre de la distance et réfléchir.

Propos recueillis par François Jarraud

La séquence de V Estève est reprise dans la brochure de la DNE réalisée pour le festival de géographie.