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« Face à l’origine sociale des élèves, on ne peut rien faire ». Voilà un des mythes les plus répandus sur l’origine sociale des élèves. Ses effets sur leur parcours scolaire est bien réel. Tout enseignant est forcément confronté aux inégalités sociales de réussite scolaire. C’est à cette montagne que Patrick Rayou, en bonne compagnie, s’attaque dans un petit livre édité par Retz (L’origine sociale des élèves, collection Mythe set réalités). Objectif : remettre en question des mythes qui invitent l’école à se débarrasser des inégalités sociales ou, au contraire, à croire qu’elle peut tout changer (par exemple : le mérite suffit). Pour les auteurs cette promenade des deux cotés des mythes ne doit pas amener à l’immobilisme ou au désespoir. Bien au contraire il s’agit de regarder avec lucidité ce que l’on peut espérer « pour que le mythe ne nous détourne pas de l’idéal ». Patrick Rayou nous éclaire.

Voilà un volume qui fait honneur à une collection déjà bien repérée par les enseignants (que l’on pense aux volumes sur les neurosciences, l’intelligence, l’innovation pédagogique par exemple). Patrick Rayou, accompagné de 10 auteurs bien connus (Agnès Van Zanten, Vincent Dupriez, Stéphane Bonnery, Séverine Kakpo, Julien Netter, Yves Alpe, Marie Sylvie Claude, Marie Noëlle Dabestani, Elise Tenret et Stéphanie Rubi) explore dix mythes qui renvoient au poids des origines sociales des élèves , répartis en deux familles. D’un coté les mythes qui soutiennent que l’école peut tout face à aux inégalités sociales, de l’autre qu’elle n’y peut rien. Au centre de la confrontation la question de la survie de ces mythes. Les travaux que P Rayou et ses auteurs présentent dans ce petit livre sont souvent bien connus. Mais pourquoi n’arrivent ils pas à s’imposer aux mythes ?

Vous analysez dix mythes sur les origines sociales des élèves. Certains sont bien ancrés dans les mentalités. Par exemple l’idée que l’on peut dépasser sa condition sociale grâce au mérite. C’est vrai ?

Le mérite est la clé de voute de l’école de la République. Une école dont la vocation est de rebattre le jeu de cartes social à chaque génération si elle n’accréditait pas l’idée du mérite n’aurait pas de raison d’être. Elle suppose qu’elle récompense le mérite de chacun.

Dubet dit qu’il y a des choses auxquelles on a besoin de croire. Le mérite en fait partie. Car si on imagine qu’on fait travailler des élèves dont les résultats sont déjà socialement pré définis, l’école n’a plus de raison d’être.

La question c’est de savoir si le mérite lui-même est à l’abri des influences sociales. Peut on par exemple agir sur les conditions qui produisent le mérite ? On a par exemple une vision qualitative du travail scolaire qui peut faire penser à certains élèves que leur travail n’est pas reconnu ou qu’ils sont bêtes quand ils ne réussissent pas. La question du mérite est liée au peu de volonté que l’on a d’entrer dans les méthodes des élèves ou leur processus d’orientation.

Autre idée : les programmes d’ouverture sociale peuvent remédier aux inégalités sociales par exemple dans l’accès aux filières recherchées. C’est vrai ?

On peut prendre en exemple les Cordées de la réussite. Elles réussissent aux élèves qui sont pris en main. Ca confirme que quand on s’occupe des élèves, ça marche. Quand on veut faire réussir l’élite on sait ce qui marche : c’est prouvé avec les « colles » données en classes préparatoires. Les élèves apprennent à mobiliser leurs ressources, à lutter contre l’angoisse.

Mais ces programmes , qui s’adressent à des élèves à haut potentiel, sont couteux. Il s’adressent à des élèves déjà en réussite scolaire et sociale.

Dans le livre vous passez ainsi en revue 5 mythes qui prétendent démontre que l’école peut tout et 5 que l’école peut rien aux inégalités sociales. Mais au bout du compte que concluez vous ? Elle peut tout ou rien ?

Ca dépend pour qui ! Pour ceux qui sont préformatés pour entrer à l’école, elle peut beaucoup. Il faudrait que l’école se donne les moyens d’ausculter davantage les élèves, d’imaginer le type de relation nécessaire et de construire des réponses adaptées à tous. Le problème de l’école c’est que son universel ne correspond qu’à un seul type d’élève. C’est ce que vérifie le mythe du mérite qui peut tout. Ca évite de se poser al question de l’origine de l’échec scolaire.

Comment expliquer la force de ces mythes s’ils sont si facilement déconstruits comme vous le faites dans votre livre ?

On peut terrasser l’erreur. C’est plus difficile de dissiper l’illusion. Car celle ci correspond à un besoin vital. Par exemple il y a une tendance des élites sociales à repousser l’échelle qui leur sert à monter. Mais comme ce n’est pas compatible avec les options démocratiques affichées, on s’appuie sur le mythe, par exemple le mérite. C’est une façon de figer l’histoire pour rendre le monde vivable et explicable. Les mythe sont leur utilité sociale. Ils justifient l’injustifiable.

Les droits d’auteur de l’ouvrage sont donnés à ATD Quart Monde. C’est une façon de dire que la réponse aux inégalités sociales est hors de l’école ?

C’est une façon d’éroder le mythe qui voudrait qu’aider des organisations de terrain puisse faire bouger les inégalités.

Propos recueillis par François Jarraud

Patrick Rayou, L’origine sociale des élèves, collection Mythe set réalités, Retz, ISBN 978-2-7256-3777-8

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