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Les gauches ont-elles échoué avec l’Ecole ? Et si oui pourquoi ? Alors que les gauches de gouvernement accordent une grande importance à l’Ecole, les réformes scolaires durables ont souvent été faites par des gouvernements de droite. Ismaïl Ferhat réunit dans un ouvrage (Les gauches de gouvernement et l’école, PUR) des contributions de spécialistes (B Poucet, A Prost, J Cahon, etc.) qui illustrent cette contradiction. Si le mariage entre la gauche et l’Ecole a été étroit, c’est justement lui qui la rend impuissante à réformer l’Ecole et à conduire des politiques durables. Ismaïl Ferhat revient sur cette histoire et ces contradictions.

L’histoire de la gauche au pouvoir est marquée par des gestes forts envers l’école, que l’on pense aux années 1880, à 1936, 1981 ou 2012. Comment expliquer cet intérêt de la gauche pour l’Ecole ?

Il faut d’abord relever que la gauche est plurielle même si on s’en tient, comme dans le livre, aux gauches de gouvernement. Pour ces gauches l’intérêt pour l’Ecole semble presque naturel. C’est une sorte de légitimité symétrique avec celle de la droite pour l’économie. Le pari du lire c’est d’aller voir ce qui se cache derrière cette position « naturelle ». Car on se rend compte que la gauche est très divisée sur les question scolaires, le collège, les contenus, les méthodes pédagogiques. Toutes les questions éducatives sont des sujets de clivage à gauche.

Il y a une gauche élitiste ?

Si on veut dire par « élitiste » attaché aux méthodes traditionnelles, alors oui. Il y a ce courant de pensée aussi bien au PC, que chez les radicaux ou au PS. Pour eux les savoirs traditionnels, l’école bourgeoise, sont importants pour l’émancipation. C’est la position de personnalités comme G Cogniot pour le PC (lire l’article sur la condamnation de Freinet par le PC NDLR), Chevènement pour le PS par exemple. Pour eux les pédagogies plus ouvertes sont condamnables car inefficaces et injustes pour les catégories populaires.

Dans ce cas à quoi tient le mariage entre les gauches et l’Ecole ? C’est une affaire de réseaux ?

Il y a trois explications. D’abord il y a l’héritage des Lumières et de la Révolution. Pour ces héritiers le savoir est émancipateur et cette idée marque la différence avec une certaine droite qui se méfie de la science et de la connaissance. Après le lien avec l’école peut varier. Certains sont pour les savoirs traditionnels. D’autres suivent Illich dans le désir de suppression de l’école. On va trouver de ses disciples chez les écologistes par exemple.

Une seconde explication tient à la place particulièrement importante que l’on donne en France à l’instruction. Sous la IIIème République c’est un thème majeur de la vie politique.

Enfin on peut faire une analyse sociologique et montrer l’interpénétration entre la gauche et les personnels de l’éducation. Le PS a pu apparaitre, par exemple, comme le parti des profs.En 1981 la moitié des nouveaux députés PS viennent de l’enseignement.

Aujourd’hui que reste -il de ces réseaux ?

Les partis de gauche, comme le PS, ont connu un déclin général qui est aussi celui du militantisme enseignant. Le vote des enseignants reste à gauche maos avec des fluctuations.

Le discours de gauche sur l’Ecole est passé dans le discours commun. Ferry et même Zay sont récupérés par les autres partis politiques. La gauche a -t-elle perdu sa légitimité sur les questions scolaires ?

Il faut relativiser. De grandes réformes éducatives ont été faites par la droite comme le collège unique par exemple ou le socle commun. Ce n’est pas un hasard si c’est la droite qui a mis en place le collège unique. La question était trop clivante à gauche. D’ailleurs quand la question du collège a été ouverte à nouveau en 2015, les vieux clivages sont réapparus. Mais la gauche continue à accorder une grande importance à la question scolaire. Et des clivages apparaissent aussi à droite, sur le socle par exemple.

C’est la désunion de la gauche, comme le dit A Prost, qui a fait échouer ses politiques éducatives ?

La droite n’ a pas à payer le même prix électoral que la gauche suite à des réformes. Qu’on se rappelle l’époque d’Allègre ou la réforme du collège en 2015 : ces épisodes montrent que la gauche a beaucoup à perdre avec les questions scolaires. Comme la question est sensible la division a pu être un obstacle aux réformes. Justement car elle accorde beaucoup d’importance à l’école.

Peut-on dire que la Gauche a échoué en matière éducative ?

Une grande partie des réformes qui ont transformé le système éducatif ont été faites par la droite, sous de Gaulle par exemple. On se rappelle la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, le collège unique, les BTS etc. Mais il y a eu aussi des réforme de gauche : les zep, la loi Savary, le bac pro, la loi Jospin sur la formation , le socle pérennisé , la loi Peillon etc.

Propos recueillis par F Jarraud

Ismaïl Ferhat (dir), Les gauches de gouvernement et l’école. Programmes, politiques et controverses du Front populaire à 2012. PUR éditions, ISBN 978-2-7535-7818-0

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