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L’inspection générale n’a pas (plus ?) le choix du thème de son rapport annuel. Mais elle garde sa liberté dans la façon de le traiter. Démonstration est faite avec le rapport 2019 pour lequel le thème imposé était « l’autonomie des établissements ». Cet incontournable de la pensée blanquerienne sur l’éducation est soigneusement recadré par l’inspection. Certes toutes les arguments de Cap 22 s’y retrouvent. Mais au final, le rapport préconise de ne pas changer grand chose…

L’autonomie c’est du top down

« L’essentiel, en matière d’autonomie des établissements scolaires, ne réside pas dans une évolution du cadre juridique actuel, mais dans la capacité des établissements (équipes de direction comme équipes pédagogiques et éducatives) à en utiliser les potentialités ». Cet aveu de bon sens conclut un rapport commandé par un ministre qui dans ses ouvrages prône l’autonomie des établissements. Il est publié quelques jours avant l’entrée en fonction du CEE, ce nouveau conseil, voulu par JM Blanquer, pour qui évaluer le système éducatif revient à évaluer chaque établissement.

L’Inspection a observé de près plus d’une centaine d’établissements et s’est offert des séjours à l’étranger pour mieux comprendre l’intérêt de l’autonomie des établissements. Elle a aussi beaucoup lu pour faire un état des recherches.

Son premier bilan c’est que « l’établissement se trouve à l’articulation d’une conception « descendante » de l’autonomie, qu’on lui enjoint de manière très significative de « mettre en oeuvre », et d’une conception que l’on pourrait qualifier d’« ascendante », dans laquelle il est appelé à définir ses besoins, objectifs et moyens d’action dans le respect du cadre national ». Autrement dit, le désir d’autonomie des établissements c’est surtout le désir du centre. C’est « top down », une injonction à l’autonomie sur des acteurs qui n’en peuvent mais. L’inspection explique que c’est partout comme cela « de fait les établissements scolaires acquièrent de nouvelles libertés malgré eux ».

Une application réelle prudente

Du coup, les chefs d’établissement y vont prudemment sur les marges d’autonomie dont ils disposent. « Ces nombreuses actions relevant du pilotage pédagogique sont rarement mises en rapport explicite avec une politique d’établissement pensée et assumée, voire formalisée dans un document qu’il serait possible de présenter lors de la réunion des instances ou aux nouveaux personnels. Beaucoup de réalisations dans ce domaine non seulement sont peu visibles, notamment du corps enseignant, mais ne sont pas organisées autour d’une ligne directrice propre. À cet égard, le projet d’établissement et le contrat d’objectifs ne sont le plus souvent que des déclinaisons relativement générales du projet académique », affirme le rapport. « La question de « l’autonomie pour quoi faire ? » reste trop souvent non formulée. Le « quoi » et le « comment » prennent souvent le pas sur le « pourquoi » ».

Ainsi l’inspection relève, sans surprise, que l’autonomie se limite souvent à la gestion de la marge d’autonomie dans la DHG et que celle-ci sert surtout à maintenir les équilibres humains des établissements. Concrètement : préserver les postes. L’inspection souligne que cela vient bien avant « l’analyse des performances de l’établissement » qui devrait à ses yeux être la préoccupation première en matière d’autonomie. « Les indicateurs (résultats scolaires courants, résultats aux examens, absentéisme, exclusions, taux d’accès troisième-seconde/seconde-terminale, poursuite de formation ou d’études, etc.) sont souvent peu ou mal identifiés, et insuffisamment employés, par les professeurs comme par les équipes de direction. Une raison majeure à cet état de fait est la crainte d’être conduit à porter des jugements les uns sur les autres ou d’être soi-même jugé, non pas sur sa compétence ou son engagement professionnel, mais sur des résultats, eux-mêmes dépendants d’un grand nombre de facteurs, parfois externes, et auxquels les intéressés n’ont que partiellement contribué ».

L’autonomie pour qui ?

A l’autonomie « pourquoi » on pourrait ajouter l’autonomie « pour qui ». Car le rapport met en évidence ce que l’autonomie pourrait impliquer pour les enseignants. Et là on entre dans le débat de l’année 2020 sur le métier enseignant. L’inspection rappelle que le service enseignant ne se réduit pas aux heures de cours et doit se faire « dans le cadre de la réglementation applicable à l’ensemble des fonctionnaires », allusion aux 1607 heures annuelles dues dont on va sans doute beaucoup reparler dans le cadre de la réforme des retraites. L’inspection rappelle un rapport de France Stratégie et celui de Cap 22, un collectif proche d’E Macron. On a là tout ce que promet le (futur ?) nouveau métier enseignant : temps de présence obligatoire en établissement pour faire les remplacements, temps de travail en commun, temps de suivi des élèves, temps de formation sur les congés, « valorisation » de l’évaluation du chef d’établissement , salaire au mérite via des IMP augmentées, annualisation du temps de travail prévue par la loi Blanquer et même l’obligation de mobilité, remise au gout du jour par le rapport Brisson Lagarde. Mais le rapport ajoute que « Il convient néanmoins de relever que les équipes pédagogiques et éducatives rencontrées par la mission sont réticentes à tout ce qui peut être interprété comme un renforcement du pouvoir personnel du chef d’établissement » et ne reprend pas ces préconisations.

L’autonomie aide t-elle les élèves ?

Mais l’autonomie est-elle bonne pour les résultats scolaires ? Le rapport souligne d’abord qu’elle n’est pas possible partout, par exemple dans des établissements trop petits ou trop isolés. Surtout il se livre à une analyse des recherches qui s’avère guère concluante. Il cite « des corrélations sous certaines conditions et dans certains contextes ». Au final, c’est « un facteur parmi une constellation de facteurs ». Et puis il y a le cas de la Suède qui est rappelé. C’est le pays qui est allé le plus loin en ce sens. Et finalement le niveau scolaire a baissé et la crise de recrutement des enseignants et des chefs d’établissement a explosé.

Des préconisations toutes en prudence

Au final, l’inspection adresse une vingtaine de préconisations. On y trouve « étendre à l’ensemble des EPLE la possibilité du recrutement sur postes à profil, dans le cadre de missions clairement définies en fonction des besoins et du projet d’établissement », l’incitation des chefs d’établissement à s’inviter dans les cours, la mise en place de temps obligatoires de réunions d’équipes ou encore à accorder plus d’importance aux évaluations de l’établissement. Mais l’idée sur laquelle insiste l’inspection c’est celle « d’autonomie ascendante » :  » la mission propose à la réflexion la notion d’autonomie « ascendante » comme modalité de reconnaissance par l’autorité académique des spécificités et besoins de chacun des établissements. Il ne s’agit pas là d’accorder leur indépendance à des EPLE qui sont les unités de base du service public de l’éducation nationale, mais d’inviter les académies à les appuyer, dans le respect du cadre des politiques nationales, dans la définition et la mise en oeuvre de leur projet ». Un voeu pieux.

F Jarraud

Le rapport

L’échec de la réforme suédoise