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PDF et QCM, cours « magistraux » en classe virtuelle, devoirs scannés puis notés : l’enseignement à distance nous enfermerait-il dans des pratiques traditionnelles ? N’inviterait-il pas au contraire à explorer tous les possibles du numérique pour libérer la créativité des élèves, imaginer de nouveaux cheminements dans les savoirs, favoriser les interactions et les partages, faire davantage communauté apprenante ? En voici la démonstration concrète par des professeur.es de lettres qui nous présentent chacun.e une activité mise en œuvre durant cette période de confinement. Point commun : ces enseignant.es et leurs élèves menaient précédemment des pratiques numériques. D’où une confirmation : les habiletés techniques, la créativité, l’esprit collaboratif, l’autonomie… sont bel et bien des processus, ce qui suppose un apprentissage au long cours. Autant dire que se dessine un beau défi, y compris pour la formation : faire tout à la fois du numérique et de la pédagogie la voie d’une émancipation ? y compris pour un enseignement en présence ?

Laila Methnani : Faire de la classe virtuelle un arbre à palabres

« Le projet « l’arbre à palabres » vise à développer les compétences de l’oral dans une séquence de 6ème sur Leuk-Le-Lièvre de Léopold Sédar Senghor : lire un texte de manière expressive et favoriser le débat entre les élèves sur les contes africains et leur dimension morale. Au-delà, l’ambition était de préserver le tissu relationnel des élèves dans la classe, de favoriser de nouvelles interactions pour maintenir la coopération et l’entraide : « #Restez à la maison, ensemble. » Mais comment faire de sa classe virtuelle un arbre à palabres ? Comment poursuivre les pratiques de cercle de lecture engagées à la maison ?

Mes élèves se sont vus confier un recueil de contes africains en ligne. Chacun a choisi un conte qu’il s’est entraîné à lire à voix haute. L’élève pouvait travailler en binôme ou seul. Il devait agrémenter sa lecture d’une musique ou de sons « ritournelle » avec les objets à sa disposition, pris dans la cuisine ou le salon familial.

Deux séances en classe virtuelle ont permis à une quinzaine d’élèves de lire leur conte et d’être dans le partage du récit. Chaque séance a rassemblé entre 20 et 22 élèves sur 25. Le « tchat » de la classe virtuelle et l’usage du micro ont permis à chacun de parler de l’histoire, de s’encourager et de se féliciter.

J’ai pu regretter l’absence de certains et la nécessité de rester sur des séances de 45 minutes pour ne pas épuiser l’attention de jeunes élèves ; sans quoi, l’analyse de la « morale » des contes choisis aurait pu être plus poussée. Ce travail a permis de questionner l’importance du silence à l’oral, de faire émerger l’importance de la mise en scène de la voix tout en ouvrant une fenêtre sur l’Afrique, une invitation aux voyages. L’objectif de continuer à faire vivre les relations entre les élèves dans la classe de français a été atteint puisque les échanges se poursuivent entre les élèves en classe virtuelle et sur le fil de discussion de la classe : l’entraide et la coopération tiennent bon dans le contexte du confinement.

Le plaisir des élèves reste la récompense pour l’enseignant.e : des émôticones, des encouragements, de la bienveillance entre eux qui se lisent comme autant de petites marques d’humanité numérique. »

Laïla Methnani dans Le Café pédagogique

Grégory Devin : Exercices de style en 3ème

« Réaliser un centième exercice de style, à la façon de Raymond Queneau, était l’un des objectifs d’une séquence menée en troisième, sur la poésie. La séquence avait débuté de façon assez classique : partir des représentations des élèves, dégager des invariants de la parole poétique, à l’aide d’un corpus aussi varié que possible, puis enrichir leurs connaissances avec une brève histoire de la poésie, avant de commencer à leur faire écrire des poèmes, assez libres, pour leur permettre d’acquérir quelques outils (vocabulaire, figures de style, versification…). La prochaine étape, plus ambitieuse, était de participer aux défis du Printemps des Poètes, lancés par la Page des Lettres de l’académie de Versailles, puis d’étudier les Exercices de Style, afin de leur proposer d’en concevoir un nouveau. Quand le confinement a été décidé…

Malgré les contraintes immenses posées par cette situation, j’ai décidé de conserver cette dynamique de projet. Mais cette façon de travailler n’était possible que si les élèves avaient acquis suffisamment d’autonomie (qui ne peut se décréter, mais doit faire l’objet d’un apprentissage spécifique) et de maîtrise au niveau des outils numériques (ENT, réseaux sociaux, bureautique partagée). Dans l’ensemble leurs travaux ont été pertinents. Nous avons d’abord analysé la structure des Exercices de Style, qui repose sur un mélange étonnant et vivifiant de répétitions et d’inventivité. Puis ils/elles se sont inscrit.es dans un tableur en ligne : qui travaille avec qui, et sur quelle contrainte nouvelle. Ensuite ils ont établi un calendrier : envoi d’un premier brouillon, reprise, amélioration en tenant compte des conseils, finalisation… Il y avait donc un va-et-vient constant durant une semaine. L’enjeu était de les intéresser d’aussi près que possible au projet, afin qu’ils ne se cantonnent pas aux rôles d’exécutants. Quelques exemples de travaux réalisés : en langage des signes, tout au féminin (parité oblige), en patois normand, en corse, dans l’univers des jeux vidéo…

Bien entendu, en cours, leurs travaux auraient pu être meilleurs. Notre présence est indispensable par mille petits gestes du quotidien. Mais s’engager dans un projet porteur de sens, travailler à plusieurs, tenir compte des conseils dispensés car touchant à leur propre créativité, semble également une façon opportune de conserver le lien, quand celui-ci est encore possible. Le dernier travail proposé s’est d’ailleurs inscrit dans cette logique : il s’agissait de choisir trois poèmes dans un corpus étendu, et de justifier ses choix en s’appuyant sur la langue et les thèmes, à travers une courte vidéo, envoyée ensuite par l’ENT. Ce qui m’a donné l’occasion, et le plaisir, de les voir un peu. »

Les réalisations des élèves

Grégory Devin dans Le Café pédagogique

Manon Brunet : Une revue poétique de classe

« Après avoir mené une séquence intitulée « Jacques Prévert fête ses 120 ans ! » portant sur l’objet d’étude « visions poétiques du monde », les élèves de troisième sont invités à concevoir à distance, de manière contributive, la revue poétique de la classe. Il s’agit d’un travail d’écriture mené sur plusieurs séances qui consiste à inventer des textes poétiques en respectant des contraintes. Les productions sont répertoriées et valorisées sur l’ENT afin qu’elles soient visibles et consultables par tous les élèves de la classe mais aussi par leurs responsables et leurs professeurs dans l’esprit d’une exposition virtuelle.

Activité 1 : rédiger un poème en prose à la manière de Francis Ponge sur un objet du quotidien que les élèves choisissent.

Activité 2 : raconter un rituel de son quotidien en s’imposant la règle du lipogramme excluant la lettre « e » (avec possibilité d’ajouter un titre en utilisant un mot-valise).

Activité 3 : réaliser un acrostiche sur une personne qu’on apprécie (célèbre ou non).

Activité 4 : imaginer un calligramme sur le thème du courage (thème du Printemps des Poètes édition 2020).

Activité 5 : participer au projet #infraPerec consistant à décrire dans l’espace limité d’un tweet un objet du quotidien imposé.

Pour s’aider lors de la rédaction, les élèves peuvent consulter des dictionnaires en ligne (le CNRTL), et utiliser des analyseurs permettant de vérifier que certaines contraintes ont bien été respectées (par exemple : l’absence de « e » pour l’activité 2 et le respect des 280 caractères pour l’activité 5). Les productions sont publiées par les élèves sur Padlet, un mur collaboratif à publication modérée, puis relues, corrigées et publiées sur l’ENT et/ou sur Twitter (activité 5).

Le temps de correction n’est pas négligeable mais ce type de travail installe les élèves dans une dynamique d’écriture quotidienne qui mêle maniement de la langue et jeu. L’utilisation du numérique est particulièrement adaptée pour communiquer avec les élèves, les conseiller et les aider, et facilite aussi la récupération et la publication des productions. »

Manon Brunet dans Le Café pédagogique

Françoise Cahen : Le commentaire collaboratif en classe virtuelle

« Le confinement a été l’occasion de mettre en pratique plus souvent le commentaire-forum collaboratif : il est très adapté au commentaire linéaire à distance. Le principe : on lit d’abord un texte en classe virtuelle ensemble et on partage sa réception, les impressions globales de chacun, en repérant les éventuelles difficultés de compréhension.

Ensuite on copie-colle dans le tchat le premier paragraphe et les élèves font des hypothèses, commentent plus précisément le paragraphe. On voit ainsi apparaître les réactions d’élèves qu’on n’entend pas d’habitude en classe. Le tchat n’est ni un écrit ni tout à fait un oral, il est un entre-deux intéressant pédagogiquement, puisqu’il permet de dialoguer sans impressionner les timides, et il permet aussi de chercher des formulations qui peuvent aller doucement vers l’écrit tout de même… Le professeur de français, à ce moment là doit être assez tolérant sur l’orthographe pour éviter de brimer les élèves…

Enfin, une fois que la séance est terminée, on peut tout à fait reprendre le fil du tchat pour en faire la synthèse en vue des révisions pour le bac, en élaborant un document qui part du copier-coller des remarques des élèves. »

Sur la lecture linéaire à distance

Françoise Cahen dans Le Café pédagogique

Isabelle Albertini : Cercles de lecture en 2nde

« Juste avant le confinement, un groupe WhatsApp a été créé pour chaque classe. Les secondes ont ensuite eu l’idée d’ouvrir un espace-classe sur l’application « Discord ». Dès lors, tous nos cours ont eu lieu sur ce média. Le procédé a été reconduit pour chaque classe, de la seconde aux BTS. Les moyens « vocaux » de ce dispositif sont intéressants : tous les élèves sont en ligne, leur micro est en « silencieux » pour éviter les interférences ; ils passent en mode « audible » à la demande. Quand un élève prend la parole, un fil d’écriture simultané est actif et permet les questions des autres élèves. Ainsi, les échanges, à la fois écrits et oraux, sont denses. De mon côté, j’interviens pour approfondir, relancer ou arbitrer.

Nous menons par exemple un cercle de lecteur en seconde. Nous avions mis en place la méthode de la 2ème partie de l’oral des EAF : parler d’un livre étudié en classe et qu’on a aimé, dans un propos organisé sur différents plans (personnel, symbolique, anthropologique…). Nous réactivons cette méthode autour de lectures personnelles. Chacun prépare ses notes pour une prise de parole de 3mn, en direct sur Discord. Quand l’orateur présente l’ouvrage qu’il aime, les autres interviennent dans le fil « écrit » et l’orateur répond ensuite. Les échanges ont duré deux heures. La richesse – et la variété – des lectures a émergé. Nous avons par exemple abordé la dimension anthropologique et épique des Mangas à partir de certaines propositions. La classe a demandé la reconduction du dispositif après le confinement et en mode numérique, mentionnant que « s’écouter parler des livres permettait de mieux se « découvrir »» .

En première, nous travaillons aussi la lecture expressive par échange de capsules audio par WhatsApp puis Discord. Chez eux et sur un googledoc partagé avec moi, les élèves annotent un texte jusqu’à réaliser une « partition » par un jeu de codes visuels guidant la voix lors de la lecture. Chacun enregistre ensuite sa lecture expressive sur WhatsApp et l’envoie à l’enseignante. Pendant la séance sur Discord, la capsule audio est diffusée à tout le groupe. Simultanément, le texte annoté est partagé dans le fil « écrit » pour mieux comprendre les choix. Après écoute, la parole circule. Cette activité permet soit de revenir sur un texte déjà étudié, soit de découvrir les possibles sens d’un texte à venir. »

Isabelle Albertini dans Le Café pédagogique

Marie Soulié : Le procès de Renart en classe virtuelle

« En cette période tout à fait particulière, l’isolement des élèves et notamment des plus en difficultés s’accentue. C’est pour cette raison que j’ai choisi de mettre en place un travail collaboratif à distance dans la séquence « Résister au plus fort : ruses, mensonges et masques ».

Mes deux classes de sixième vont donc s’affronter lors du procès de Renart organisé en visioconférence. Chaque classe aura d’abord pendant une semaine un temps de préparation en dehors de la présence du professeur dans une salle secrète (sur Padlet) prévue à cet effet.

Puis un rendez-vous est fixé dans une classe virtuelle pour défendre ou accuser Renart face au professeur qui présidera la séance. Les audiences, sous forme de « battles » de quinze minutes, se tiendront le vendredi 15 mai. Chacun pouvant faire gagner ou faire perdre des points à sa classe.

Les objectifs de ce projet sont multiples : créer un lien social en cette période d’école à distance ; échanger des idées, s’organiser, prendre des responsabilités ; se faire confiance ; manipuler des outils numériques collaboratifs. Je vous tiendrai informé sur mon blog des résultats. Affaire à suivre… »

Le projet détaillé

Le blog de Marie Soulié

Marie Soulié dans Le Café pédagogique

Amélie Mariottat : Écriture collaborative autour de l’Odyssée

« En 6ème, le confinement est survenu alors que nous commencions la lecture de l’Odyssée. J’ai modifié toutes les modalités pédagogiques et peu à peu, j’ai mené des visio de plus en plus satisfaisantes jusqu’à la mise en place d’une écriture collaborative. En général, j’utilise le chat pour faire écrire les élèves tous en même temps : je laisse le chrono et ils envoient tous en même temps le résultat, je lis, je valide, je corrige, on partage, on s’inspire des réponses, on compose à partir d’éléments choisis. Pour aller plus loin, j’ai souhaité utiliser un pad pour privilégier l’écriture longue et collaborative.

À partir de la création d’un monstre via l’application BNF, avec un brouillon accompagné, nous sommes arrivés à mener une belle séance d’écriture avec framapad pour l’écriture et la visio pour les commentaires avec ma voix. Les deux outils sont ouverts en même temps. Dix-sept élèves volontaires ont tenté l’expérience de l’écriture collaborative. Le but était de garder l’idée d’une écriture brouillonnante à la manière de Dominique Bucheton. Cela a été un très beau moment de travail et de partage. Je renouvelle l’expérience avec tous les élèves cette fois en petits groupes à la rentrée.

Les activités qui fonctionnent le mieux avec le recul de ces quelques semaines sont celles qui ont une socialisation, une publication qui donnent lieu à un retour entre élèves ou en famille. Pour mettre en œuvre la différenciation, j’ai essayé de penser mes consignes en choisissant précisément les mots tout en intégrant la rétroaction.

Écriture collaborative autour de l’odyssée

Amélie Mariottat dans Le Café pédagogique

Bruno Vergnes : Une webradio réalisée à distance

« Dès le début de cette période d’isolement des élèves, il y avait plus important encore que de poursuivre les apprentissages scolaires, il fallait maintenir les liens sociaux entre les élèves et la communauté éducative. L’idée nous est venue de réaliser à distance de courtes émissions de webradio. La semaine des médias, organisée par le CLEMI, est habituellement un rendez-vous fort au collège. Les élèves, mais aussi d’autres membres des personnels du collège, ont été invités à rédiger puis à enregistrer de courtes chroniques, souvent avec leur téléphone, puis à les faire parvenir aux enseignent par l’ENT ou par e-mail. Le montage était fait par un enseignant sur un logiciel de montage et l’émission devait être mise en ligne rapidement. La première semaine nous avons produit une émission par jour et nous continuons avec une émission par semaine. Cela a permis de motiver les élèves à travailler chez eux, à l’écrit et à l’oral. Ce dispositif est complètement transdisciplinaire, les chroniques abordent les Lettres mais aussi les Langues, les Sciences, l’Histoire… la dernière émission en date est animée par deux collègues d’EPS, le chef de cuisine du collège a également participé. Mais cette expérience a aussi permis à des collègues d’oser animer une émission et d’élargir leur champ de compétence. Je pense que la webradio au collège Pierre Emmanuel risque de devenir un dispositif central car nous y avons pris collectivement beaucoup de plaisir. »

La webradio

Bruno Vergnes dans Le Café pédagogique

A suivre …

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut