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Impatience des élèves de revoir les copains, joie des enseignants de retrouver leurs élèves, non dénuée d’une certaine appréhension avec les contraintes qui demeurent… La reprise des cours avec tous les élèves, censée marquer la deuxième phase du déconfinement, s’est déroulée hier dans le bon ordre et dans la bonne humeur au collège Gustave Flaubert, à Paris (13ème). Les enseignants et le personnel étaient quasiment au complet mais pas tous les élèves. Sur un total de 560 élèves, 355 (63%) étaient présents contre 280 (50%) la semaine passée. Une progression sensible mais, malgré l’annonce du caractère obligatoire de la reprise scolaire, l’établissement n’a pas fait le plein. Reportage.

Sur la rampe d’accès au collège Gustave Flaubert, un bâtiment moderne entouré de restaurants et d’épiceries asiatiques, des petits groupes d’élèves pressent le pas en bavardant et rigolant. Les habitués, déjà rentrés en classe, accrochent vite leur masque et stoppent sur les traits blancs qui marquent au sol la « distanciation sociale ». Les nouveaux, qui retrouvent seulement le chemin du collège, les imitent. Il est 8 heures 45, ils sont les premiers à pénétrer dans l’établissement – des élèves de la 6ème 1 et de la 5ème 1. A 9 heures, ce sera au tour de deux autres classes de rentrer. Puis un quart d’heure plus tard, de deux autres classes encore…

Organisation méticuleuse

Pour éviter que les élèves ne se croisent et ne se touchent, le collège a adopté une organisation méticuleuse, peaufinée au fil des dernières semaines à partir des premiers retours d’élèves en classe le 3 juin.

Sixièmes et cinquièmes ont cours trois heures d’affilée le matin, sans récré. Il faut dire que la cour, très vaste, est dévolue aux cours d’éducation physique et sportive (EPS), la ventilation du gymnase n’était pas adaptée aux mesures sanitaires. Puis ils reviennent à 14 heures pour les langues vivantes – outre l’anglais en LV1, l’espagnol, le coréen et l’allemand en LV2 -, dispensées par groupes et non par classes entières.

Pour les 4èmes et les 3èmes, c’est le rythme inverse : langues vivantes le matin et trois heures de cours l’après-midi dans les autres disciplines. Au total, les élèves ont environ 18 heures de cours hebdomadaires contre 24 heures habituellement.

Moins de petits groupes

Les élèves qui venaient sur une base volontaire jusqu’ici, étaient de plus en plus nombreux au collège Flaubert : jusqu’à 50% des effectifs la semaine passée. Une dizaine par classe d’abord, puis une quinzaine. Au delà, les classes ont été dédoublées. Au grand bonheur des enseignants. « Des professeurs venaient me dire combien c’est agréable d’enseigner devant une classe à quinze, ils étaient contents de pouvoir mieux s’occuper des plus en difficulté », explique la principale du collège Colette Chiche.

Avec la deuxième phase de déconfinement – l’obligation faite à tous les élèves de revenir en classe, accompagnée d’un allègement des mesures sanitaires -, il a fallu revenir à la raison… Les demi groupes ont été conservés pour les quatrièmes et les troisièmes, revenus plus tard au collège. Les cours pour les plus jeunes ont repris en classe entière.

« Nos salles sont souvent grandes, souligne la principale, il a été assez facile de mettre 1 mètre entre les élèves et de toute façon, ils gardent leur masque ». Les autres mesures sanitaires demeurent : lavages fréquents des mains, desinfection tout au long de la journée des poignées, des robinets, etc. … Le midi, les salles de classe sont désinfectées. La cantine, elle, n’a pas repris : lors d’un sondage début juin, seuls 4 parents s’étaient dits intéressés.

Parents et enseignants ensemble

Cette rentrée plutôt réussie, avec près de deux tiers des élèves présents hier en cours, la principale du collège l’explique de plusieurs façons. Avant tout, cela a été un processus progressif avec une implication, à toutes les étapes, des enseignants et des parents. « Mes professeurs ont été très engagés pendant le confinement avec leurs élèves. Et leur investissement s’est poursuivi après ».

Lorsqu’à l’issue du confinement, la principale leur annonce que l’on va rouvrir le collège avec un protocole très strict, en prenant des publics prioritaires, « les professeurs m’ont dit qu’il ne fallait pas refuser d’élèves et qu’ils étaient prêts à venir. Ils ont fait cours le matin en présentiel et l’après-midi, ils faisaient des cours sur Zoom ».

Il faut ajouter la bonne coopération avec les parents. La FCPE, seule fédération représentée dans le collège, a diffusé une lettre de remerciements aux enseignants, en bonne place sur le site. Elle a demandé à ce qu’elle soit aussi apposée à la porte du collège.

Interrogations enseignantes

Du côté des enseignants, on sentait hier un certain soulagement à voir l’école s’ouvrir à tous les élèves et reprendre un cours plus « normal ». Mais il y avait aussi des interrogations, voire certaines appréhensions. Comment va-t-on retrouver les élèves qui n’ont pas eu classe, en présentiel, depuis près de trois mois ? Quel effet sur le groupe classe ? La perspective des vacances dans deux semaines ne va-t-elle pas démobiliser ? Comment sera la rentrée ?

Romane Cans est professeure d’EPS. Aujourd’hui pour la première fois depuis le déconfinement, elle va avoir des classes entières en sixième et cinquième. « Vont-ils accrocher aux nouvelles pratiques ? », se demande-t-elle. Avec toutes les interdictions – impossible de jouer au ballon, de se toucher… -, il a fallu inventer d’autres cours – renforcement musculaire, exercices cardios, sprint dans la cour… – et les rendre un minimum ludiques. « A 9, c’était un bonheur »…

Avec les classes entières, cela va être plus difficile de faire respecter la distanciation. « Je vois déjà un relâchement, les élèves ont plus tendance à vouloir se rapprocher ». Elle et ses collègues d’EPS redoutent une rentrée avec les mêmes consignes. « C’est dur de continuer à faire de l’EPS qui nécessite beaucoup d’interaction sociale et de ne pas faire du coaching ou de l’animation. »

Ni chant ni instrument de musique

Professeure d’éducation musicale, Anne-Marie Jouanny a dû renoncer aux heures de la chorale du collège qui regroupe 55 élèves, avec qui elle avait mené un beau projet vidéo en vue de la Fête de la musique. Dans les cours, on ne peut plus ni chanter ni pratiquer d’instrument. Alors elle propose d’autres activités – écoute et analyse musicale notamment – mais régulièrement, des élèves viennent lui confier : « ça nous manque de chanter ».

Hier, elle a retrouvé deux classes entières de cinquième et sixième. Dans l’une, les élèves étaient tout excités de se retrouver et il a fallu faire de la discipline pour que cessent les bavardages. Il est clair que pour les enseignants, une reprise en fin d’année, avec toutes les contraintes, n’est pas facile. Qui plus est, à Flaubert comme dans beaucoup de collèges, les élèves doivent rendre les manuels.

Décrocheurs

Christine Ndoye est l’enseignante de la classe ULIS. Durant le confinement, elle avait gardé un lien quotidien avec ses élèves – deux en sixième et huit en troisième – mais certains ne répondaient plus. Hier, l’enjeu pour elle était de savoir si les trois décrocheurs, qui ne donnaient plus signe, allaient revenir. Un seul est revenu.

Elle se projette dans la rentrée. « On est dans l’attente, on ne sait rien. Mais ce sera une rentrée un peu particulière, on ne pourra pas faire abstraction de ce temps qui a sans doute encore creusé les écarts. Il faudra retravailler beaucoup de choses, revoir des bases, ne pas reprendre comme avant. »

On a appris

Sur la rentrée, Colette Chiche n’en sait pas plus. « Je me sens prête à toutes les situations, on sait faire, on a appris à faire. On est devenu expert en numérique, en classe zoom, en visioconférence, on a aidé les élèves à se connecter, des familles à remplir des dossiers d’orientation sur internet… »

Malgré ses mois sans école, hormis virtuelle, cette année est, pour la principale, loin d’être perdue : « Enseignants et élèves ont gardé le lien. Cela a permis aux professeurs de mieux connaître les familles, de se rapprocher des élèves avec une approche plus sociale et encore plus de bienveillance, les professeurs ont vu que certains avaient tout et que d’autres n’avaient rien, ni ordinateur, ni bureau, ni chambre ».

Reprendre pour quinze jours, Colette Chiche y voit un sens : « Plus largement, depuis la réouverture début juin, revenir en classe, c’est pour les élèves reprendre une vie sociale, un rythme, retrouver leurs enseignants en réel, leur collège, leur maison, tous ces visages qui rassurent. »

« La première fois qu’ils sont revenus, poursuit la principale, je les ai trouvés muets, éteints, ils parlaient peu, il avaient leur masque, certains même des gants. En réalité, ils étaient heureux de revenir. Aujourd’hui, ils commencent à parler fort dans le couloir, ils montent vite l’escalier, comme s’ils avaient repris le pli. »

Véronique Soulé