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Que peuvent apporter les idées pédagogiques de C. Freinet à l’enseignement secondaire ? Depuis 2008 une section Freinet est installée au lycée Auguste et Louis Lumière de La Ciotat. Adrien Doux, professeur d’anglais et membre de cette équipe présente les grands principes qui animent la section. Il en décrit aussi les dispositifs particuliers: travaux individualisés et ateliers.

Votre expérience de lycée s’inspirant des idées de Freinet est presque unique. Pourquoi sortir ce livre à ce moment ?

L’initiative en revient à Nicolas Go, un chercheur associé à l’histoire du lycée Lumière de La Ciotat. Il estime que cette expérience a de la valeur. Notre livre veut à la fois faire date et garder trace de cette expérience pédagogique. On espère aussi essaimer notre expérience.

Comment s’organisent les enseignements dans le lycée ?

La philosophie de notre projet c’est de considérer l’élève comme auteur de son travail et on part de l’élève, par exemple de ses textes en français. Cela influe sur l’organisation du travail des élèves.

Au lycée, les cours ont lieu le matin de 8 h à 12h sur des séquences qui vont de 1 à 3h selon les choix des enseignants. En français, par exemple, Marion Agostini veut faire écrire les élèves et demande des séquences de 3 heures consécutives. L’après midi les élèves suivent les spécialités. Et, deux fois par semaine, ils ont « travail individualisé ».

Ce sont des séquences particulières où les élèves de trois classes (de la 2de à la terminale) sont mélangés et répartis en groupe multi-niveaux de 16 ou 18 jeunes avec un tuteur par groupe. Durant ces 4 heures ils planifient leur travail sur trois semaines.

C’est un moment qui prolonge les cours du matin où on peut avoir commencé à rédiger un texte en français ou lancé une recherche en histoire. Les élèves effectuent sur ces heures un travail qui est toujours individuel.

L’enseignant qui encadre l’heure de travail individualisé organise le groupe pour que les plus grands aident les plus jeunes dans leur plan de travail. Il gère les échange. Il est à la disposition des élèves pour les aider. Je suis professeur d’anglais si un élève a un souci en physique soit je cherche un élève compétent soit je le dirige vers le collègue compétent. Il est là pour pousser les élèves à avancer.

C’est de la coopération ?

Oui. Les élèves ont souvent trois semaines pour faire un travail. Ils ordonnent leur travail comme ils veulent et tout au long des 3 semaines ils ont la possibilité d’être aidés.

Et puis il y a des ateliers…

C’est un moment hebdomadaire de 3 heures pendant lequel les travaux nés durant les cours mais jugés trop problématiques pour le travail individualisé sont faits. L’ide c’est d’arriver au bout d’un projet. Les élèves s’inscrivent dans un atelier en justifiant leur inscription. Les ateliers servent à faire apparaitre des questionnements, à opérer une transformation chez les élèves. Leur élan pour une question s’affine dans la relation avec un spécialiste. On va au bout du désir du jeune et on l’élucide. Le travail réalisé en atelier est ensuite présenté en classe. Le livre décrit très bien ce que sont ces ateliers.

Dans cette organisation du travail des élèves que reste-il de Freinet ?

Freinet et parti du constat que dans sa classe les élèves baillaient. D’habitude on dit qu’il baillent car ils s’ennuient. Freinet dit qu’ils baillent car ils ne travaillent pas. Au lycée nous gardons cette idée que les élèves s’ennuient parce qu’ils ne travaillent pas. Mais on redéfinit le travail : réaliser une tâche que l’on a choisir et dans laquelle on peut se reconnaitre. Il est important qu’au lycée l’élève ne soit pas désapproprié de sa propre vie.

Le travail fait en atelier est un travail authentique, non aliéné où l’élève est auteur. Ca induit un rapport à l’altérité pour progresser. C’est en ça que l’on n’est pas dans une méthode mais dans une approche complexe. Pour nous c’est dans le lien social et coopératif que le désir émerge et que l’effort devient légitime. C’est à la fois chacun et tous ensemble dans le travail.

Dans le livre vous dites vouloir émanciper l’élève. C’est à dire ?

Emanciper ce n’est pas seulement promettre aux élèves d’être de futurs citoyens. C’est surtout prendre conscience de leur capacité à créer et d’assumer cela. On essaie de donner la primauté au désir d’apprendre et de favoriser l’émergence d’incertitudes. C’est le contraire de la scolastique traditionnelle.

On propose un modèle qui change du paradigme de l’éducateur traditionnel. Il n’est pas gourmand en moyens. Il évolue selon nos besoins. Par exemple en anglais j’ai remplacé le travail individualisé par de l’expression orale.

Comment gérez vous la question de l’autorité ?

On l’a résolue. A partir du moment où l’élève voit mes efforts d’enseignant, les intentions de le faire progresser , je suis reconnu comme étant une autorité. On n’utilise pas de punitions. Quand les élèves travaillent il n’y a pas de problèmes de discipline.

Ce fonctionnement est possible avec les programmes actuels du lycée ?

Le programme est un garde fou. Les intérêts des élèves se retrouvent dans les programmes et on peut même parfois les dépasser. Et puis il y a dans les programmes des passages obligés qui ne renvoient pas aux propositions des élèves. On les transmet en cours en toute transparence en les justifiant par l’enjeu de l’examen. Ce qu’on fait toute l’année contribue à la performance des élèves.

Le lycée a un recrutement particulier ?

Nous n’avons que 35 place pour chaque niveau du lycée. On ne choisit pas les élèves. Une commission au rectorat, à laquelle nous ne participons pas, choisit les élèves. En fait on trouve tous les profils , de très bons élèves et d’autres. Les classes sont hétérogènes scolairement et socialement dans un lycée lui-même hétérogène.

Si votre projet marche c’est parce que vous faites équipe ?

Avant d’être au lycée j’étais TZR et ça marchait aussi. Mais travailler en équipe c’est formidable. Ca permet de changer d’échelle.

Propos recueillis par FRançois Jarraud

Lycée Auguste et Louis Lumière de la Ciotat, Pédagogie de l’égalité. Freinet au second degré. Chronique sociale, ISBN : 978-2-36717-713-7