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Certains connaissent Michèle Lesbre pour ses polars. Peu savent qu’elle était enseignante pendant plus de trente-cinq ans. Aujourd’hui, elle raconte son rapport à l’école dans un nouveau livre : “Tableau noir” (Sabine Wespieser Éditeur). Michèle l’a écrit sous le coup de la colère. Hors d’elle après le décès de Christine Renon, dont la lettre a ravivé de lourds souvenirs, elle a ressenti le besoin d’écrire ce texte, « pas pour être publiée, mais pour moi ». C’est un coup de gueule comme elle se plait à le dire. Un coup de gueule contre les politiques qui se succèdent et qui font trembler les fondements de l’école publique. Pourtant, ce texte c’est aussi de la poésie, Michèle raconte avec douceur les élèves qui l’ont marquée ou encore les combats qu’elle a menés lorsqu’elle était encore un hussard de la République.

Comme elle se plait à le dire, Michèle a passé plus de cinquante ans à l’école. Sa grand-mère était directrice d’une petite école de village avant la seconde guerre mondiale, elle y a passé beaucoup de ses journées. À 18 ans, elle entre à l’école normale pas parce qu’elle ressentait l’envie d’enseigner mais par nécessité économique. Un lieu qu’elle n’hésite pas à qualifier de « couvent laïque », les faits et gestes des pensionnaires étant passés sous l’œil scrutateur des formateurs. Après une première expérience dans une petite école de campagne, elle monte à Paris où son engagement pour l’école rejoint ses idéaux politiques. Ce livre c’est parce qu’elle ne pouvait pas ne rien dire, « je devais être solidaire, pas seulement en tant qu’enseignante mais surtout en tant que citoyenne ».

Cela fait vingt ans que vous avez quitté l’éducation nationale, pourquoi un livre sur l’école aujourd’hui ?

Ce livre est une réaction au suicide de Christine renon que je ne connaissais pas par ailleurs, mais son travail je le connais. J’ai tout à fait compris ce qui avait pu tant bouleverser Christine Renon.

Étant normalienne, j’ai commencé à enseigner à 18 ans, j’ai donc eu la possibilité de prendre ma retraite à 55 ans. Je pouvais continuer encore cinq ans mais je savais qu’il fallait que j’arrête. Ce métier je l’ai beaucoup aimé, je n’avais pas envie du désamour dont je sentais qu’il risquait d’arriver si je continuais ne serait-ce qu’un an de plus. Ce n’est pas le métier en lui-même, c’est tout ce qu’il y a autour : le début de la mondialisation, de l’individualisation et parallèlement le délitement de ce que l’on appelle les parties intermédiaires : les syndicats, les partis politiques.

Il y a peu, sur France inter l’avocat Kiejman demandait instamment au gouvernement de respecter l’école qui est le socle de la République. Finalement c’est cet abandon que j’ai ressenti très tôt même avant de partir à la retraite : l’abandon de l’école. Depuis les années 70, comme je le dis dans mon livre, « personne ne m’a dit qu’enseigner est un beau métier ». J’ai vu le métier être dévalorisé petit à petit au sein de la société. J’ai vu aussi l’émergence d’une forme de soupçon à l’encontre des enseignants. Ce climat de suspicion a été alimenté par les politiques, avec un point d’orgue sous le ministre Blanquer.

C’est une faute grave, d’un point de vue humaniste mais aussi et surtout politique car l’école est le fondement de notre république. Comme faire société si l’école est tant chahutée ?

Vous questionnez la politique actuelle du ministre de l’éducation, qu’en pensez-vous ?

Cela fait plus de vingt-ans que je suis l’école de loin, que je ne participe pas au débat. Mais là c’est trop. Aucun ministre n’était allé aussi loin. Par exemple, les évaluations nationales à la rentrée après plusieurs mois de rupture et lorsque l’on sait que 30% des élèves ont décroché, c’est à vomir. Quel est le but ? J’aimerais vraiment savoir à quoi ça sert ! C’est lamentable, ils font n’importe quoi. Y a une volonté de formatage de l’école. Je rejoins aussi Philippe Champy qui dans son livre « Vers une nouvelle guerre scolaire » remet en cause cette idée du numérique comme solution magique. Selon ces technocrates, il suffirait de mettre l’élève devant un écran pour que tout roule ? C’est vraiment mal connaître l’école. Ils ne sont sans doute pas au courant mais l’école, ce ne sont pas que des apprentissages. L’école, c’est la socialisation, la construction des personnalités, c’est l’émancipation. Ce n’est pas devant un écran que l’individu se construit, c’est n’importe quoi !

A votre époque déjà vous militiez beaucoup syndicalement et politiquement. Pensez-vous que la pédagogie ait beaucoup évolué ces dernières cinquante années ?

Je pense que nous avons connu, au début du siècle dernier, un fort moment de construction pédagogique. J’ai tout de suite compris, quand j’ai commencé à enseigner dans ma petite école de campagne, que c’était à moi de construire les choses. Je ne voulais pas appliquer bêtement les directives ministérielles. La liberté pédagogique a permis des avancées et des expérimentations formidables. Pauline Kergomard, qui a pensé l’école maternelle, ou encore Célestin Freinet sont des produits de cette liberté.

Aujourd’hui, c’est un retour en arrière effarant. Ces technocrates, du haut de leur tour d’ivoire, disent aux enseignants et enseignantes : il faut faire ça, c’est ce qui marche avec les élèves. Mais quelle est leur légitimité ? La majorité d’entre eux ne s’est jamais retrouvé ne serait-ce qu’une heure devant une classe.

La question des femmes semble aussi avoir beaucoup nourri votre professionnalité…

Dans ma vie, j’ai adhéré à deux partis, le PSU (parti socialiste unifié) dans un premier temps puis en 1972, je suis passée à la ligue communiste, non pas par amour pour Trotski mais parce c’était une organisation qui se préoccupait beaucoup de l’école et de l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Et donc la fête des mères, ce n’était pas possible pour moi. Cela n’a pas été simple, beaucoup de femmes et mères d’élèves étaient scandalisées. Alors mes collègues et moi, car nous étions d’accord, nous avons fait preuve de pédagogie et rappelé qu’être mère est une fonction mais qu’elle ne définit pas les femmes qu’elles sont. Être mère, c’est dans la famille qu’elles occupent cette position. Pareil pour l’heure des mamans. Même si c’était souvent les mères qui venaient chercher les enfants, pour nous il était important de véhiculer une autre image, de montrer que père et mère sont tous deux responsables de l’éducation des enfants. Le langage véhicule une vision de la société, et c’est dès tout petit que cela commence. A trente ans, j’ai envie de dire que c’est presque trop tard…

Avant même que l’institution appelle à collaborer avec les parents, vous travailliez avec eux. Pourquoi ?

Les parents ne sont pas des clients, ce sont des partenaires. Ils sont le relai de ce qui se passe à l’école mais l’inverse aussi est vrai. Il nous fallait travailler ensemble pour les enfants. Il ne faut pas qu’il y ait cette sorte de coupure, de mur infranchissable entre l’école et les familles. Il faut que l’enfant puisse aller et venir sans accrocs. L’enseignant est un passeur. Et cela a fonctionné, parce que les parents nous soutenaient même lors des grèves, même celles de 1995, c’est dire.

Vous n’avez pas été très tendre non plus avec les inspecteurs et inspectrices. Pourquoi ?

Je ne veux pas généraliser, il doit y en avoir des biens mais je n’ai pas eu la chance de croiser leur chemin. Comme cette inspectrice qui nous (ndlr : les directeurs et directrices) a réuni pour nous faire chanter en marquant le rythme ou encore ces autres qui nous parlaient avec autorité. Comme je le dis dans mon livre, « l’autorité exige quelques compétences », les inspecteurs et inspectrices semblent malheureusement cantonnés à un rôle de transmission des directives ministérielles et académiques.

Un conseil aux enseignants et enseignantes d’aujourd’hui ?

Résister. Je sais qu’ils résistent déjà, qu’ils manifestent, qu’ils font grève mais il ne faut pas lâcher, il en va de l’avenir de l’école républicaine. C’est difficile car ils ont en face d’eux des gens obtus et fermés. Lorsqu’ils ont décidé quelque chose, rien ne semble les détourner de leur projet. C’est très bien décrit dans le livre de Philippe Champy. Pourtant il faut tenir tête aux politiques.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

Michèle Lesbre, Tableau noir, Sabine Wespieser Éditeur, ISBN 978-2-84805-359-2 , 14€