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En classe traditionnelle ou en enseignement distant, l’importance du choix des activités qui permettent d’apprendre est déterminante. Lorsque l’on dispose de moyens numériques, ces activités peuvent être enrichies, mais aussi limitées. En effet, depuis les débuts de l’informatique dans l’enseignement, l’idée principale est l’entraînement systématique des enfants à l’aide d’exercices répétitifs. Aussi l’activité principale associe présentation d’informations (pages-écrans) suivie de questions variées liées à ce contenu (exerciseur). Ce travail s’effectue alors seul devant l’ordinateur, celui-ci fournissant des réponses plus ou moins précises selon les choix du programmeur d’une part et les possibilités techniques à disposition. On a appelé cela Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO). Cette expression est en partie trompeuse. En effet dès que l’on utilise des moyens numériques dans un enseignement, c’est celui-ci qui est assisté par ordinateur, que ce soit l’enseignant ou l’élève qui les utilise. Mais réduire l’EAO à cette forme « canonique » c’est oublier qu’il y a d’autres types d’activités possibles. Au lieu de parler d’Assisté, on devrait parler d’Augmenter, remplacer ordinateur par Numérique et ajouter, apprendre à enseigner. Nous aurions alors de l’Apprentissage Enseignement Augmenté par le Numérique (AEAN).

Pour tenter de proposer des pistes d’action qui s’appuient sur le numérique, nous sommes repartis de nos quatre composantes de l’apprendre d’abord et ensuite avons exploré la construction de l’autonomie et les possibilités pour la développer. En repartant de l’idée d’augmentation par et avec le numérique, nous ne voulons pas en faire un moyen exclusif, mais bien sûr un « auxiliaire » (comme nous avons pu le développer précédemment) au service de l’éducation.

Les composantes de l’apprendre : actions qui s’articulent entre elles selon les activités et les situations

1 Observer, imiter, reproduire, percevoir

L’enfant a besoin d’un environnement dans lequel il va puiser des éléments pour comprendre le monde qui l’entoure. L’enfant, tout petit, regarde et reproduit et répète parfois pour s’approprier ce qu’il cherche à « prendre en lui ». Les moyens numériques vont élargir les possibilités et les transformer. Grâce au multimédia, les objets à observer, reproduire, se sont multipliés : vidéo, audio, logiciels interactifs, exerciseurs etc… Il peut aussi reproduire et répéter de nombreuses fois, le logiciel étant souvent plus patient que l’humain… On a tous en mémoire ces enfants qui demandent de relire une histoire, toujours la même, pendant plusieurs jours voire semaines.

2 Expérimenter, essayer, tenter, oser

L’enfant simule la réalité dans ses jeux. Avec des objets, comme avec l’ordinateur, il va pouvoir naviguer dans des espaces plus ou moins contraints pour s’essayer et affronter parfois les erreurs et les corriger par lui-même, avec ou sans aide extérieure. L’apport des outils numériques est de permettre d’autres expérimentations que celles permises habituellement. Mais elles sont parfois aussi limitées, du fait même du numérique qui met souvent la dimension physique de l’activité, en grande partie, de côté. Les logiciels de physique, de mécanique et autres disciplines techniques sont de bons supports pour élargir le champ des possibles. De même des outils plus génériques, comme les logiciels de traitement de son et d’image peuvent être détournés pour permettre l’écoute et la prise de parole (travail de l’oral)

3 Interagir, échanger, partager

Le besoin de retour sur ce que chacun de nous fait est essentiel pour se situer dans son activité : vais-je dans le bon sens ? est-ce que je ne me trompe pas ? etc… Si l’interactivité machinique permet des feedbacks automatisés, elle ne remplace pas l’interaction humaine, en présence comme à distance. Avec le développement d’algorithmes puissants, les retours « informatiques » sont de plus en plus adaptés. Il ne faut surtout pas ignorer la dimension psychosociale de l’interaction. La période de confinement a mis en évidence les limites et les avantages de la médiation numérique : davantage de relations personnelles dans certains cas, stress de l’absence de relation en présence, frustration de la « décontextualisation de la parole ». C’est pourquoi les réseaux sociaux se sont rapidement développés et sont devenus des compléments

4 Réfléchir, repenser, reformuler

La réflexivité est une des bases de l’apprendre : reformuler, construire un propos, un raisonnement, faire un travail de métacognition, autant d’activités complexes qui sont pourtant indispensables et parfois inconscientes. Avec le numérique cela suppose de faire un travail de production à la suite d’un travail d’analyse de documents variés ou à partir d’enquêtes, de recherches, d’expérimentations etc. Cela peut aussi s’appuyer sur le traitement de données en vue d’en faire une visualisation graphique soit sous forme de schémas, de cartes conceptuelles ou mentales etc.

Ainsi qu’on peut le constater, il y a une variété d’activités possibles qui toutes permettent de développer les connaissances et les compétences des élèves, et qui peuvent être augmentées par le numérique, bien que l’on puisse parfois s’en passer. L’un des éléments importants à prendre en compte, c’est aussi la capacité d’engagement de l’élève dans ces activités. La fameuse motivation, qui ne se décrète pas, mais dont il faut organiser les conditions de possibilité, est, certes, importante, mais elle peut aussi être insuffisante. La motivation à apprendre s’appuie non seulement sur des forces externes (extrinsèques) et internes (intrinsèques), mais elle s’appuie aussi sur la compétence d’autonomie voire d’autoformation du jeune, comme de l’adulte. Afin de pouvoir développer ces compétences, il est important de permettre à chacun d’abord de s’autoévaluer, c’est-à-dire mesurer son évolution, sa progression. Certains services d’enseignement en ligne proposent de « l’adaptive learning » qui facilite cela en fournissant des retours et des préconisations pour continuer d’apprendre. Cela crée un risque de dépendance si l’on s’en remet aux seuls algorithmes, c’est pour cela qu’il est important de développer la compétence à orienter sa trajectoire d’apprendre en fonction des situations et des évènements. Certes, un parcours peut-être prévu, comme l’enseignant qui prépare son conducteur de cours, mais cela ne répond jamais complètement aux situations réelles. Dans la classe, l’enseignant, comme l’élève, doit être capable d’autoréguler son apprentissage et de choisir les directions à prendre. S’en remettre à un autre ou à un logiciel risque de mener à une dépendance ou au moins une perte d’autonomie.

Ainsi, l’engagement personnel facilite l’apprendre. Mais l’activité, sa pertinence en regard des objectifs d’apprentissage et des évaluations prévues, le sens qu’elle prend pour l’élève, sa qualité ergonomique sont plusieurs des facteurs qui améliorent aussi l’apprendre en favorisant l’engagement et en le maintenant dans un flux qui permet d’éviter l’ennui (la fuite parfois) mais à l’autre extrémité l’angoisse (le repli) qui paralyse celui apprend face à la difficulté et à la situation vécue. Bien sûr, le facteur volition est au croisement de ces différents paramètres de l’engagement. Le monde scolaire est trop souvent, en présentiel surtout, certain de l’engagement de l’élève et peut avoir tendance à négliger la qualité des activités proposées. Si le numérique séduit parfois, il peut donner l’impression de motiver les élèves. L’observation, depuis longtemps, a montré que très souvent cette motivation n’est pas durable une fois passé l’effet de séduction (l’effet Waouh !!!). C’est pourquoi le choix des activités est important et que, en présence ou à distance, il est nécessaire de bien les choisir et les penser pour qu’elles facilitent l’apprentissage.

Bruno Devauchelle