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On ne saura pas pourquoi S Paty est rentré seul ce triste 16 octobre ce qui a facilité les gestes de son assassin. Le rapport des inspecteurs généraux Roger Vrand et Elisabeth Carrara sur « les événements survenus au collège du Bois d’Aulne avant l’attentat du 16 octobre 2020 » n’apporte pas d’éclairage sur l’attentat lui-même. Par contre il décrit de façon très détaillée le fonctionnement de l’éducation nationale dans ses multiples rouages du 5 au 16 octobre. De nombreux acteurs sont intervenus. Mais au final S Paty a rencontré seul son destin.

Un rapport très précis sur le travail de l’administration

« La reconstitution du déroulement des faits tend à montrer que, tant au niveau de l’établissement qu’aux niveaux départemental et académique que, les dispositions ont été prises avec réactivité pour gérer le trouble initialement suscité par le cours sur la liberté d’expression de Samuel Paty avec la classe de 4ème 5 le lundi 5 octobre ». Cet extrait d rapport le résume très bien. Le rapport parle du « trouble » qui a suivi le cours de S Paty et de l’action de l’administration de l’Education nationale.

Jour par jour, heure par heure, le rapport décrit ce que font la principale, la CPE, S Paty, ses collèges, des parents, dont ceux qui sont inculpés, et les cadres du rectorat : Daasen qui réfère au Dasen qui réfère au chef de cabinet de la rectrice, référent laïcité, référent sécurité etc.

Avec le rapport on entre dans le détail du fonctionnement du collège et du rectorat avec ses innombrables intervenants. Toute la semaine cette affaire a été prise très au sérieux et suivie de très près par des cadres qui se sont donnés beaucoup de mal.

« L’erreur » de S Paty

Dès le 8 octobre , soit trois jours après le cours de S Paty, la visite de l’IPR référent académique laïcité est annoncée à l’établissement. Le 9, S Paty est convoqué par le référent laïcité. Celui ci lui reproche « une erreur » : celle d’avoir fait sortir des élèves musulmans de son cours. On lui reproche d’avoir « froissé » les familles. La réunion donne lieu à un compte rendu envoyé au Dasen et au cabinet de la rectrice.  » M. Paty a reconnu avoir fait une erreur. Il ne voulait pas froisser les élèves en utilisant une caricature comme support pédagogique et il les a froissés en laissant supposer qu’il s’adressait aux musulmans. Il a été maladroit et il a laissé penser qu’un critère religieux pouvait induire des activités pédagogiques différentes pour une même classe. Mais si l’effet est celui d’un manquement à la laïcité / neutralité, à aucun moment le manquement n’a été intentionnel et cela a été très ponctuel dans une séance d’une heure d’une séquence pédagogique de sept séances. L’erreur a été reconnue dès les premiers appels de parents tant par la principale que par l’enseignant ».

On entre aussi dans la vie de l’établissement, avec deux collègues qui se désolidarisent de S Paty, sans imaginer bien sur ce qui adviendra. La plupart sont solidaires et inquiets.

Pendant ce temps des signalements sont faits par le rectorat et la principale vers la police à différents niveaux.

C’est durant le week end des 10 et 11 octobre que l’affaire prend une nouvelle importance avec la vidéo qui donne le nom de l’enseignant. Le 12 octobre  » La conseillère sécurité de la rectrice relance le service du renseignement territorial (RT) en transmettant les liens des vidéos. Le RT accuse réception de ces éléments et précise qu’il a alerté le commissariat de Conflans sur la sensibilité de cette affaire. À la suite de cette alerte, la conseillère sécurité reçoit un message du commissariat qui indique que les liens entre le référent éducation nationale et la cheffe d’établissement sont de bonne qualité et que des patrouilles de sécurisation sont mises sur le secteur, d’abord avec des véhicules sérigraphiés, puis avec des véhicules banalisés ».

Un grand vide sur la semaine du 12 au 16

Sur la période allant de la publication des vidéos sur Internet le 10 et l’assassinat le 16 octobre, on n’en saura guère plus. Curieusement le rapport ne consacre que deux pages à cette période qui est pourtant cruciale alors qu’une quinzaine de pages couvrent la semaine du 5 au 10 octobre. C’est à croire qu’hormis un échange téléphonique entre le Daasen et le directeur adjoint du cabinet du préfet, tout le monde a cru avoir fait le nécessaire. Et que tout le monde a cessé de s’agiter. Sur cette semaine qui va conduire à l’assassinat de S Paty le rapport est bien muet.

Une administration qui fonctionne ?

Le rapport finalement nous dit que l’administration s’est démenée pour tenter d’apaiser les parents et pour dialoguer avec les enseignants. L’administration a fait son travail, nous dit le rapport, qui semble y accorder une importance plus grande qu’au résultat final.

La visite de l’IPR référent laïcité est plus délicate à expliquer dans le contexte du martyr de S Paty. Le rapport insiste à plusieurs reprises sur le fait que c’était une visite de soutien.  » Si le statut d’inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional établissements et vie scolaire a pu le cas échéant donner lieu à des malentendus sur le sens et la portée de sa démarche, il faut sans doute rappeler… que la mission d’un inspecteur ne se limite pas, loin s’en faut, à des visites d’évaluation, ni a fortiori de sanction des enseignants. En l’occurrence, c’est bien exclusivement dans le cadre d’une démarche d’accompagnement, en qualité de référent académique laïcité que l’inspecteur est intervenu auprès du professeur d’abord, de la principale, et plus largement de l’équipe pédagogique. Dans cette démarche, il a pu amener Samuel Paty à réfléchir sur la façon dont il avait conduit son cours et la maladresse qu’il avait pu commettre en croyant bien faire de proposer aux élèves musulmans de quitter la salle s’ils craignaient d’être choqués. Les témoignages recueillis par la mission de la part du référent laïcité, de la principale, de ses collègues convergent pour montrer que c’est bien en ce sens que Samuel Paty a reçu ses conseils et nullement comme une remise en cause ». Les auteurs sont donc bien conscients du problème.

Des préconisations qui pointent la police

Finalement le rapport avance une douzaine de préconisations. Si l’administration de l’Education nationale a fait son travail alors il faut chercher ailleurs. Le première préconisation répond à cette question.  » Accroitre la fluidité et la réciprocité des échanges d’information entre les différents échelons des services du ministère de l’éducation nationale et ceux du ministère de l’intérieur de façon, notamment, à permettre une évaluation du degré de gravité d’un événement à la fois rapide et, le cas échéant, évolutive ». Une autre préconisation demande que « les responsables départementaux » (le Dasen ?) soient habilités confidentiel défense pour pouvoir accéder aux informations de la police. Le rapport demande aussi le renforcement de la cellule de veille des réseaux sociaux.

Et la question toujours sans réponse

Les autres recommandations sont relatives au controle des accès dans les établissements scolaires sans qu’on comprenne bien en quoi cela aurait pu éviter le drame. Elles demandent aussi de renforcer la formation des enseignants à la laïcité.

Ce rapport très précis couvre l’administration de l’Education nationale. On veut bien le croire. Il montre du doigt la police. Qui pourtant a envoyé des véhicules, a suivi le dossier, appelé le collège etc.

Tout le monde a fait son travail. Tout a été parfait. Tellement parfait que le 16 octobre S Paty était seul face à son assassin. Et ça on aimerait savoir pourquoi.

François Jarraud