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Les grandes écoles sont-elles réservées aux riches ? La réponse est clairement oui si l’on en croit une nouvelle étude de l’Institut des politiques publiques. Les élèves de ces écoles viennent des milieux favorisés et aucun progrès n’a été réalisé en 20 ans. Les hommes y sont aussi toujours nettement surreprésentés. L’étude interroge l’utilité des dispositifs, comme les Cordées de la réussite, tant vantés par le ministère. Elle se demande aussi s’il faut maintenir le dualisme dans l’enseignement supérieur…

Un tour de force

Comment a évolué le recrutement des étudiants des grandes écoles depuis 2000 ? Pour étudier cette question, l’étude de Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet et Georgia Thebault utilise les données d’inscription dans l’enseignement secondaire et dans le supérieur entre 2000 et 2017. Elle observe ainsi environ 90% des étudiants ce qui lui donne une grande qualité.

Et ce que révèle l’étude c’est le tour de force réalisé par les grandes écoles. Alors que la communication ministérielle presse leur ouverture sociale, alors qu’on multiplie et finance royalement des dispositifs en ce sens, dont les Cordées de la réussite, surtout alors qu’elles ont nettement augmenté le nombre de leurs étudiants, les grandes écoles ont réussi le tour de force de rester des ghettos sociaux et masculins.

Un ghetto social et genré

« La base de recrutement des grandes écoles est très étroite : les deux tiers de leurs étudiants sont d’origine sociale très favorisée, un tiers a effectué ses études secondaires en Île-de-France (40 % dans les grandes écoles les plus sélectives) et les garçons constituent près de 60 % de leurs effectifs », dit l’étude. « La probabilité d’accéder à une grande école varie considérablement d’un lycée à l’autre : la moitié des lycées généraux et technologiques ne fournissent que 13 % des étudiants des grandes écoles alors qu’à l’autre bout du spectre, 17 % des lycées généraux et technologiques fournissent à eux seuls la moitié de leurs effectifs… Les écarts de performance scolaire expliquent moins de la moitié des inégalités sociales d’accès aux classes préparatoires et aux grandes écoles et moins de 20 % des inégalités géographiques d’accès. A fortiori, les performances scolaires ne contribuent aucunement à expliquer la sous-représentation des filles dans les grandes écoles ». Pour les auteurs, chiffres à l’appui, « le recrutement n’a guère changé depuis le milieu des années 2000 ».

Des inégalités qui se jouent aussi en amont

Dans cette situation les classes préparatoires et les grandes écoles ont leur part. Mais le rapport y insiste fort peu. « Les inégalités se jouent en amont », rappellent les auteurs. « Les inégalités d’accès aux grandes écoles selon le milieu social, l’origine géographique et le genre sont largement prédéterminées, en amont, par les inégalités d’accès aux formations de premier cycle qui y préparent : les classes préparatoires (8 % des effectifs de niveau bac+1 et bac+2 en 2016-2017) et les écoles post-bac (5%des effectifs de niveau bac+1/2). Parmi les élèves qui étaient scolarisés en classe de troisième en 2005, ceux issus de PCS très favorisées ont accédé 9 à 10 fois plus souvent à ces formations que les élèves de PCS défavorisées (17,5 % contre 1,9 %), les Parisiens y ont accédé trois fois plus souvent que les non-Franciliens (15,1 % contre 5,8 %) et les garçons 1,3 fois plus souvent que les filles (7,2 % contre 5,8 %) ».

Les auteurs évoquent l’information donnée aux élèves , le travail sur l’estime de soi et aussi les barrières financières. Ils soulignent que  » le débat sur la diversification du recrutement des filières d’élite ne peut faire l’économie d’une réflexion plus générale sur la place à accorder aux politiques de discrimination positive dans la réalisation de cet objectif. La diversification du recrutement des grandes écoles passe nécessairement par celle de leur principal vivier : les classes préparatoires. Tant que ces dernières accueilleront à peine plus de 10 % d’étudiants de milieux sociaux défavorisés, les dispositifs de discrimination positive qui pourraient être mis en oeuvre à l’entrée des grandes écoles n’auront qu’un impact limité sur leur composition sociale effective ». Les auteurs semblent ne pas avoir enquêté sur les politiques d’admission des grandes écoles qui souvent restent secrètes.

Qu’est-ce qui permet de démocratiser l’accès au supérieur ?

Cette étude n’est pas la première sur ce sujet. En janvier 2020, Marco Oberti (Sciences Po) et son équipe avait analysé l’accès à quelques filières très sélectives (Sciences Po , Dauphine, Paris1). Il soulignait l’hyperconcentration géographique des admissions en plus de la concentration sociale. 5 arrondissements parisiens fournissent la majorité des admis (dont 16eme, 5eme , 6eme). Celle ci étant liée au fait que quelques lycées seulement alimentent ces filières.

En octobre 2019, Estelle Herbaut (Sciences Po) avait posé la question de la démocratisation de l’accès au supérieur. Elle rappelait que les dispositifs existants, par exemple les Cordées de la réussite, n’ont jamais été évalués ou alors ont eu des évaluations négatives (en 2012 et 2011).

Selon E Herbault l’information sur l’orientation a peu d’impact sur la démocratisation du supérieur. Les bourses au mérite n’ont aucun effet car la réussite scolaire est déjà liée à l’origine sociale en France. Les bourses sociales pourraient en avoir si elles étaient à un niveau permettant à un étudiant pauvre de vivre. On en est très loin. La bourse a d’autant plus d’impact qu’elle est versée tôt, par exemple sous la forme d’un compte bloqué dès la 2de.

Ces études montrent la vacuité des politiques menées par le gouvernement à ce sujet. Qu’il s’agisse de la politique d’ouverture volontaire des grandes écoles qu’a lancée F Vidal sans que des quotas soient clairement imposés aux établissements. Ou des Cordées de la réussite. Lancées par N Sarkozy dans le cadre d’un plan en 2008, celles-ci ont connu un déploiement important entre 2008 et 2012, moment où des évaluations négatives sont apparues. Le 8 septembre 2020, E Macron a longuement insisté sur elles, affirmant qu’elles permettent de « repérer des jeunes en fin de collège et (de) leur permettre d’être particulièrement accompagnés ». Les cordées de la réussite passeront de 80 000 jeunes à 200 000, est-il annoncé pour cette année. Une instruction publiée au BO du 27 août annonce 180 000 jeunes. Leur déploiement est financé sur les crédits du 2d degré. Il apparait qu’au bout de 15 ans elles n’ont rien changé au paysage des grandes écoles.

F Jarraud

L’étude

Macron et l’égalité des chances

Démocratiser l’accès au supérieur : Qu’est-ce qui marche ?