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Une des traditions du monde enseignant est celle qui consiste à concevoir soi-même ses ressources pour enseigner. Si le recours à des ressources externes est bien réel, c’est dans l’ajustement avec les choix pédagogiques et didactiques de l’enseignant qui est à la source de cette tradition : l’enseignant braconne et bricole ses ressources. Dès les premiers pas de l’informatique à l’école nous avons immédiatement essayé de fabriquer nos propres logiciels et les avons testés avec nos élèves et parfois les avons montrés à la communauté éducative, comme, par exemple, ce logiciel d’analyse formelle automatique de la forme des phrases (en Prolog), pour aider les élèves à comprendre les différentes formes de phrases et d’expression. Plus sobrement, combien de fois, à l’époque nous fabriquions nos cartes sur transparents (acétates) de manière parfois sophistiquée avec des caches et des superpositions. La généralisation des vidéoprojecteurs et autres TBI/TNI, interactifs ou non, dans chaque classe, reliés à un ordinateur connecté à Internet ouvre de nouvelles perspectives que nombre d’enseignants s’essaient de mettre en œuvre en améliorant la lisibilité et l’intérêt de leurs supports.

Braconnage et garde chasse…

Les éditeurs de manuels scolaires ont progressivement compris qu’en proposant des ressources modulaires (et pas seulement une transcription de l’écrit papier en écrit d’écran), il était possible de rejoindre les enseignants dans leur préoccupation d’utiliser des ressources adaptées pour leur cours. Les utiliser mais pas forcément les concevoir. Certains éditeurs ont tenté de prendre en compte ces braconnages, en proposant aux enseignants de personnaliser les ressources qu’ils mettaient à leur disposition. Ils retrouvent ainsi la logique initiale. Comme en témoigne un enseignant dans le dernier numéro de la revue 01.net dans son dossier marronnier sur la rentrée scolaire. Intitulé « Jules Ferry à l’école du numérique », cet article tente de nous faire un panorama de ces évolutions et montre bien que cette question de l’adaptation des ressources au quotidien de l’enseignant est au centre de leurs préoccupations. Entre composer à partir de ressources existantes et concevoir complètement ses propres ressources (logiciels, vidéos etc.…) il y a une variété de pratiques qui rappellent qu’enseigner ce n’est pas seulement diffuser un contenu, mais c’est surtout le rendre transmissible et permettre aux élèves de se les approprier. Mais le temps de l’enseignant est compté et rares sont ceux qui produisent des ressources complexes. La grande majorité des enseignants va chercher des ressources sur divers sources et les assemble ensuite afin de fournir aux élèves des contenus de qualité.

Quel est donc l’avenir pour les enseignants ? Il y a désormais tellement de ressources accessibles que le travail de recherche, de qualification, de tri et d’enrichissement est désormais très lourd à effectuer. L’idée récurrente d’une certification des ressources dites de qualité semble compliquée. La fameux Label RIP, Reconnu d’Intérêt Pédagogique créé en 1999, a semble-t-il, disparu. Certains enseignants ont évoqué leur besoin d’un tel label. Dans le même temps un outil se développe à l’initiative du ministère, le Gestionnaire d’Accès aux Ressources. D’abord censé respecter la protection des données personnelles, il ne se revendique pas comme un service de labellisation de qualité pédagogique. Mais certains pourront l’envisager car il s’agirait d’un minimum de garantie légale, mais il ne semble pas que cela soit envisagé. Malgré des essais proches comme Myriae ,dont on ne parvient plus à trouver la trace sur les sites nationaux (la page est en erreur et le site CANOPE, qui en était l’opérateur s’y fait plus référence) semble abandonné. Il existe encore, à ce jour le portail Eduthèque qui revendique ouvrir l’accès à des milliers de ressources, mais sans jamais revendiquer un « contrôle pédagogique » des produits proposés. Quant à Canopé, le recentrage de ses missions sur la formation des enseignants va-t-elle modifier ses pratiques éditoriales historiques.

Il y a une interrogation qu’il faut faire émerger suite à ces constats. Les inspecteurs IA-IPR et les IEN ne seraient-ils pas les mieux placés pour travailler cette question ? En effet ce sont eux qui accompagnent les enseignants sur les contenus des enseignements et les programmes. On pourrait donc penser qu’ils soient en partie prescripteurs de ressources adaptées. Cela d’autant plus que certains participent aussi à la construction de manuels scolaires avec des équipes enseignantes. Il semble bien qu’ils soient une minorité à aller dans le sens d’une aide des enseignants pour les ressources numériques utilisables en classe. Leurs missions présentées sur le site du ministère peuvent laisser espérer qu’ils vont dans cette direction, mais les échos que nous avons reçus ne confirment pas cela… pour l’instant.

Ecouter la voix des enseignants

Les enseignants se sentent souvent livrés à eux-mêmes. La faible consommation des crédits d’achat de ressources alors qu’ils sont disponibles pour ceux qui veulent en acquérir pour leur classe indique qu’il y a un problème de choix et de compréhension de ces dispositifs parfois lourds à mettre en oeuvre (CA, hiérarchie, etc.). Plusieurs collectivités qui ont financé des abonnements à des ressources ont dû déchanter au vu de la faible utilisation de certaines d’entre elles, pourtant mises gratuitement à disposition des enseignants et des élèves. Il faut donc s’interroger sur le fond. D’une part il y a une demande réelle de ressources ciblées, d’autre part il y a une faible utilisation de ce qui est proposé. Les associations d’enseignants, les sites pédagogiques comme le Café Pédagogique proposent depuis longtemps des conseils, des ressources, basées sur le partage entre pairs. Cela fonctionne mais encore trop faiblement au regard des besoins, des attentes et surtout face aux foisonnement informationnel.

Peut-être faudrait-il organiser, dans les sessions de regroupement des enseignants (formations ? Constellations ?), des temps consacrés non pas à la démonstration des ressources, mais à des échanges sur les pratiques effectives et la manière dont les ressources sont conçues et utilisées. Les enseignants concepteurs de logiciels savent qu’ils ont eu parfois des échos très positifs de leurs productions, mais ils ont aussi senti qu’ils étaient souvent peu relayés au sein même des équipes et reconnus dans l’institution. Certaines entreprises du secteur éducatif ont su « débaucher » des enseignants qui voulaient participer activement à la fabrication et à la diffusion des ressources. Malheureusement, en dehors du secteur de l’édition de manuels scolaires, les entreprises du secteur des technologies éducatives (les edtechs) sont toujours très fragiles et cela ne facilite pas la diffusion de ressources adaptées aux enseignants et à leurs besoins. Et pourtant le travail entre pair est un des premiers moyens de formation revendiqué par les enseignants eux-mêmes. Encore faut-il le rendre possible (temps de travail…) et l’accompagner, or l’institution scolaire a encore à évoluer pour prendre en compte ces nouvelles manières de travailler avec les équipes et sortir du « descendant » si ancré dans les habitudes…

Bruno Devauchelle