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Le programme Jules Verne, certains enseignants et enseignantes du premier degré en ont déjà entendu parler. Mais pas tous… Agnès Crépy, professeure des écoles depuis 23 ans, s’est lancée dans l’aventure. Elle a quitté sa classe unique – de la petite section au CM2 – d’un petit hameau tout en haut d’une montagne – pour une année d’enseignement aux Etats-Unis. Direction Denver, Colorado, au coeur des Rocheuses, au centre des Etats-Unis. Fini les petites routes de campagnes, les petits commerces de proximité ou encore la montagne, ce sont des petites maisons, dignes des séries américaines, qui jalonnent son trajet jusqu’à sa petite école. Elle partage avec nous cette expérience.

Un projet de longue date

Partir enseigner aux États-Unis, cela fait des années qu’elle l’envisage. « L’expatriation c’était une envie au début de ma carrière. Avec mon mari on avait postulé pour le lycée de Manhattan, pour la rentrée 2001… Finalement, en septembre, on était contents de ne pas être partis… » explique Agnès. Alors lorsqu’elle entend parler du programme Jules Verne, que plusieurs collègues avaient testé et apprécié, elle se lance dans l’aventure. « Ça me trottait toujours dans un coin de la tête. Les différents confinements ont fait le reste. J’avais l’habitude de participer à de nombreux stages, réunions autour des pratiques pédagogiques – avec des groupes locaux de l’ICEM et la pandémie m’avait un peu isolée. Et comme j’enseigne dans une école à classe unique, le manque de contacts commençait à me peser, alors ce programme, c’était l’occasion de rencontrer du monde ! Du côté pédagogique, j’avais envie de voir comment on gérait la classe ici, je savais qu’ils étaient énormément dans l’encouragement, dans le fait de toujours chercher ce qu’il y a de positif chez les élèves ». Et nul besoin d’être bilingue, Agnès reconnait que son niveau est assez faible et espère que l’aventure lui permettra de l’améliorer.

Un programme de mobilité proposé par certaines académies mais sans financement

Jules Vernes, c’est un programme qui « propose aux enseignants d’effectuer une mobilité internationale en vue de participer à un projet de coopération éducative bilatérale et de consolider ou accroître leurs compétences linguistiques. Leur mission principale est d’enseigner en langue française » peut-on lire sur la page Eduscol dédiée. Toutes les académies ne proposent pas cette opportunité. Partir dans le cadre de ce programme, c’est avoir la garantie de partir dans le cadre d’un détachement.

Dès octobre 2020, Agnès a indiqué son intérêt pour le programme. En janvier, elle a déposé un dossier, incluant une lettre de motivation, validé par le Dasen. Celui-ci a ensuite envoyé les candidatures aux écoles partenaires, les écoles en « immersion ». Elle a, enfin, eu un entretien en avril avec une équipe américaine. « On ne choisit pas la destination, mais je suis ravie d’être ici. C’est une ville calme, assez écolo et on peut y circuler à vélo… ».

Une fois son recrutement acté, il a fallu fournir plusieurs documents, comme le visa qui n’était pas simple à avoir avec le contexte sanitaire, les frontières américaines étant encore fermées. Pour ce qui est du côté pratique, les personnels recrutés sont pris en charge par l’établissement recruteur. « C’est la personne qui m’a recrutée qui m’a trouvé un logement. J’ai de la chance car c’est très cher ici et les propriétaires demandent des garanties que l’on peut difficilement fournir. Les grandes familles, avec enfants, ont eu beaucoup plus de mal à trouver leur bonheur ». Si l’académie propose le programme, octroie le détachement, son implication s’arrête là. Pas de primes au départ, pas de prise en charge de frais, pas de sécurité sociale financée. Dans le cas d’Agnès, son établissement prend en charge cette dernière et rembourse les frais engagés pour le paiement d’une complémentaire santé. Côté salaire, Agnès s’en sort pas mal. « Ici, c’est en fonction de l’ancienneté et comme je commence à en avoir pas mal, je suis à 5000 dollars, ce qui est très bien pour une femme seule avec un enfant. Mon mari, resté en France, travaille. Je n’ai donc que les charges ici à assurer. Pour les collègues arrivées en famille, c’est moins évident. Leurs conjoints peuvent difficilement travailler ici, alors un seul salaire et un loyer élevé, ce n’est pas la panacée ».

Lockdown, sécurité et semaine chargée

Agnès, et ses collègues françaises, sont toutes originaires de l’académie grenobloise. En effet, l’établissement, qui a ouvert cette année, est en partenariat avec l’académie. Du côté dépaysement, elles ont été gâtées. Pour commencer, la pré-rentrée dure quinze jours lors desquels sont évoquées les différentes alarmes – sorte de PPMS (plan particulier de mise en sureté) local – dont le fameux lockdown, le confinement en cas de danger. « Ici ce sont plus les tueries de masse que le terrorisme qui effraie. On avait survolé l’alerte tornade car c’est vraiment rare. Ça n’a pas loupé, le jour de la rentrée, vingt minutes avant la sortie, alarme tornade ! Comme il y a un tunnel pour rejoindre le bâtiment de la cafeteria, c’est là qu’on a dû se confiner ».

Autre changement, et de taille, les horaires. « Ça c’est LA grosse surprise. Les emplois du temps dépendent des écoles, qui doivent rester dans une fourchette proposée par le district. Ici l’administration a fait le choix d’élargir au maximum les horaires. On fait donc du 8h-15h45, avec une pause de trente minutes pour manger et cela cinq jours par semaine. Nous sommes trente-trois heures et demie par semaine devant les enfants. Comme la classe est en français à 90 % en maternelle, les enfants ont en plus quarante-cinq minutes d’anglais quatre fois par semaine. Ils ont donc…. trente-cinq heures de cours par semaine ! Cela a été difficile de s’adapter à ce rythme car on est toujours de service, même pour le lunch. La pause méridienne nous a manqué pendant longtemps. Maintenant on a pris le rythme ! Du côté des vacances, là aussi c’est très différent. Elles sont réduites. On a démarré le 10 Aout, les premières vacances seront une semaine à la fin du mois de novembre. On aura aussi quinze jours à Noël et au printemps ».

Une école managée comme le Ministre en rêve mais avec du personnel

Et pour finir, le mode d’administration est très éloigné des écoles françaises. Côté direction, ce n’est pas un, mais deux directeurs. « L’école est gérée par le conseil d’administration, qui décide même du financement et la direction – on a un directeur pédagogique et une directrice administrative – vient nous évaluer en classe… mais avec une dimension très bienveillante, sur le modèle américain ». Côté personnel de l’école, là aussi, on est loin de l’école française où directeurs ou directrices se dépatouillent comme ils le peuvent. L’école d’Agnès dispose d’un secrétaire, d’une assistante sociale, d’une infirmière un jour par semaine, d’un psychologue deux jours par semaine et d’une maîtresse spécialisée à temps plein. « Je reconnais ne pas les avoir beaucoup vu dans les classes pour l’instant, ils gèrent surtout la partie administrative de rédaction des dossiers… ». Agnès partage aussi, avec l’autre enseignante de Kindergarten, une assistante – l’équivalent d’une ATSEM.

Une école qui vise la mixité sociale

L’école où enseigne Agnès et ses collègues est une « charter school ». « C’est entre l’école publique et l’école privée. La scolarité est gratuite, le recrutement ouvert aux enfants du secteur. Le recrutement est fait par le conseil d’administration, et c’est eux aussi qui décident du financement de l’école. Le district verse une subvention à l’école, mais les charges – loyer, eau, électricité… – doivent être financées par des dons. L’école accueille les enfants à partir de la GS jusqu’au CE2, les PS /MS et les CM sont sous format école privée, dans les mêmes locaux. Il y a une classe par niveau, sauf les Kindergarten – l’équivalent de la grande section, où l’on est deux classes ». Agnès accueille dix-sept enfants, de milieu assez privilégié même si ce n’est pas forcément le cas de tous les élèves. « Le recrutement étant ouvert aux enfants du quartier et l’école étant gratuite, il y a une volonté de permettre l’enseignement du français à toutes les familles ».

Côté élèves, Agnès reconnaît que ce n’est pas toujours évident. « Il y a, dans un premier temps, le barrage de la langue. Seulement cinq de mes élèves parlent le français à la maison. De plus, beaucoup arrivent en grande section sans avoir été scolarisés auparavant, puisqu’ici avant ce niveau, c’est une garderie payante qui est proposée aux familles. On a donc des enfants qui arrivent et qui ne savent pas tenir un crayon. Sinon, on a le même profil d’élèves, des « qui vont vite », des « qui vont lentement », des en situation de handicap… ».

Adepte en France de la classe coopérative, Agnès tente de mettre en place certains aspects de cette pédagogie : responsabilités, conseils, choix du travail… Mais il lui faut aussi tenir compte des choix de l’école. « La gestion du comportement est, par exemple très « américaine », à base de tickets de félicitations… et de jouets à acheter avec à la fin ! » Les parents sont, quant à eux, très présents, très disponibles. « Ils n’hésitent pas à nous acheter le matériel de classe nous aurions besoin ».

Dans le respect strict des traditions américaines, le mois d’octobre sera consacré à Halloween. « On va aller au zoo et découvrir les champs de citrouille. Les parents organisent aussi une fête ».

Partir enseigner à l’étranger trotte dans la tête de beaucoup d’enseignants et enseignantes, le programme Jules Vernes est peut-être une belle occasion de faire le grand saut, sans oublier le parachute…

Lilia Ben Hamouda