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En plein confinement beaucoup ont cru que l’Ecole allait disparaitre. Pas Aziz Jellab, inspecteur général et professeur à Paris Lumières. Pour lui l’Ecole sort renforcée de cette crise notamment parce que les relations entre les professeurs, les élèves et les parents se sont renforcées. Cela donne finalement une chance pour construire « l’école d’après ». Une école plus juste, plus instituante qui serait celle de la pédagogie coopérative. Aziz Jellab s’en explique.

Ce livre dessine ce que pourrait être « l’Ecole d’après » la crise sanitaire. Cette Ecole est-elle un mythe ou existe-elle ?

Le confinement a été un révélateur du besoin d’une école qui évolue. Comme beaucoup, j’ai constaté que l’école a été mise à l’épreuve mais aussi qu’elle a été capable de réagir sur cet événement inattendu grâce à ses acteurs de terrain. Ils ont fait preuve d’magination alors qu’ils n’étaient pas préparé à cette épreuve. L’Ecole d’après est apparue comme une interrogation sur ce que serait une école à venir. Une Ecole en phase avec le monde qui vient.

Vous dessinez une Ecole qui serait à la fois une institution nécessaire et libératrice. Pourquoi ?

On sait que l’Ecole occupe une place centrale en France. On a vu pendant le confinement que c’est une des institutions qui a le mieux résisté. On sait aussi qu’elle occupe une place déterminante pour l’avenir des individus. Et ce devenir n’est pas qu’une insertion professionnelle. C’est aussi un devenir citoyen. L’Ecole est là pour former l’esprit critique, donner des outils intellectuels à la jeune génération. Pour toutes ces raisons elle est indispensable. Certains ont cru à sa disparition. A mes yeux il se trompent.

L’école est aussi libératrice. Elle libère des déterminismes, pas seulement sociaux mais aussi idéologiques. Elle libère de ces dépendances en donnant aux élèves des éléments de compréhension du monde. Elle les amène à développer une réflexivité.

Pour cela il faut une autre pédagogie ?

Dans ce projet d’émancipation il y a l’idée que l’école doit contribuer à la solidarité. Les élèves doivent aussi apprendre à faire ensemble. Durant le confinement les professeurs ont pu voir les conditions réelles d’existence des élèves. Une sensibilité s’est dégagée de cette expérience. Or quand on découvre la réalité de la vie des élèves on ne peut que s’interroger sur la manière dont on peut leur donner une appétence à apprendre. On sait que les élèves sont très sensibles à la qualité de la relation pédagogique, surtout quand ils viennent de milieu modeste. Aussi la pédagogie de la coopération qui met en valeur le collectif est une manière de créer du lien et finalement de réduire les inégalités pour que l’école émancipe tous les élèves. La crise a révélé un besoin d’accompagner autrement les élèves notamment les moins favorisés.

Le collectif est d’ailleurs aussi une pédagogie pour les enseignants. Car le collectif professionnel a pris du sens dans ce contexte. Durant le confinement les professeurs ont développé davantage de coopération. Ils en ont ressenti le besoin. Cette pédagogie coopérative est aussi une modalité de travail en commun pour les enseignants. Elle dessine aussi cette école de l’avenir.

Vous dites que cette école doit être l’école de la mixité sociale. Pourquoi ?

Elle répond à une question fondamentale : comment l’école dans sa mission de transmission peut aussi oeuvrer à produire des effets sur la société. La mixité sociale c’est un apprentissage qui rapproche des élèves de milieux différents. Mais c’est aussi ce qui crée du commun et de l’ambition chez les élèves. Quand on dit que « nos élèves manquent d’ambition » on oublie que l’ambition ne se décrète pas. Elle se construit. L’ambition est ce que leur environnement donne à voir aux élèves. La mixité sociale contribue à la démocratisation scolaire car elle ouvre des horizons et lutte contre le misérabilisme.

Finalement c’est la pédagogie du lycée professionnel que vous étendez à toute l’école ?

Effectivement j’ai beaucoup travaillé sur la voie professionnelle et l’éducation prioritaire ainsi que sur la bienveillance. Il y a bien un fil conducteur. A partir de ces observations on peut dégager des invariants pour tous les établissements. Par exemple la qualité de la relation pédagogique, l’évaluation des élèves, l’ouverture de l’école sur la vie et le monde. La qualité de la relation pédagogique est un invariant que j’ai observé en lycée professionnel. Rendre l’école exigeante et attentive au sort de tous les élèves est aussi très positif. Les élèves à besoins particuliers interrogent la forme scolaire. Ils amènent les enseignants à interroger leur pratique.

Vous défendez une école de la solidarité. Mais l’école réelle est celle du tri social. Pourquoi la solidarité devrait s’imposer ?

La solidarité est une question anthropologique. On a besoin des autres pour grandir. On sait que les élèves apprennent en focntion des apprentissages des autres. La solidarité c’est la capacité de l’institution à créer du lien avec les élèves pour leur apprendre à raisonner. Ce sont ces liens à travers de la pédagogie de projets qui permettent aux élèves de grandir. La solidarité entre jeunes favorisée par les adultes permet de sortir de bien des impasses. Une école solidaire est une école qui n’abandonne pas ses exigences de formation mais qui permet aux élèves d’être partie prenante à l’apprentissage.

Aussi l’école n’est pas qu’une école du tri. Elle peut aussi défendre l’émancipation. Tout dépend de son modèle. Certaines écoles font mieux progresser les élèves et on peut le faire à travers des projets solidaires.

On voit la puissance du mouvement qui veut une école qui préserve les positions sociales. Qu’est ce qui pourrait pousser l’école à changer ?

Pour lutter contre les stratégies conservatrices des familles il faut imaginer des offres de formation qui rendent les écoles attractives. L’égalité des chances est une valeur partagée par tout le monde. Mais les familles cherchent toujours le meilleur établissement pour leur enfant. Il y a donc une tension entre ce type de comportement et l’intérêt général. L’approche par l’offre scolaire me semble la meilleure pour créer les conditions de l’apprentissage ensemble.

Ce livre se présente comme un plaidoyer. Quelle place donnez vous à l’optimisme dans l’avenir de l’école ?

C’est un livre optimiste car je crois que ce qui fait la grandeur de l’école c’est la croyance dans l’éducabilité des élèves. J’ai vu aussi durant le confinement les acteurs de l’école se mobiliser au delà de ce qui était attendu. Il y a donc bien cette lueur du pouvoir agir.

Je sais que l’école n’est pas un univers simple et qu’elle doit faire face à des défis. Dans le climat d’incertitude actuel , l’école est ce qui rassure. Elle a résisté et ouvre des perspectives aux élèves et aux enseignants.

Propos recueillis par François Jarraud

Aziz Jellab, L’école à l’épreuve des incertitudes. Plaidoyer pour une institution émancipatrice. Berger Levrault. ISBN 978-2-7013-2159-2. 19€

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