On ne sait pas trop où se situe l’intrigue. Ce pourrait être dans n’importe quel collège d’un quartier populaire, un peu délabré, pas forcément bien entretenu. Mais dans celui-ci, il y a régulièrement des perruches qui se regroupent, ce qui embellit un petit peu les choses. Mais un peu seulement.
Le reste n’est pas très réjouissant. En scène, un enseignant encore jeune mais qui a perdu toutes ses illusions sur le métier. Il ne croit plus en rien, n’arrive plus à trouver les ressources pour même s’attendrir, encore moins enseigner. Il était pourtant entré dans la profession plein de l’ardeur de la jeunesse qui croit encore pouvoir changer le monde en transmettant des savoirs. À côté de lui, et sans que cela ne vienne rompre sa solitude, des petits adolescents, dont Obi qui lui, au contraire, n’a pas encore perdu ses illusions d’enfants. Du moins au début du roman. Obi a un nouveau stylo quatre couleurs. Il est fou de joie même s’il ne l’a pas obtenu de façon très honnête. Le stylo brille de mille feux. Il pourra le brandir aux yeux de toute la classe et alors il ne sera plus Obi le pauvre, Obi le plouc. Mais le stylo disparaît, et emporte la joie d’Obi.
Le roman de Thomas Terraqué est un rappel brutal à la réalité sur ce que devient l’école. C’est un portrait noir et sans concessions, difficile à lire parfois mais hélas fidèle à ce qu’éprouvent de nombreux enseignants et élèves. Et la force de la littérature est de nous faire entrer dans les têtes. D’un côté Monsieur V qui ne sait plus ce qu’il fait ici et accumule des objets mystérieux dans le tiroir de son bureau. Monsieur V qui ne sait plus non plus s’il déteste ses élèves, ou s’il a désormais atteint le stade de la plus complète indifférence. De l’autre Obi, amoureux d’une jeune fille de la classe, qui promène ses yeux innocents mais que l’institution attend au tournant, ce qui ne manque pas d’arriver car Obi ne maîtrise aucun code de l’école. C’est donc sur lui que ça tombe alors que l’apparence plus sage d’autres élèves cache parfois des crimes, des vrais cette fois. Obi, lui, ne comprend pas tout des violences qu’il croise. Il a deux obsessions : son stylo, et la belle Candice qu’il aime. Si Obi réussit à nous émouvoir, il insupporte en revanche Monsieur V. On ne sait pas trop pourquoi mais Obi est l’enfant de trop, à l’origine du craquage.
Et ce roman est bel et bien l’histoire d’un craquage.
En ce sens il fait écho au mal qui ronge l’école publique : le sentiment d’impuissance des enseignants. Mais il rappelle aussi combien l’école sabote l’enfance, et plus encore quand il s’agit des plus vulnérables et fragiles socialement, tant elle ne comprend pas grand-chose à ces enfants et préfère s’emmurer dans la cécité. Il faut lire ce premier roman de Thomas Terraqué comme un appel au sursaut, avant qu’il ne soit trop tard.
Laurence de Cock
Quatre couleurs, Thomas Terraqué. Éditions Seuil – Nouvel Attila.
