La voie professionnelle, a été annoncée « priorité nationale » par le président Macron qui en a porté et prôné la réforme menée depuis 2018. Ces « contre-réformes » selon Daniel Bloch sont dénoncées par les personnels qui déplorent la réduction de temps d’enseignement pour les élèves. Le 40e anniversaire n’a pas été fêté à l’Elysée, mais c’est l’occasion pour Le Café pédagogique de scruter et analyser l’histoire, l’évolution de cette filière avec Daniel Bloch, son « père fondateur ». Il répond à nos questions, comme il a répondu à celles des députés Jean-Claude Raux (Les écologistes) et Geraldine Bannier (Modem) qui ont lancé une mission flash de l’Assemblée nationale sur le thème du baccalauréat professionnel. « Si elle ne conduit qu’à dresser un Etat des lieux, ce sera déjà bien car le Ministère s’est, jusqu’à ce jour, refusé à le faire. Il faut dire que ce sont les mêmes qui sont aux manettes et qui ont en charge l’évaluation des actions qu’ils ont portées » déclare Daniel Bloch.
C’est le 40e anniversaire du bac professionnel dont vous êtes le père fondateur et un compagnon de route. Pouvez-vous en rappeler quelques étapes ?
En septembre 1985, Jean-Pierre Chevènement me confie une mission : proposer des mesures pour rapprocher l’École et l’entreprise. J’ai ainsi suggéré la création du baccalauréat professionnel, dans le cadre d’un objectif ambitieux : conduire 80 % de la classe d’âge au niveau du baccalauréat à l’an 2000. Jean-Pierre Chevènement adopte ces deux propositions, pratiquement en temps réel, ce qui a été facilité par le fait que j’avais un bureau parmi ceux réservés à son cabinet, et, en son sein, un interlocuteur permanent.
Dans ces conditions, la mise en œuvre du baccalauréat professionnel a pu se faire selon un calendrier extrêmement serré. Un cas d’école. Ces premières propositions ont été soumises au ministre le 5 janvier 1985, validées en réunion de cabinet le 28 février 1985, puis largement discutées avec les partenaires sociaux au cours des trois mois suivants[1]. Trois mois pour convaincre de leur nécessité une bonne partie de ceux qui considéraient ces propositions comme infondées, mais aussi pour mobiliser l’administration centrale et l’Inspection générale, initialement réticentes. Le baccalauréat professionnel a été officiellement créé par décret le 27 novembre 1985, soit deux mois après la rentrée ! La preuve que, sous la conduite d’un ministre déterminé, le ministère de l’Éducation nationale peut agir rapidement et efficacement.
Les premières classes préparant au baccalauréat professionnel ont ainsi ouvert à la rentrée 1985-1986, conduisant à la première promotion de bacheliers professionnels, en juillet 1987, mais avec seulement 880 diplômés. À la fin du gouvernement de Laurent Fabius, et à la veille des élections de mars 1986, celui-ci a demandé à chacun de ses ministres de citer l’essentiel de son bilan. Jean-Pierre Chevènement a simplement mentionné le baccalauréat professionnel. Son successeur, René Monory, aurait pu remettre en cause ce diplôme encore fragile, mais il a soutenu son développement. Le nombre de diplômés atteindra ainsi 97 000 en l’an 2000. Il est aujourd’hui proche de 170 000. Depuis 1987, près de 5 millions de diplômes de bachelier professionnel ont été délivrés, avec une majorité de diplômés – environ les trois-quarts – issus de milieux défavorisés : employés, ouvriers et sans activité professionnelle, qui, sans le baccalauréat professionnel, n’en seraient pas arrivés là.
Quelles autres propositions avez-vous pu porter et accompagner ?
J’ai été à l’origine d’autres propositions, cohérentes avec les deux propositions déjà évoquées. Et nécessaires. Il s’agit tout d’abord de celle ayant abouti à la création des classes de quatrième et troisième technologiques en collège et des classes de quatrième et de troisième professionnelles en lycée professionnel, création dont j’ai réussi, en 1987, à convaincre René Monory qu’elle était nécessaire. Pourquoi nécessaire ? Parce qu’environ 30 % des collégiens sortaient alors de cinquième pour s’engager au mieux dans une formation conduisant au CAP en trois ans, les autres étant confinés, notamment dans des Classes préprofessionnelles de niveau, ou CPPN, ou dans des Classes préparatoires à l’apprentissage, ou CPA, en attendant d’avoir 16 ans, l’âge de la fin de la scolarité obligatoire. Comment, avec 30 % de sortants en fin de 5ème aurait-on pu conduire 80 % de la génération au niveau du baccalauréat ?
Ces classes ayant été supprimées, au tournant des années 2000, j’ai initié puis piloté les classes de découverte professionnelle au collège, sous François Fillon, avec la création, en 2005 des 3èmes de découverte professionnelle, en ayant été amené jusqu’à présenter les arrêtés les créant et les documents pédagogiques que nous avions conçus, au Conseil supérieur de l’éducation[2]. Des classes rebaptisées par certains des ministres qui ont suivi, en classes préparatoires à la voie professionnelle, puis classes prépa-métiers, après des ajustements cosmétiques : de l’innovation à bon marché…
Il s’agissait aussi d’agir, en aval, sur l’accueil des nouveaux bacheliers dans l’enseignement supérieur. Le nombre de bacheliers double en effet entre 1985 et l’an 2000. J’ai pu ainsi, notamment comme directeur des enseignements supérieurs, contribuer à l’élaboration et au déploiement du plan Université 2000 de Lionel Jospin, plus particulièrement dans le champ de l’enseignement technologique supérieur.
Plus récemment, de 2014 à 2017, j’ai piloté les Campus des métiers et des qualifications, dans le cadre d’une mission que m’avait confiée Najat Vallaud Belkacem. Ici encore une mission ayant fonctionné en temps réel, à caractère clairement opérationnel, accomplie au plus près de la ministre et de son cabinet.
Quel regard portez-vous sur son histoire récente et plus précisément sur les conséquences induites par les réformes de 2009, amplifiées par celles imposées en 2018 ?
Il est certes nécessaire de dresser un état des lieux, mais il est en effet également crucial de se tourner vers l’histoire. Comme l’a écrit Marc Bloch, l’ignorance du passé conduit fatalement à l’incompréhension du présent. Et nombreux sont ceux qui le méconnaissent. La période 1985-2000 a été particulièrement faste pour l’enseignement professionnel, notamment grâce à la loi de Jean-Pierre Chevènement, en 1985, portant programmation de l’enseignement technologique et professionnel, et au plan Université 2000 de Lionel Jospin, en 1990, qui la complétait. Cependant, les années qui ont suivi ont été marquées par des contre-réformes plutôt que par de nouvelles avancées. J’en citerai trois.
La première concerne l’extinction prématurée des classes de quatrième et de troisième technologiques et professionnelles au tournant des années 2000. Cette extinction a conduit à l’effondrement du niveau moyen des élèves à la sortie du collège et, par conséquent, à celui des élèves entrant en lycée professionnel. Alors que leur introduction avait considérablement amélioré ce niveau. Avec une interrogation fondamentale, à laquelle je conçois qu’il puisse y avoir des réponses diverses. Faut-il a tout prix maintenir, en quatrième et en troisième, un certain degré de mixité sociale s’il en résulte des dégâts irréversibles et une démixtion sociale au cours des 70 ans qui suivent, à admettre ce type de classes à option technologique ou professionnelle, conduire ces élèves perdus au fond de la classe à un diplôme et au-delà à un emploi. Ce à quoi elles réussissent, avec des élèves satisfaits d’avoir pu y accéder, une chance car l’offre de formation est loin de répondre à la demande. Une réussite qui interpelle[3] ou qui devrait interpeller.
La seconde contre-réforme, celle de 2009, a réduit de quatre à trois années la durée de préparation du baccalauréat professionnel, entraînant des difficultés considérables d’accès à l’emploi pour les bacheliers professionnels, dont le niveau de compétence a ainsi été réduit. Six mois après leur sortie, le taux d’emploi des bacheliers formés dans les lycées professionnels et n’étant pas en poursuite d’études était, début 2022, de 37 %, alors qu’en 2010, lorsque les bacheliers professionnels sortaient encore après avoir reçu une formation de quatre années, ce taux était de 62 %. En 2022, un à quatre ans après l’obtention du diplôme, 44 % des bacheliers occupaient des emplois pour lesquels un CAP aurait normalement suffi, et 34 % des emplois ne nécessitant en principe aucune qualification. Les effets délétères de cette contre-réforme du baccalauréat professionnel ont été amplifiés par celles qui ont suivi, avec l’introduction du chef-d’œuvre et de la co-intervention, aucune de ces « innovations » n’ayant conduit aux effets prétendus, notamment parce qu’elles ont été introduites en réduisant le nombre d’heures enseignées.
Les dernières réformes touchant à la classe de terminale ont réduit de six le nombre de semaines d’enseignement. Pour certains élèves, compensées par des conférences supposées préparer aux études supérieures, mais situées après les épreuves d’examen, avancées en mai, des conférences alors tenues devant des classes désertes. Pour d’autres, ces semaines ont été remplacées par six semaines de stages, mais introuvables.
Insistons un moment sur cette réforme, d’une naïveté sans égal : comme si, à 19 ans, après près de 600 semaines d’enseignement souvent perturbées depuis l’entrée en maternelle, il suffisait, pour les uns, de six semaines de séminaires de préparation aux études supérieures pour y réussir, ou, pour les autres, de six semaines de stages, même attractifs car dotés d’une gratification, pour accéder plus facilement à un emploi du niveau auquel le baccalauréat professionnel devrait permettre d’accéder.
Ces réformes, de fait, se sont révélées comme pratiquement impossibles à mettre en œuvre sur le terrain. Elles viennent d’on ne sait où, et sont très coûteuses. À l’inverse des alchimistes, qui prétendaient transformer le plomb en or, certains responsables politiques ont réussi l’exploit de transformer l’argent en plomb.
La troisième contre-réforme, signée Jean-Michel Blanquer en 2017, a dénaturé les Campus des métiers et des qualifications. Cette réforme leur a fait perdre leur principale raison d’être, à savoir être en premier lieu des outils d’aménagement du territoire, principalement tournés vers les villes moyennes[4]. Il s’agissait de constituer ces Campus en des lieux visibles et concrets, de confluence de tous les niveaux et modes d’enseignement. Ils ont, en 2017, été transformés en réseaux délocalisés, sans visibilité, regroupant chacun sur toute la surface des académies, voire selon un mode interacadémique, jusqu’à plusieurs centaines de formations et de structures. Et sans le moindre statut. Les Campus, un concept qui aurait pu être porteur d’espoir, de renouveau de l’enseignement professionnel, mais dont l’existence n’est plus même évoquée. Pourtant, ils portaient une large part de l’avenir de l’enseignement professionnel.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
[1] Les documents correspondant sont disponibles aux Archives nationales, fonds Daniel Bloch, « Cartons » 785AP4 à 785AP8.
[2] Daniel Bloch, Document d’accompagnement module découverte professionnelle 6 heures
[3] Bilan et perspectives relatifs à la classe de troisième préparatoire aux formations professionnelles (rapport IGEN) | Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
[4] Le déploiement académique et régional des Campus des métiers et des qualifications. https://www.education.gouv.fr
