Alors que les épreuves du baccalauréat de la voie générale débutent ce lundi avec la philosophie, épreuve et enseignement dont sont toujours privés les élèves de la voie professionnelle, les professeurs de lycée professionnel constatent le « naufrage programmé » des réformes de leur voie et les lycées désertés avec le parcours Y. 170 heures d’enseignement en moins, une année scolaire écourtée, un « parcours différencié » vidé de sens : la réforme du lycée professionnel, imposée à marche forcée par le gouvernement, est vivement dénoncée par la CGT Éduc’action, le SNUEP-FSU et de nombreux enseignants de terrain. Philippe Dauriac, secrétaire national CGT Éduc’action, parle d’un « fiasco ». Témoignages et analyses convergent vers un constat alarmant : le lycée professionnel est instrumentalisé au détriment des élèves et de leurs enseignants.
Moins d’école, plus d’entreprise… et beaucoup de vide
Avec la réforme Macron de la voie professionnelle, les élèves de Terminale bac pro ont perdu l’équivalent de 170 heures de cours, dont 71 heures rien que pour les matières professionnelles. En cause : la concentration des enseignements sur un temps scolaire raccourci et le développement du « parcours différencié » après les examens, censé offrir des modules de préparation à l’emploi ou à la poursuite d’études.
Le secrétaire national VP de la CGT éduc’action, Philippe Dauriac dénonce une réforme fondée sur l’illusion que l’on peut « faire mieux avec moins ». Pour lui, ce choix est profondément déconnecté de la réalité : « Demander aux élèves de Terminale pro de travailler à ce rythme, c’est ne pas connaître leur profil. » Le syndicaliste pointe un rythme intenable, un appauvrissement des contenus depuis la réforme Blanquer de 2019 et une instrumentalisation du système scolaire au service des besoins immédiats du marché de l’emploi local : « C’est une mise en service du lycée pro, vers la loi Plein emploi 2027. »
« En l’état, le lycée est vide, les élèves ont disparu »
Armel Briend, enseignant en Bac Pro Maroquinerie, livre un témoignage édifiant sur la fin d’année chaotique dans son établissement dans le Tarn. Avec des examens avancés en mai, les modules du parcours en Y (alternance entre stage, emploi ou préparation à la poursuite d’études) : « L’année se termine pour mes élèves en février ! », résume-t-il.
Modules vides, élèves absents, enseignants déboussolés… « C’est une gabegie. La plupart des élèves ont déserté, lassées par la désorganisation totale. » Certains ont préféré retourner en entreprise. D’autres, internes venus de loin, n’ont pas supporté de venir pour seulement quelques heures d’enseignement par semaine. « En l’état, le lycée est vide, les élèves ont disparu » déplore-t-il.
Un parcours qui affaiblit la formation
« Il y aurait tant à raconter sur cette étrange année qui a pressé tout le monde. La lassitude des collègues est forte, malgré nos appels syndicaux récurrents depuis l’annonce de la mise en oeuvre de cette réforme, certain·es ont découvert au moment de sa mise en place réelles l’absurdité du projet » explique-t-il. Il poursuit : « Beaucoup de collègues ont boycotté les groupes de travail au sein de mon établissement même s’il reste toujours un nombre non négligeable de collègues PACTÉ·ES qui y participent ».
Ce parcours, censé ouvrir vers le supérieur, affaiblit en réalité la préparation aux BTS. « On les forme à produire, pas à concevoir. On les contraint à s’insérer, parfois sans condition, dans le monde du travail », constate amèrement Armel Briend.
Une réforme contre les classes populaires
Pour Philippe Dauriac, la réforme est un enjeu de classe. « Plus de 66 % des élèves de LP viennent de milieux défavorisés. On les assigne à résidence. L’offre de formation dépend désormais des besoins locaux, sans véritable choix pour les élèves. »
Il dénonce une politique court-termiste, où la logique économique prime sur le projet éducatif. « L’entreprise est devenue l’alpha et l’oméga de la formation », fustige-t-il. « Or, les PFMP (stages en entreprise) sont discriminatoires, dangereuses (exposition aux risques professionnels, aux VSS – violences sexistes et sexuelles), et dépendent de la conjoncture. Pendant le COVID, les élèves n’étaient pas en entreprise, mais dans les ateliers du lycée. Cela montre bien leur caractère non essentiel. »
Une voix professionnelle sacrifiée, des enseignants à bout
Le SNUEP-FSU demande le retour des examens en juin et l’abandon du parcours différencié. Pour le syndicat, « il est temps de stopper cette catastrophe scolaire ». La perte de sens est palpable chez les enseignants. Pression permanente, surcharge de travail, élèves démobilisés : « C’est incompatible avec nos métiers, avec nos élèves, avec le sens même de notre mission », dénonce la CGT Éduc’action. En ligne de mire : l’exigence d’un lycée professionnel renforcé, avec des moyens, une ambition éducative, et non une logique d’adéquation au rabais.
« Cette réforme est faite par des gens qui n’ont jamais mis leurs enfants en lycée pro », conclut Philippe Dauriac. Le mépris institutionnel, lui, ne fait aucun doute.
Djéhanne Gani
