Les nombreuses parutions d’ouvrages rédigés par des enseignants, ou relatant des témoignages d’enseignants depuis quelques temps interrogent à plusieurs égards. Le dernier paru, ” La République des enseignants ” (voir la rubrique bibliographie), en se situant différemment, rapportant une centaine de témoignages d’enseignants ordinaires, en est une bonne illustration.
Pourquoi faut-il tant parler de l’école, de l’extérieur ou de l’intérieur ? Est-ce le reflet d’un conflit caché ? Est-ce le signe d’un malaise ? Est-ce un effet de mode ? quoi d’autre ? Sans apporter ici de réponse tranchée, et en tant que participant à ce concert d’expression, de ce lieu si particulier qu’est le Café pédagogique, je voudrais apporter un éclairage.
Parce que la nature humaine ne se réduit pas à une quelconque mise en formule, l’éducation de l’être humain est forcément quelque chose de relativement insaisissable, de mouvant, de souple, de poreux. Si les choses étaient aussi mécaniques que certains le souhaiteraient, le débat serait vite clos. L’histoire de l’informatique a révélé au cours des trente dernières années que le mythe de la mécanisation de l’acte d’enseigner appartenait au rang des mythes fondateurs. L’informatique pourrait très bien être mise au service de ce processus de normalisation/formalisation de l’esprit si ce n’est que les difficultés rencontrées par l’intelligence artificielle nous appellent à la plus grande modestie. Ainsi tenter de réduire l’éducation à un process bien identifié se solde depuis longtemps par des échecs et la ” re-républicanisation ” de l’école, pas plus que sa libéralisation totale, ne sont en mesure de l’atteindre.
La deuxième hypothèse que l’on peut formuler concerne le souhait du ministre de faire parler de l’école depuis tous les lieux et surtout en dehors de l’école. Ainsi l’école serait une chose trop importante pour que ce soit ceux qui y travaillent qui décident ce qu’il faut faire ! Et pourtant l’institution éducative résiste depuis longtemps à toute tentative d’évaluation venue de l’extérieur…elle qui a ses propres corps d’inspection. Ainsi à vouloir faire parler tout le monde sur l’école, il est logique que les premiers à réagir soient ceux qui la vivent au quotidien, révélant ainsi un sourde inquiétude à cette nouvelle forme d’évaluation qui pourrait venir en particulier d’une assemblée d’élus qui sont parfois très éloignés du quotidien des enjeux de la pratique scolaire.
La troisième hypothèse que l’on peut formuler serait celle d’une société en train de se poser la question de la survie de la ” dernière de ses institutions “. Autrement dit, il pourrait s’agir en quelque sorte d’un cri d’alarme que tentent de pousser ces auteurs qui voient dans l’école le dernier lieu de ” normalisation institutionnelle ” possible. En effet, dernier lieu dans lequel tous les citoyens sont censés passer, il est le dernier lieu d’expression de la ” norme “. C’est pourquoi probablement le contenu de ces ouvrages d’enseignants tentent tous de préciser cette norme, chacun à leur façon. L’émergence d’un questionnement ” essentiel ” sur l’école en tant qu’institution dépasse les propos souvent ” fonctionnalistes ” de ces ouvrages.
Car il s’agit surtout de préparer un débat sur la survie de l’école, et en particulier de ” l’école pour tous ” à laquelle nous sommes invités. L’invention du quotidien, chère à Michel de Certeau, nous est montrée au travers de tous ces ouvrages, avec ses richesses et ses pauvretés. D’aucuns seraient tentés d’encadrer cette “liberté pédagogique” si tant est qu’elle puisse l’être. Entre l’insaisissable de la nature humaine, l’opacité des pratiques quotidiennes et la volonté de normaliser, il y a un débat qui enfle chaque jour et dont le point d’orgue devrait être en 2004 au parlement.
Le Café pédagogique s’est engagé depuis deux années maintenant dans une ” pratique ” nouvelle et a rencontré un succès qui étonne et ravit la grande majorité des acteurs de l’éducation. Au même titre que tous les acteurs il invente le quotidien, mais a choisi d’engager chacun de nous à sortir de son isolement, de son opacité pour aller vers des pratiques d’échanges, de mutualisation et de débat.
Non le métier d’enseigner n’est pas un métier comme les autres. Il mérite à ce titre des égards particuliers. En particulier, celui du droit à inventer le quotidien au nom de la nature humaine. Par contre il ne peut plus s’exercer dans le même cadre, du fait de l’émergence des nouvelles pratiques d’information et de communication dans la société. Cependant à vouloir changer le cadre d’aucuns seraient prompts à vouloir ” rationaliser ” l’Ecole. L’usage des réseaux est en train de changer les cultures et les mentalités, qu’on le veuille ou non. Certes cela ne se voit pas toujours dans l’immédiateté de la journée de classe, mais c’est très sensible dans les discours internes.
Pour l’instant les publications de livres sont des éléments du paysage, mais il ne faut pas s’en contenter dans et hors de l’école. Il est trop facile d’utiliser le spectacle médiatique comme seule surface de débat. Le métier d’enseigner est un métier ” ordinaire “. Laissons lui aussi le droit d’exister comme tous les métiers ” ordinaires “, c’est à dire différents de tous les autres. Le réduire à un débat télévisé ou politique est une vue de l’esprit.
Les mois de Mai font souvent parler d’eux, celui de 1968 comme celui de 2002…. Puisse celui de 2003 ne pas être à la base d’une incompréhension générale sur ce que signifie éduquer dans notre société.
Bruno Devauchelle
Cepec