Dans les critiques habituelles faites au développement des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement, la plus pressante est celle qui dénonce la confusion entre information et connaissance. Il est fréquent d’entendre des enseignants dénoncer l’attitude des élèves qui cherchent de l’information et se satisfont d’en ramener en classe des pages entières sans les avoir comprises, si ce n’est lues. Comme si pour les élèves posséder l’information était à double sens, comme si détenir le support équivalait à en « connaître » le contenu. Contrairement à ce que l’on déclare habituellement, cette façon d’agir n’est pas spécifique aux jeunes mais très largement partagée aussi bien par les jeunes que par les adultes. De plus il est courant dans cette dénonciation d’oublier que la réception d’une information est une situation complexe qui ne se réduit pas simplement à une perception, mais qui bien souvent s’apparente à une situation d’apprentissage.
Ainsi il y a douze ans, en expérimentant une formation ouverte et à distance d’enseignant utilisant l’ancêtre d’Internet, le BBS, nous avions été étonné de voir que tous les participants voulaient posséder tous les supports papiers que nous avions conçus et ne supportaient pas de ne pas les avoir «tous ». En effet nous avions conçu des supports papiers qui correspondaient aux besoins de chacun suite à une première évaluation. A d’autres occasions ce comportement collectionneur a pu être observé. A certains auxquels nous demandions pourquoi ils voulaient les posséder, ils nous répondaient « ça peut toujours servir ».
Nombre d’abonnés des listes de diffusion, voire du Café pédagogique, nous disent qu’ils conservent les informations même s’ils n’ont pas le temps de les lire, et qu’ils ne les liront probablement jamais. Les disques durs seraient aussi pleins que les armoires. Comment dès lors reprocher aux élèves un comportement collectionneur ? On objectera que ce n’est pas ce qu’on attend d’eux à l’école. Mais comment se fait-il que ce comportement des élèves se perpétue si nous avons autant conscience de l’inutilité d’un tel comportement ?
Une première explication pourrait être qu’en réalité ils considèrent que malgré tout cette façon de faire est plus «rentable ». Une autre explication serait qu’ils considèrent que cela ne changera rien au reste de leur travail scolaire. Une troisième explication pourrait être qu’ils ne comprennent pas ce qu’on leur demande. Il est probable que derrière chacune de ces explications se cache un peu de vrai. Mais ce qui est commun à ces trois explications c’est que la surabondance d’information qui est devenu notre quotidien reste un élément que nous n’avons toujours pas pris en compte dans le système scolaire. Il semble en effet que nous n’en soyons qu’au début d’un changement important et lent. On peut considérer qu’il y a environ trente ans que la télévision, les calculatrices et le téléphone sont entrés dans le quotidien du grand public. Autrement dit, les jeunes enseignants qui arrivent dans nos établissements font partie de la première génération à être née avec ces supports. Nous découvrons donc avec étonnement et défiance (il suffit de lire les ouvrages sur les effets de la télévision parus ces derniers mois pour le comprendre) que l’omniprésence d’outil dans l’univers quotidien est en train de réellement modifier nos comportement.
Pour Internet et l’ordinateur, les choses sont beaucoup plus récentes et encore en développement. Autrement dit nous avons développé des technologies et nous commençons à peine à comprendre quels en sont les effets. Même si les concepts techniques sont anciens pour la plupart, c’est l’accessibilité qui est récente. Or c’est cette accessibilité qui permet l’appropriation par les usagers. Ainsi l’information est devenue abondante alors que pendant de longues années elle a été rare et surtout contrôlée (rappelons nous la télévision au début des années 60 en France). La soif que tout un chacun a d’y accéder n’a pas encore cédé le pas à la compréhension du mécanisme sous-jacent à sa production et donc à une prise de distance. Nos élèves sont issus de cette génération qui a pu enfin accéder à ces informations, on peut penser que dans quelques années les générations suivantes auront d’autres comportements. L’école d’ailleurs commence à se mobiliser sur cette question.
Quant aux situations dans lesquelles nous sommes en contact avec l’information, elles s’avèrent de plus en plus complexes de par leur multiplicité et surtout par les modalités nouvelles que les technologies proposent. Les travaux menés sur la construction des conceptions par les jeunes à partir des médias montrent qu’il y a de réels apprentissages qui s’effectuent. Certes à l’aune des savoirs scolaires, ces apprentissages semblent souvent bien médiocres. Or l’analyse des parcours d’apprentissage des jeunes et des moins jeunes impose une remarque essentielle : le lien entre les différents moments de l’apprentissage est beaucoup plus complexe que les apparences ne le laissent penser. L’omniprésence du système scolaire aussi bien pour l’apprentissage que pour la certification dans notre société tend à faire oublier qu’il n’est jamais, pour le sujet, qu’un élément parmi d’autres dans ses apprentissages. Le développement d’Internet en est un révélateur puissant quand on interroge les jeunes. Les soubresauts qui, continuellement, traversent le monde scolaire et qui ont pris récemment une ampleur particulière sont probablement les indices d’une telle prise de conscience.
Bruno Devauchelle
Cepec