Le symbole de l’examen de fin d’études est tellement ancré dans notre culture que la moindre tentative pour le faire changer suscite des débats importants. Au moment où les élèves des classes terminales abordent le baccalauréat, on peut se demander si celui-ci n’est pas en train d’évoluer de façon imperceptible. En effet un certain nombre de signes montrent que les choses bougent, non pas dans la forme, mais dans le fond.
Depuis longtemps la revendication d’un examen terminal anonyme et équitable a été la base du maintien du baccalauréat. Avec l’enseignement d’EPS, l’épreuve de travaux pratiques et les TPE, ainsi que certaines épreuves optionnelles, la forme traditionnelle est petit à petit transformée. Certes ce sont des phénomènes marginaux, mais il n’en ont que plus de valeur. Ils démontrent que l’idée d’une évolution est en cours. Elle ne se manifeste pas tant dans la forme que dans la culture de l’enseignement qui transparaît dans ces pratiques.
Plus généralement c’est la conception que tous les acteurs de l’éducation se font de l’évaluation qui est en évolution. La logique des compétences est en train de prendre pied de façon de plus en plus affirmée dans l’ensemble de l’enseignement. Si Françoise Ropé et Lucie Tanguy nous montrent que cette évolution pourrait bien signifier un rapprochement des logiques de l’entreprise et de celles de l’école, il semble que les choses doivent être envisagées de façon plus large. En effet n’oublions pas que l’entrée par les compétences a eu le principale mérite de nous rappeler que ce sont les élèves qui apprennent qui sont évalués, c’est le sens de l’expression mettre “l’élève au centre du système”. Si pour certain parler de compétence c’est s’aventurer sur le terrain de l’entreprise c’est parce que celle-ci s’est emparée du terme de façon très volontariste. Or le terme compétence peut être lu autrement si l’on regarde ce qu’au fond il permet dans l’enseignement. En effet depuis de nombreuses années les enseignants des classes spécialisées se sont rendus compte de l’intérêt pédagogique de l’utilisation des compétences pour permettre la progression des élèves.
Les outils qui vont avec cette logique se sont développés en particulier les portefeuilles de compétence. Arrive actuellement ce que certains appelleront une mode, mais qui mérite cependant toute notre attention, le portfolio. Sa définition est encore en débat, mais la philosophie qui préside à son fonctionnement est en fait déjà présente dans notre système éducatif. En effet la lecture attentive du texte officiel du B2i met en évidence que celui-ci désigne un référentiel des apprentissages, mais qu’il n’est pas limitatif et qu’il peut être enrichi. Or c’est bien là la qualité du portfolio par rapport au référentiel de compétence, il peut s’enrichir en permanence de compétences non prévues dans un cadre initial, mais que l’opportunité pédagogique a permis de développer et que l’enseignant a validé.
Ainsi ce ne serait pas le changement de la forme canonique du baccalauréat qui serait en jeu, mais les chemins empruntés pour parvenir à la fin de la scolarité. Car c’est une autre forme d’évolution de l’évaluation que celle qui consiste à dire que ce n’est pas tant le produit qu’il faut mesurer, mais qu’il faut le mettre en système avec le processus qui l’a généré. Les élèves et leurs parents savent bien ce que signifie cette phrase quand ils lisent les relevés de notes et les appréciations qui y sont jointes. D’ailleurs l’engouement pour les TPE a rendu visible l’intérêt des jeunes pour cette démarche, qui, ne l’oublions pas, est en place depuis 1995 dans les classes préparatoires au grandes écoles. On aura tôt fait de dire qu’avec des points au bac, cela motive, c’est rapidement oublier que l’enseignement n’est pas qu’une marchandise même pour les élèves et encore moins pour les enseignants.
La démarche de projet, la centration sur les compétences, le travail interdisciplinaire, l’évaluation des processus seraient ainsi des éléments clés de ce changement culturel qui, même s’il est combattu par certains avec des arguments qui méritent d’être entendus, n’en restent pas moins à la base d’un changement initié en réalité depuis près de vingt ans, quand le Collège de France rendait son rapport au président de la république et qu’il souhaitait que l’on prône une ouverture disciplinaire beaucoup plus grande ainsi qu’un esprit d’ouverture plutôt que d’accumulation.
Les questions que posent aujourd’hui l’omniprésence des technologies de l’information et de la communication dans le quotidien amènent à repenser les cadres d’un fonctionnement hérité d’une époque ou la notion de réseau se limitait alors à quelques moyens techniques qui commençaient seulement à émerger. Le contexte d’aujourd’hui déstabilise aussi bien les enseignants que les élèves. Le symbole du baccalauréat est un bouc émissaire trop facile pour ne pas aller voir plus loin. A y regarder de plus près dans les disciplines en particulier, on perçoit des changements fondamentaux qui sont en train de s’opérer et il n’est pas impossible qu’au delà d’une apparence catégorielle, les revendications actuelles ne soient le signe avant coureur de cette modification profonde qui est en cours. Encore faut-il que les politiques aient aussi pris conscience de cette évolution et qu’ils ne se contentent pas d’un travail de surface. La rentrée scolaire prochaine sera à ce sujet déterminante, tant la fin de celle-ci nous montre les incertitudes des responsables.
Bruno Devauchelle
Cepec