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Annoncée
et attendue, la « Lettre à tous ceux qui aiment l’école » de Luc Ferry va
susciter de nombreux remous. Pourtant l’ouvrage de 182 pages ne fait que
reprendre les thèmes habituels du ministre. L’ouvrage s’ouvre sur un constat
alarmant de l’état de l’école : « fracture scolaire », inégalités, « palier »
atteint dans la démocratisation et développement de l’illettrisme. Cet échec
de l’école tranche avec la montée continue des dépenses d’éducation. Il
justifie un programme que le ministre présente longuement : lutte contre la
violence, formation des enseignants, « engagement » des jeunes, développement
de l’enseignement professionnel, décentralisation et autonomie des
établissements. Tout ce programme a déjà été présenté dans les déclarations
antérieures du ministre.
C’est quand il cherche à expliquer les difficultés de l’école et ses
objectifs prioritaires que le ministre devient théoricien et affirme ses
convictions. Premier axiome : l’enseignement est l’affaire de tous : la
nation a son mot à dire sur le système éducatif qui ne doit pas être la
propriété de ses agents. Second principe : « l’éducation est aussi
transmission d’un patrimoine, d’un héritage, d’un ensemble de savoirs déjà
constitués que les élèves doivent davantage recevoir, apprendre, voire
respecter, plutôt qu’inventer ou créer ex nihilo… A l’omniprésente
idéologie de l’expression de soi, il faut parfois savoir préférer
l’humilité, au culte de la spontanéité, la réceptivité de l’écoute et de
l’accueil attentifs. »
Le ministre a beau se dire partisan des méthodes
actives, c’est une posture bien passive qu’il offre à l’élève face au maître
: humilité, écoute, respect, soumission. L’étude lexicographique du texte
montre que le mot « éducation » est associé prioritairement à travail,
politique, institution, Europe, entreprise. Luc Ferry rend les idées « des
années 60 » (comprenez : mai 68) responsables de la crise de l’école. Il voit
dans l’individualisme un de ses moteurs : « son exacerbation a précipité
l’école dans la crise en valorisant l’innovation au détriment de la
tradition, l’authenticité aux dépens du mérite, le divertissement contre le
travail »
. Autre accusé : le « jeunisme » : le maître doit rester la seule
source de savoirs. Les professeurs sont invités à se fantasmer en icônes
intouchables rayonnantes de savoir : « autrefois centré sur la
transmission pacifique des savoirs, (le métier d’enseignant) tend
aujourd’hui à changer de nature. La psychologie des groupes, la maîtrise des
astuces pédagogiques, l’autorité naturelle, parfois même la force physique
finissent par passer au premier plan, bien avant la compétence
disciplinaire, parmi les qualités requises pour « tenir sa classe ».. Cela
n’est pas normal »
.
Peut-être « astuces pédagogiques », les TICE ne sont pas classées dans les
priorités du ministre. Elles sont évoquées positivement par X. Darcos :
L’école doit apprendre aux élèves à maîtriser les outils modernes de
communication et à exploiter la masse d’informations auxquelles elles
donnent accès »
. Claudie Haigneré trouve d’autres qualités à Internet :
> »c’est un formidable outil d’éducation pour le jeune qui apprend à
analyser et à respecter l’opinion d’autrui dans les forums de discussion, et
aiguise son discernement en utilisant les moteurs de recherche… C’est
aussi un outil .. de lutte contre l’exclusion… un outil d’accès à la
connaissance »

L’ouvrage suscite des réactions négatives. Pour le secrétaire général de
l’UNSA « avec les idées véhiculées dans ce livre, on est en train de
revoir de fond en comble sans le dire vraiment, ce qui a été la fondation de
l’école publique, et les grands principes de ce qu’est un service
public »
. L’éditorialiste du Monde du 17 avril juge que « faisant fi
de bien des acquis des savoirs sociologiques, psychologiques et
pédagogiques, le propos est un peu court : il propose un discours de
restauration… Luc Ferry a raison d’écrire qu’au centre de l’école il n’y
a que « la transmission des savoirs ». Mais celle-ci repose sur la relation
entre maître et élèves qui est au cœur du processus d’acquisition des
connaissances. Que les enseignants aient besoin d’être reconnus, rassurés et
défendus, c’est une évidence.. Mais ne leur proposer qu’une défense de leurs
prérogatives sans s’interroger plus avant sur la crise de l’éducation relève
au mieux du corporatisme, au pire du conservatisme ».

Le texte de la « Lettre »
Un article très favorable dans
L’Express

Dépêche AFP / Voila