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Charles Heimberg, université de Genève

Enseignant, Charles Heimberg a été confronté à une problématique peu banale : un jour, les autorités administratives ont demandé aux professeurs d’histoire de justifier l’intérêt et l’utilité de leur discipline d’enseignement, faute de quoi ils risquaient de voir les moyens d’enseignement être consacrés à d’autres disciplines… Fort de cette violente interrogation, il a été chercher dans la recherche universitaire le recul nécessaire. Avec une question triviale : quelle est la différence entre les historiens et les antiquaires ?

Bruner conçoit l’histoire comme une discipline visant à comprendre le passé, et non remémorer les faits et les événements.

Quel est le regard particulier sur le monde que permet de construire l’Histoire ? Marc Bloch propose comme définition : « L’histoire est la science du changement, et à ce titre la science des différences. »

Vygotski reprenait Piaget, qui écrivait que l’enfant conçoit le passé en fonction du présent, alors que la compréhension historique conçoit le présent en fonction du passé, que l’enfant met à plat le temps, que son regard sur le monde est égocentrique. Vygotski écrit qu’il existe une interaction entre les concepts spontanés de l’enfant et les concepts scientifiques, qu’il existe un rapport positif entre le processus scolaire et le développement interne de l’élève, d’où la zone de proche développement, la dimension sociale de l’apprentissage, les interactions dynamiques entre les deux types de concepts.

Nous y voyons des enjeux du point de vue de l’enseignement de l’histoire. Dans nos sociétés, les personnes voient généralement l’histoire comme un processus continu, identitaire. Mais les élèves se déclarent majoritairement disponibles pour une histoire problématisée, ouverte. On peut voir l’histoire comme externe (se projetant devant nous sans nous impliquer) ou interne (qui nous concerne, nous et notre famille).

Socle commun, sens commun, lieux communs : positif ou négatif ?

Lakanal, à la Révolution, écrivait que pour former rapidement des instituteurs, il fallait aller à l’essentiel, ne pas abréger, mais élémenter. Qu’est-ce donc qui est élémentaire, en histoire ?

François Audigier décrit un modèle des 4 R : on enseigne des résultats, selon un référent consensuel, en refusant un positionnement politique, et en tenant compte de la réalité.

Quel est donc le regard spécifique que pose la lecture historienne sur le monde ?

Nous proposons 4 grilles de lecture :

comparaison du passé au présent (étrangeté, éléments pour la compréhension du présent, périodisation) et distinction entre l’histoire et de son usage public – œuvres, média, musées, commémorations…). Mais nous ne faisons pas une cloison hermétique entre les deux : certaines œuvres de fiction peuvent amener une prise de conscience historique…

rapport au temps et conscience historique : reconstruire les présents du passé : entre champ d’expérience et horizon d’attente, les hommes ont un espace d’initiative… C’est la formation de la conscience historique.

questionnements fondamentaux de l’homme : vie / mort, amitié / inimitié, inclusion / exclusion, genres et générations, domination / subalternité…

pluralité des échelles de l’histoire : échelles temporelles, échelles spatiales (local / national / mondial), échelles sociales (dominants et subalternes).

Une grammaire de l’Histoire pour éviter les pièges : relier, et non séparer

Avec cette grammaire, on peut avoir des critères de choix pour éviter le piège de l’européocentrisme, le risque de traiter un thème comme un fait, et non comme un mythe ou un problème discutable… Ainsi, un thème comme le « choc des civilisations » peut être très problématique… Et il peut être plus facile de faire apprendre la Grèce antique, uniquement sur la chronologie, plutôt que de s’attaquer à l’Histoire moderne avec toutes ses questions socialement vives… C’est en ce sens que l’Histoire se distingue de la Mémoire, actuellement très forte dans l’espace public (moralisation plutôt que raisonnement avec le « devoir de mémoire » plutôt que « travail de mémoire »).

La posture vygotskienne impose donc, pour moi, de prendre en compte les interactions entre différents niveaux comme :

– Concepts spontanés vs concepts scientifiques

– Histoire vs usages publics de l’histoire

– Histoire savante vs histoire scolaire

Je plaide pour une histoire qui ne sépare pas les niveaux, mais qui relie, qui fait circuler.

C’est la différence entre les historiens et les antiquaires… Mais la didactique de l’Histoire me semble encore largement à construire… Temps, espace, société… Comment définir des progressions ? Conserver la chronologie ? Mettre en œuvre un enseignement spiralaire ? Nous manquons largement de recherches pour dépasser la doxa du Café du Commerce… qui, elle, sait ce qu’on doit enseigner, et comment…

Charles Heimberg collabore à la revue le Cartable de Clio.

Sommaire du dossier

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