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« Ce n’est pas en recherchant la culpabilité de chacun que nous règlerons le problème de l’échec scolaire ! Et celui-ci n’est pas une fatalité. Mais ce ne sont pas les aides ponctuelles qui allongent encore un peu plus le temps scolaire journalier, déjà bien rempli, qui vont régler le problème. Cela implique non pas une adaptation mais une refondation de tout le système scolaire ». Gérard de Vecchi nous y appelle et montre des pistes.

L’échec scolaire, un phénomène insupportable pour beaucoup d’entre nous. Et aussi un épouvantail que l’on ressort à chaque changement de ministre de l’éducation. Xavier Darcos n’a-t-il pas affirmé que « l’Ecole du XXIème siècle », qu’il voulait mettre en place, avait pour objectif la réussite de tous ?

« La « faute » à qui ? » Combien de fois cette question m’a été posée ! Aux élèves qui ne travaillent plus ? Aux parents qui les éduquent mal… quand ils les éduquent ? Aux enseignants, bien sûr, qui ne font plus de grammaire, de dictées, de calcul mental et qui ne proposent aux élèves que ce qui leur fait plaisir ? A l’environnement social, culturellement trop pauvre pour certains ? Au pouvoir économique qui oriente les jeunes vers d’autres motivations ? Aux gouvernements successifs, enfin, qui n’ont pas su mettre en œuvre des politiques adaptées ? A tous… ou à personne ? Et s’agit-il toujours de fautes ? Certains protagonistes pourraient être considérés comme responsables… mais pas forcément coupables !

Au fond, ne serions-nous pas tous responsables… mais pas pour les mêmes raisons et pas au même degré ? N’oublions pas qu’aucun pays étranger n’a été capable de résoudre totalement ce problème !

Et puis, l’échec scolaire : est-ce l’échec de l’élève ou du « système » ?

Des causes… qui ne peuvent être que multiples

Il est remarquable de constater que, face à l’échec d’un enfant, l’habitude veut que l’on recherche une cause… donc un responsable. Mais, dans la plus grande majorité des cas, les raisons sont multiples et interagissent.

L’élève en première ligne !

Si un certain nombre de maladies (par exemple génétiques) peuvent être handicapantes pour certains enfants, cela ne constitue qu’un phénomène marginal. La très grande majorité des enfants naît avec les potentialités d’apprendre… et d’ailleurs tous apprennent… mais pas toujours ce que l’on voudrait !

Donc… la « faute » à l’élève ? Bien sûr c’est à lui que l’on pense en premier ! Les problèmes sociaux ou familiaux seraient secondaires… La preuve ? Dans les mêmes conditions, d’autres réussissent ! Tous n’ont donc qu’à écouter et travailler ! Bien sûr, ce n’est pas aussi simple ! La fainéantise n’est-elle pas le reflet d’autres problèmes ? Les « élèves en échec » sont-ils véritablement coupables… ou plus sûrement victimes ?

L’origine la plus courante de l’échec d’un enfant est liée à son histoire personnelle.

Et cela vient de très loin, se construit quand il est très jeune. J’ai souvent été frappé, en me rendant dans des classes d’école maternelle, d’entrevoir déjà ceux qui réussiront… et les autres (si on ne s’en préoccupe pas sérieusement !). Une situation sociale difficile, des causes psychologiques, un entourage affectif défavorable, cela engendre, chez l’élève, un recul face à ce qui l’entoure… et un manque de désir d’apprendre.

Quant aux jeunes, ils ne sont pas souvent le reflet de ce que l’on montre à la télévision. Lorsqu’on parle longuement avec eux, très vite les masques tombent et leur désarroi apparaît. Beaucoup se sentent frustrés, inadaptés, refusés, rejetés par les autres. Pour certains, leur culture d’origine est méprisée et on leur demande de la rejeter. Ils se vivent comme des étrangers dans le regard de nombreux « français de souche » !

Dans un conteste défavorable, un élève pourra ne pas s’intéresser à ce qu’on lui propose. Il décrochera… ou du moins se laissera distancier, souvent très vite et, même s’il le désire, n’arrivera plus à recoller… donc se découragera puisque cela n’est pas suffisamment pris en compte. Et un cercle vicieux s’installera. A quoi sert de faire quand on sait qu’on n’y arrivera pas ? Mieux vaut refuser l’Ecole (cela a été mon cas). Les élèves, dans leur souffrance, préfèrent trouver d’autres solutions pour exister que de se battre pour acquérir des savoirs émancipateurs qu’ils pensent ne pas être à leur portée. Ils deviennent amorphes ou, au contraire, dissipés, hyperactifs… violents, et tentent de s’exprimer à l’extérieur de l’Ecole, dans leur environnement social où parfois ils réussissent !

L’échec scolaire n’est donc pas un simple arrêt des apprentissages qu’il faudrait relancer. Il est le reflet d’un déséquilibre profond. Cela nous amène donc naturellement à envisager les responsabilités liées au milieu de vie.

Un certain milieu social

Les raisons socio-économiques défavorables sont très prégnantes. Certains politiques les minimisent… ce qui leur permet de ne pas réellement les prendre en compte !

Souvent, un enfant n’apprend pas parce qu’il n’en éprouve pas le besoin, parce que cela n’a pas de sens pour lui. Dès le plus jeune âge, le fait de vivre dans un milieu culturellement riche est déterminant. S’il ne lit pas, n’écrit pas, c’est parce que la famille ne lit pas, n’écrit pas. S’il comprend mal c’est parce qu’on ne lui a pas appris à discuter, à s’exprimer, à manier les idées… Très vite, à l’Ecole, il se sent exclu ou du moins marginalisé, et il accumule du retard.

Pourquoi certains réussissent tout de même (ce ne sont pas les plus nombreux !) ? Parce qu’ils comprennent vite, sans trop d’efforts, parce qu’ils ont la chance d’être tombés sur des maîtres qui les considèrent, parce qu’ils sont soutenus moralement par leur famille, parce qu’ils sont capables d’avoir un projet… parce que ce sont eux !

Et la famille ?

Les familles, voilà les responsables que l’on cite en second ! Ces parents qui ne prennent pas la peine d’élever leurs enfants ! En fait, la plupart le voudraient bien, mais en sont de moins en moins capables. Outre les problèmes de langue et de niveau d’études qui sont essentiels, ils sont débordés et se sentent souvent décalés, par exemple face à la violence des adolescents.

Et puis, l’échec scolaire ne touche pas que les banlieues ! La pression sur les parents est de plus en plus forte (le chômage et, tout autant, les hommes politiques qui attisent leurs peurs). On oublie un peu facilement que la France est le pays d’Europe dans lequel les enfants sont largement les plus stressés. On est loin des critiques des traditionnalistes qui prétendent que l’on ne fait plus faire aux élèves que ce qui leur fait plaisir (Xavier Darcos n’a-t-il pas dit :  » « Il s’agit d’en finir avec 30 ans de pédagogisme qui a laissé croire qu’on pouvait apprendre en s’amusant » ?) !

Enfin, tout le monde ne peut pas payer des leçons particulières à son enfant…

Les politiques

Les politiques justement, de gauche comme de droite, ont laissé se détériorer les milieux défavorisés. Et, malgré quelques efforts financiers pas assez conséquents, ils ne peuvent plus maintenant fournir les fonds qu’il faudrait investir pour changer radicalement de politique scolaire. Nos dirigeants sont tenus par les pouvoirs économiques. Et ce ne sont pas les orientations actuelles (suppression de la carte scolaire, programmes rétrogrades, répression plutôt que formation de la personne, récompenses, rattrapage en dehors de cours…) qui régleront le problème !

Le système économique

Il crée un état d’esprit dont le seul objectif est la croissance, l’augmentation de la consommation, et qui fait croire aux enfants que tout leur est dû, qu’ils n’ont qu’à se servir ! Il habitue les jeunes à être dans l’immédiateté… quand le savoir ne se construit que progressivement, et demande un effort.

Et que dire de la télévision valorisant une « culture-poubelle », qui fait s’intéresser à nombre de choses dérisoires, qui ne donne pas vraiment envie de connaître et ne montre pas ce que peut être une culture en même temps riche et porteuse de plaisir !

L’institution scolaire

Elle n’est pas exempte de toute responsabilité. Même si on a pu le dire ces derniers temps, ce n’est pas l’Ecole maternelle ou élémentaire mais le collège qui constitue le maillon faible du système éducatif. Sa structure est à remettre totalement en cause dans ses fondements (emploi du temps, isolement des professeurs, émiettement des disciplines, répartition des tâches…).

Et comment l’état d’esprit qui est induit dans les programmes n’influencerait pas largement l’apprentissage de certains élèves ? L’Ecole laisse de côté des jeunes qui n’entrent pas dans une culture différente de celle de leurs parents et qu’on leur impose.

Il en est de même de l’ambiance induite dans un établissement scolaire par l’équipe éducative. On n’apprend pas de la même manière quand un principal pense résoudre ses problèmes par la répression, en installant des systèmes de vidéosurveillance, plutôt que d’ouvrir des lieux le dialogue !

Et même certains enseignants !

C’est ce qui nous touche au premier chef et sur lequel il faut nous pencher plus spécifiquement.

On a tendance à minimiser cette dimension. Pourtant, comment expliquer qu’une année un élève de collège ait une moyenne de 14 en français et 3 en mathématiques quand, l’année suivante, avec d’autres enseignants, il aura de bons résultats en mathématiques… et plus du tout en français ? Enfant, j’étais dans ce cas et cela m’a été très difficile à vivre !

On mesure encore mal l’impact des maîtres et de la relation qu’ils entretiennent avec les élèves. On sait la part de dévouement et de professionnalisme de beaucoup d’enseignants, particulièrement dans les zones difficiles. Mais tous ne sont pas ainsi. Que dire des professeurs qui, encore aujourd’hui, méprisent les élèves qui ne réussissent pas… ou même qui les détestent (cela apparaît nettement dans les conseils de classe !).

Peut-on éduquer… ceux que l’on méprise ?[1] Voici comment quelques enseignants, et auteurs de livres à succès, voient les jeunes… à qui ils seraient susceptibles de faire la classe : « Des moutons, dénués de tout sens critique et au dialecte riche de 50 expressions de verlan (bagage suffisant pour envoyer des textos ou se présenter à un casting de Star Academy) […] des barbares déculturés ainsi que des ignares imbus d’eux-mêmes voués à la consommation à forfait illimité, surfant de rave parties en manifs citoyennes », « des ignares arrogants car inconscients de leur propre ignorance qu’ils prennent pour une vertu ou une forme de liberté de pensée. » [2] Et le constat ne suffit pas. Encore faut-il l’injure… « « Ca craint, mec ! beugle le jeune con(temporain). » [3] Quant à la relation que l’on doit avoir avec les enfants en classe, j’ai été particulièrement choqué, moi l’ancien élève en difficulté, lorsque j’ai lu ces quelques remarques de Jean-Paul Brighelli, notre représentant le plus prisé des médias (qui a participé à l’élaboration des nouveaux programmes de l’école primaire !) : « De nombreux élèves, à la fin d’un cours, cernent le professeur pour lui extorquer, sous couleur d’une question sur l’exercice en cours, l’aumône d’une relation personnalisée. » [4] Derrière ces belles formules, une volonté d’éduquer… ou plutôt de l’arrogance et du dédain. Reposons-nous la question initiale : peut-on réellement éduquer… ceux que l’on méprise ?

L’Ecole, par ses méthodes encore trop traditionnelles, plaçant le maître et les savoirs au centre du processus éducatif, ne donne pas assez de sens aux apprentissages et accepte les échecs comme des fatalités en ne faisant pas grand-chose pour les prendre immédiatement en compte lorsqu’ils apparaissent.

Des raisons, il y en a encore beaucoup d’autres ! Mais, le plus important est de savoir qui peut lutter contre l’échec scolaire… et comment !

Alors… que faire ?

Ce ne sont pas quelques affirmations politiciennes et la mise en place d’interventions ponctuelles et isolées qui vont régler l’échec scolaire. Toutes les dimensions du problème doivent être abordées en même temps.

Mais d’abord, quelques illusions dont il faut se débarrasser : « Tout serait affaire de moyens. Comme le monde de l’école est fatigué par les réformes, comme le métier d’enseignant est de plus en plus difficile, on propose de ne rien changer sur le fond et de donner plus de moyens pour faire la même chose. Dans cette perspective, on entend généraliser les systèmes d’aide et de soutien scolaires, comme si, ne pouvant changer l’école, on devait mobiliser les élus locaux, les travailleurs sociaux, les familles et les associations pour qu’ils fassent ce que l’école ne parvient plus à faire. Sans doute faut-il des moyens et faut-il les répartir de manière plus équitable et plus efficace, mais il y a quelque illusion à croire que l’école surmontera ses difficultés de cette manière, surtout quand les comparaisons internationales montrent que l’école française est loin d’être parmi les plus pauvres. »[5]

De même, la « pédagogie du recours » est une condition essentielle pour la réussite … mais un recours à quoi et quand ? L’Ecole doit offrir, à tous les enfants et à leurs familles, des solutions en interne, bien évidemment gratuites. « L’École doit être à elle-même son propre recours. »[6] Un enseignement démocratique ne peut donc accepter de renvoyer des élèves en difficulté ou en échec vers des structures ou des initiatives privées… et payantes !

Si les dispositifs d’aide et de soutien sont utiles, ils ne dispensent pas d’un effort constant pour améliorer la pédagogie ordinaire dans les classes. Multiplier les soutiens et les remédiations de toutes sortes s’avère vain si l’on ne s’attache pas, d’abord, à faire de l’acte pédagogique un moyen de mobiliser tous les élèves. Un enfant sortant d’un cours devait avoir tout ce dont il a besoin pour apprendre seul ! Et cela c’est aux enseignants d’y veiller !

En résumé on pourrait…

* Développer une discrimination positive en adaptant réellement les dotations en postes et en matériel à la situation de chaque établissement.

* Attirer effectivement les professeurs dans les collèges des zones sensibles (traitement, facilités de travail, matériel pédagogique, nombre d’élèves par classe…).

* Développer un état d’esprit valorisant l’entraide, la solidarité entre élèves et développant l’émulation plutôt que la compétition.

* Rendre inutile la « pédagogie du recours » apportée par les initiatives privées et onéreuses.

* Constituer des groupes de besoins permettant de différencier la pédagogie en regroupant les élèves ayant besoin de remédier à certains manques.

* Améliorer considérablement la formation initiale et continue des enseignants, en insistant sur le travail en équipe, l’aide à l’apprentissage et l’innovation pédagogique.

* Mettre en place une aide à la parentalité, assistant les parents pour qu’ils puissent comprendre et suivre le parcours scolaire de leurs enfants (avec même, si besoin, une alphabétisation). Suivant les niveaux, il s’agirait aussi d’aborder l’entrée dans la lecture, les méthodes de travail, l’aide au travail scolaire et même l’usage de la télévision ou l’implication dans des activités associatives.

Mais le plus important est la relation, l’écoute, le respect et la valorisation. A ce propos, au lieu de se focaliser sur les échecs, pourquoi ne pas demander à chaque élève de construire un portfolio contenant ses réussites… sans refuser celles produites dans le milieu extérieur) ?

Mais cela ne sera efficace que si l’ensemble du système est repensé !!! Ce qui est fait à l’Ecole doit être porteur de sens ! C’est une autre culture de l’enseignement qu’il faut instituer. Il ne faut pas adapter… mais impérativement refonder l’Ecole !

Pour cela, voici, en résumé, dix directions que l’on pourrait prendre.[7]

1. Oser penser autrement les structures

* Rétablir la carte scolaire en la modifiant, de telle sorte que chaque secteur comporte des établissements de différentes catégories.

* Construire des établissements à taille humaine ou, pour les anciens, organiser des unités pédagogiques qui auraient une certaine autonomie et une cohérence à travers l’existence d’une l’équipe d’enseignants.

* Réfléchir sur une plus grande autonomie des établissements… tout en prenant soin de ne pas considérer une Ecole comme une « entreprise commerciale » !

* Obliger chaque établissement à élaborer un projet spécifique, véritablement adapté aux besoins de sa population, et mettant en œuvre un type précis de pratique pédagogique. Mais aucun projet d’établissement ne devra contenir, même d’une manière masquée, une forme quelconque de sélection déguisée, préfigurant une orientation positive ou négative.

* Privilégier la nomination des maîtres sur leur profil et non plus sur les seuls critères d’ancienneté, afin de faciliter la constitution d’équipes éducatives solides et cohérentes.

* Valoriser non pas les enseignants dont les élèves ont de bons résultats… parce qu’ils constituent de « bonnes classes », mais plutôt ceux qui s’impliquent fortement dans des projets pédagogiques.

* Instituer des réseaux d’établissements complémentaires, ayant chacun leur spécificité. L’implantation des options doit être définie en commun en ne visant pas la concurrence à l’intérieur du système, mais en offrant un service public diversifié et mieux adapté.

* Repenser les critères de recrutement des chefs d’établissements ainsi que leur mission, en particulier sur le plan pédagogique.

* Mieux les former, non pas en tant que « managers », mais aux fonctions d’organisation de la vie scolaire, aux pédagogies modernes, à la négociation, à la gestion des équipes éducatives, et les choisir en donnant une importance cruciale à ces aspects.

* Développer des procédures d’évaluation dans chaque établissement, non pas pour les classer, du meilleur au moins performant, mais pour les aider à résoudre leurs problèmes, quand c’est nécessaire, et pour utiliser leurs réussites en les diffusant.

* Elaborer des projets éducatifs locaux, définis par exemple au plan municipal, et auxquels les établissements scolaires apporteraient leur concours.

* Favoriser les jumelages entre Ecoles des pays développés et émergents, afin de développer un autre type de solidarité et connaître d’autres cultures.

2. Faire éclater le groupe classe

* Définir des unités d’enseignement, de 50 à 100 élèves, confiées chacune à une équipe d’enseignants à compétences complémentaires, qui y feraient l’essentiel de leur service.

* Remplacer les classes de l’Ecole primaire par de véritables cycles de trois ans.

* Faire en sorte qu’à côté de son appartenance à une classe, une section, un cursus, chaque élève ait au moins la possibilité de rencontrer d’autres élèves issus d’autres classes, sections…

*· Créer des groupements d’élèves à composition différenciée. En effet, il est essentiel que chacun puisse, dans sa scolarité, découvrir l’altérité.

* Respecter de plus près les rythmes des élèves, prendre en compte, par exemple, les élèves les plus lents. Permettre à chaque élève, sans redoubler et par contrat, de moduler le temps nécessaire pour atteindre les objectifs spécifiques de chaque enseignement.

* Considérer chacun en fonction de ses besoins particuliers. Ce principe vaut à la fois pour les enfants porteurs de handicaps et pour tous les autres…

* Organiser des modules de temps spécifiques, insérés dans l’emploi du temps et regroupant chaque semaine les horaires de plusieurs enseignants de matières différentes : cette globalisation laisserait aux maîtres la responsabilité de gérer en commun leur capital d’heures et de disposer de durées variées d’enseignement afin d’y aborder, entre autres, les problèmes spécifiques de l’échec de certains.

3. Aborder le problème de l’hétérogénéité des élèves

* Pour lutter contre les redoublements, organiser les apprentissages en cycles de maturation (d’une durée de 3 ans), et non par année d’âge, ce qui conduit, par exemple, à faire avancer au même pas les jeunes élèves nés en janvier et ceux nés en décembre de la même année.

* Abandonner progressivement les modes d’évaluation traumatisants qui, chez certains enfants, en valorisant l’esprit d’hyper-compétition, détruisent la confiance dans leurs capacités, et éliminent leur désir d’apprendre. Les remplacer par d’autres mettant plus en évidence son évolution.

* Donner à l’erreur un statut positif, en la considérant comme un indicateur d’obstacle à renverser, sans lui faire porter le poids d’un jugement négatif.

Proscrire les notes, et les moyennes qui cachent les véritables raisons des réussites ou des échecs, en les remplaçant par des évaluations différenciées et ajustées à chaque élève pour lui permettre de mesurer ses progrès et le chemin qui lui reste encore à parcourir.

* Associer les élèves à leur propre évaluation par des procédures de co-évaluation avec leur maître, et même d’auto-évaluation qui sont beaucoup plus performantes (métacognition en particulier).

Développer l’émulation à la place de la compétition, en rendant confidentielles les évaluations de chacun.

* Faciliter l’accès aux C.D.I. ainsi qu’aux moyens informatiques et audiovisuels.

* Donner la possibilité à chaque élève de bénéficier du soutien d’un professeur-tuteur ou même d’un moniteur, adulte ou jeune, de son âge ou plus âgé (par exemple élève de troisième pour un élève de sixième, ou jeune étudiant pour un lycéen).

* Permettre à chaque élève de disposer d’un lieu personnel de rangement pour entreposer ses affaires.

4. Valoriser l’Ecole maternelle… facteur de réussite ultérieure

* Développer la préscolarisation, qui consiste à accueillir les enfants dès deux ans dans certaines zones défavorisées.

* Ne pas détruire ou détourner l’Ecole maternelle de sa mission, dont les enjeux sont considérables pour la formation de la personne et l’acquisition des savoirs ultérieurs. Elle représente encore actuellement le fleuron de l’Ecole française. Elle tente d’éduquer et de socialiser. Elle doit conserver cette mission !

* Organiser une détection précoce des handicaps et des troubles de l’apprentissage, non pas pour ficher les élèves, comme futurs délinquants potentiels, mais pour leur apporter des aides ciblées.

5. Repenser la place des parents dans l’Ecole

* Favoriser les rencontres entre parents et équipe éducative.

* Donner aux parents la possibilité d’être véritablement partie prenante dans le projet d’école ou d’établissement.

* Définir précisément les droits des parents et leurs limites pour éliminer toute ambiguïté et permettre une relation saine.

* Inciter les parents à donner de leur temps et à faire profiter l’établissement de leurs compétences, sous toutes leurs formes.

* Aménager des espaces de rencontre, dignes de ce nom, pour pouvoir rencontrer les parents et même partager avec eux des activités diverses.

* Accepter que des enseignants volontaires puissent recevoir, à petite dose, des parents dans leur classe, afin de leur faire comprendre le sens de leurs démarches pédagogiques.

6. Viser des contenus adaptés au monde d’aujourd’hui

* Enseigner les fondements de nos valeurs républicaines par un enseignement commun à toutes les classes, séries ou types d’établissements scolaires par une approche de la philosophie et non des maximes expliciter et à retenir par cœur.

* Développer une culture dans toute sa diversité, en conjuguant passé, présent et futur.

* Sortir d’un enseignement essentiellement intellectuel et verbal, en particulier à un âge où les élèves préadolescents et adolescents ont besoin d’agir, de s’exprimer et de vivre en communauté.

*Limiter le quantitatif, l’encyclopédique, qui l’emporte encore trop sur le qualitatif.

* Elaborer des programmes plus limités, tenant compte des relations entre disciplines ou, mieux, définissant un certain nombre de concepts transversaux et de compétences pour la construction desquels chaque matière pourrait apporter sa contribution.

* Placer au cœur de l’enseignement les méthodes de recherche et de construction de savoirs dans toutes les disciplines, avec les deux piliers de la pédagogie républicaine et émancipatrice, la recherche documentaire et la démarche scientifique. Réintroduire des activités de recherches comme les IDD (Itinéraires de découverte), TPE (travaux personnels encadrés) et PPCP (projets pluridisciplinaires à caractère professionnel).

* Développer l’utilisation des TIC, non pas pour elles-mêmes, en tant que nouvelle discipline, mais dans chaque matière, comme outils de recherches, de prise d’informations, d’ouverture sur le monde et de remédiation.

* Introduire les bases de certaines disciplines comme le droit, l’économie, la médecine, l’urbanisme…

* Favoriser les approches permettant de développer une transversalité des regards sur les connaissances et le monde. Développer les thèmes transversaux ou de convergence.

* Accepter de faire construire un socle commun de connaissances et de compétences mais en tentant de le dépasser, chaque fois que cela est possible.

* Faire une place essentielle à la construction d’une pensée critique dans toutes les disciplines.

* Privilégier les démarches d’apprentissage abordant la construction de la personne en relation avec les autres et dans le respect de l’environnement.

7. Aller vers un apprentissage de la communication

* Transformer les établissements scolaires en les faisant devenir des lieux de désirs et même de plaisirs (autres que retrouver ses copains) tout autant que de travail. Cela paraît totalement utopique ? Certains pays d’Europe du Nord y sont parvenus, alors pourquoi pas nous ?

* Créer des lieux de rencontres dans lesquels pourront se développer des relations, et permettre d’avoir des temps de partage et de fraternité.

* Faire se développer le respect et l’estime de soi comme celle des autres.

* Permettre à chaque élève de construire son identité pour l’aider à être lui-même au milieu des autres.

* Enseigner les règles d’hygiène relationnelles simples, accessibles à chacun, qui seraient transmissibles en particulier aux copains et aux parents.

* Remplacer la répression en matière d’éducation par la sanction, ajustée à l’acte répréhensible et débouchant sur une réparation.

8. Construire une véritable citoyenneté

* Développer des pédagogies qui s’appuient sur un certain nombre de savoir-être et de savoir-devenir : écoute, décentration, capacité à développer une argumentation, esprit critique, compréhension des autres, acceptation des différents points de vue…

* Intégrer dans le collège et dans les équipes pédagogiques, des personnels spécialisés (éducateurs, infirmière, psychologue, assistante sociale) avec une présence à plein temps.

* Renforcer la laïcité pour développer la résistance du futur citoyen à l’emprise et à la manipulation. Et en même temps, accepter les élèves tels qu’ils sont pour ne pas les voir partir vers des établissements scolaires qui favorisent le communautarisme.

* Enseigner les principes fondamentaux du droit et permettre à chacun de se construire un rapport sain à la loi en participant à l’élaboration de règles qui permettent de mieux comprendre et d’accepter celles qui lui sont imposées.

* Instituer un pacte des droits et des devoirs réciproques des enseignants, des parents et des élèves.

* Donner une véritable valeur à la représentativité : valoriser les élèves qui se présentent aux élections de délégués et respecter ceux qui sont élus démocratiquement.

* Favoriser les initiatives permettant de développer des associations dans les établissements.

* Aborder les problèmes d’actualité à travers des connaissances apportées et des débats organisés.

* Apprendre aux élèves, et peut-être aussi au maîtres, à mieux communiquer, à écouter et à respecter chacun, à entrer en empathie. Développer un apprentissage du vivre ensemble : remplacer la logique de la force par la logique des arguments et du raisonnement, passer des relations d’opposition (les uns contre les autres) à des relations d’apposition (les uns à côté des autres) de façon à évacuer le plus possible les rapports de pouvoir.

* Développer la construction d’une identité collective qui n’ouvre pas sur la compétition, le chauvinisme et l’intolérance.

* Vivre pratiquement des moments de démocratie participative (exercer des responsabilités, apprendre à débattre…).

* Intégrer ou renforcer une éducation à l’environnement (et au développement durable), à la santé et à la sécurité.

* Apprendre à distinguer croyances et savoirs, sciences et parasciences, lutter contre le sens commun, l’obscurantisme antiscientifique, le créationnisme, l’astrologie, la voyance, les sectes, les envoûtements…

9. Se pencher sur les problèmes des enseignants

* Redéfinir le service des enseignants en y incluant les activités autres que les cours (entretiens avec les élèves, les parents, concertations avec les autres acteurs de l’établissement, heures de « vie de classe », aides individualisées, évaluations mensuelles ou trimestrielles, conseils de classe, activités culturelles…).

* Accompagner cette redéfinition d’une revalorisation des salaires.

* Uniformiser le nombre d’heures de cours des professeurs certifiés et agrégés qui font le même métier, avec les mêmes tâches.

* Reconnaître ceux qui s’impliquent le plus dans leur établissement (sans pour autant que cela se rapporte obligatoirement à des gratifications financières).

* Faciliter la création de petits groupes d’enseignants, pour constituer de véritables équipes, et même pour assurer les remplacements en cas d’indisposition ou d’absence pour formation, ce qui permettrait de ne plus proposer des cours totalement décalés et qui n’ont aucun intérêt pour les élèves.

* Repenser la tâche de professeur principal et la revaloriser.

* Fournir un bureau personnel (ou au moins pour chaque département disciplinaire), avec téléphone, moyens informatiques et documentaires, ainsi que la possibilité d’accueillir convenablement les élèves et les familles.

10. Mettre en œuvre une autre pédagogie et une véritable formation

* Privilégier et valoriser :

– une pédagogie du respect et de la relation qui permet d’être mieux avec les élèves (et non de mieux les maîtriser) ;

– une pédagogie du sens qui suscite le désir d’apprendre ;

– une pédagogie de la recherche qui dynamise l’action et construit des compétences multiples ;

– une pédagogie de la liberté qui permet aux élèves de devenir plus autonomes et responsables ;

– une pédagogie différenciée qui s’adapte à chaque enfant ;

– une pédagogie de l’aide et de la remédiation qui soutient ceux qui en ont besoin au moment où ils en ont besoin.

* Repenser, moderniser et professionnaliser la formation initiale… même si cela demande quelques efforts financiers.

* Créer une licence bi-disciplinaire, destinée aux enseignants des collèges et des lycées professionnels, permettant aux professeurs d’avoir moins de classes et plus d’heures avec les mêmes élèves.

* Développer considérablement la formation continuée, et la valoriser. Former régulièrement tous les personnels d’établissement, et pas seulement les professeurs.

* Organiser une formation commune à l’ensemble des enseignants de chaque établissement, se déroulant sur place. Instituer par exemple une semaine de formation continuée obligatoire, en début d’année scolaire, avant la rentrée des élèves… comme cela se fait dans certains pays.

* Inscrire la formation continuée dans le projet d’établissement et dans les obligations de service des enseignants.

* Revoir totalement le rôle des inspecteurs qui doivent devenir des personnes-ressources, des aides, des incitateurs et des coordonnateurs de recherches-actions.

* Lier intimement recherche, innovation et formation.

* Favoriser et valoriser l’expérimentation pédagogique en rapprochant les chercheurs universitaires, les formateurs, les mouvements pédagogiques, mais aussi les praticiens de terrain participant à des recherches-actions.

* Valider les acquis de l’expérience et de la recherche et en diffuser largement les résultats, régionalement et même nationalement et internationalement, avec le soutien des chercheurs.

En conclusion

Ce n’est pas en recherchant la culpabilité de chacun que nous règlerons le problème de l’échec scolaire ! Et celui-ci n’est pas une fatalité. Mais ce ne sont pas les aides ponctuelles qui allongent encore un peu plus le temps scolaire journalier, déjà bien rempli, qui vont régler le problème. Cela implique non pas une adaptation mais une refondation de tout le système scolaire. Qui osera l’entreprendre ? Et aucun changement durable ne sera possible si les enseignants ne sont pas placés dans des conditions leur permettant de devenir les moteurs de ce changement.

Gérard De Vecchi

Maître de conférences en sciences de l’éducation

Voir : Gérard De Vecchi, Ecole : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir, Delagrave 2007.

Derniers articles de G. de Vecchi sur le Café :

L’enseignement doit être relationnel

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/04/devecc[…]

Sur la formation des enseignants

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/Formation_[…]



[1] Extrait de : Gérard De Vecchi, Ecole : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir, Delagrave, 2007.

[2] Claire Laux et Isabel Weiss, agrégées et docteurs, enseignant respectivement l’histoire et la philosophie, interrogées par Christian Authier, L’opinion indépendante, n°2753, Vendredi 05 Janvier 2007. Auteurs de : Ignare Academy, Nil éditions, 2002.

[3] Jean-Paul Brighelli, La Fabrique du crétin, Editeur Jean-Claude Gawsewitch, 2005.

[4] Jean-Paul Brighelli, ibid.

[5]François Dubet, En finir avec l’élitisme scolaire, Le Monde, 22.01.07.

[6] Formule de Philippe Meirieu, De l’égalité des chances à l’égalité du droit à l’éducation : le rôle des collectivités territoriales. Intervention de Philippe Meirieu au Colloque de l’Association des Régions de France (Lille, 8 juin 2006).

[7] Développées dans un de mes derniers ouvrages, cité précédemment (Ecole : sens commun… ou bon sens ? Manipulations, réalité et avenir, ibid.).