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Par Monique Royer

Depuis la rentrée, le numérique investit les classes bordelaises. Après un appel à projets lancé l’an dernier, 200 tableaux interactifs ont déjà été installés, deux fois plus le seront dans les deux années à venir. Pour cette première vague, 27 projets ont été retenus. Ce déploiement d’ampleur est un des volets de la politique digitale de la Ville, thématique du mandat actuel pour offrir à l’ex Belle endormie les atours du XXIe siècle.

Le tableau numérique entre dans les classes

L’école Dupaty est une des écoles dont le projet a été retenu pour accueillir des tableaux numériques. Pour la première année de l’opération, quatre classes sur douze ont été équipées. Quatre enseignantes volontaires ont découvert progressivement l’outil, par la pratique mais aussi par la formation. Une première session à visée technique, pour s’approprier les fonctionnalités a été organisée par la Mairie. Les enseignantes ont suivi ensuite une formation mise en place par l’Inspection Académique qui visite, elle, les potentialités pédagogiques. Entre les deux sessions, elles ont exploré ensemble l’outil et mis en œuvre des applications avec leurs élèves. Une fois le stylet dompté, de nouvelles possibilités sont vite apparues : illustrer un mot nouveau avec une ressource internet, enregistrer les leçons pour ne pas perdre ce qui a été réalisé ou encore faire une correction collective d’un exercice, par exemple.

Les exploitations pédagogiques et les difficultés rencontrées varient selon les niveaux. Le projet déposé par l’école Dupaty comprenait un volet sciences, exploré plus en profondeur avec la classe de CM2. Les expériences filmées et projetées sur le tableau numérique sont désormais suivies par tous. En CP, la visualisation des mots illustrés, le jeu des étiquettes favorisent l’acquisition de la lecture et de l’écriture. Progressivement, les difficultés techniques se sont estompées : régler le tableau en fonction de la taille de l’élève, s’habituer au maniement du stylet. Le tableau Véleda est encore là pour faire ce que le tableau numérique ne permet pas encore lorsqu’on débute dans son utilisation. Les enseignantes souhaitent désormais aller plus loin en développant des jeux interactifs ou plus encore en exploitant les potentialités du TNI pour gérer mieux encore les doubles niveaux. Petit à petit aussi, leur expérience amoindrit les réticences d’une partie de leurs collègues sur l’outil.

A l’école Schweitzer, c’est autour de l’apprentissage des langues vivantes et notamment de l’allemand que s’est bâti le projet. Situé au sein d’une cité, l’établissement accueille plus de 260 élèves dans 11 classes. Ici, ce sont seize nationalités d’origine qui sont présentes. L’hétérogénéité est forte dans les classes avec pour certains des difficultés en français. Dès le CP, les élèves peuvent apprendre l’allemand et c’est en fil rouge que la langue s’est imposée pour le déploiement des tableaux numériques dans l’école. Car l’idée n’est pas d’utiliser le TNI dès le départ pour toutes les matières mais de commencer par une d’entre elles. Pour les langues vivantes, une même thématique pourra être traitée du CP au CM2 en enrichissant le vocabulaire et en abordant de nouvelles notions. Le TNI est l’occasion de renforcer le travail en équipe, de relancer une dynamique en repensant les pratiques existantes. Toutes les deux volontaires pour accueillir le TNI dans leurs classes, Caroline Coletta et Stéphanie Elhory apprécient particulièrement cet effet collaboratif. La première est férue d’informatique, la deuxième beaucoup moins mais constate la facilité d’utilisation de l’outil. « Même si on est nul en informatique, on voit vite l’intérêt » nous dit Stéphanie. Le plaisir partagé de découvrir progressivement des fonctionnalités qui améliorent leurs pratiques amoindrit la perception d’un travail supplémentaire. L’une et l’autre se méfient toutefois de ne pas laisser le ludique prendre le pas sur les aspects pédagogiques dans la préparation de leur cours.

Le TNI booster de pédagogie ?

Comme à l’école Dupaty, garder la trace de ce qui est fait, même ce qui est instantané est l’un des premiers avantages constatés. Caroline et Stéphanie exploitent aussi l’outil pour développer l’autonomie et renforcer la différenciation. Le son est alors particulièrement utile. L’enseignante peut enregistrer un mot, une expression, l’associer à une image. L’élève peut travailler ensuite seul ou en groupe, répéter le son, revenir en arrière. Ces temps d’autonomie sont autant de moments privilégiés pour que l’enseignante passe plus de temps auprès d’autres élèves, d’autres groupes. Est-ce la nouveauté ? Caroline et Stéphanie constatent toutes les deux une participation plus active dans la classe, une interactivité peu vive auparavant.

Ce sont ces potentialités pédagogiques que les formateurs de l’inspection académique font découvrir lors des sessions consacrées au TNI. Une part est bien entendu consacrée aux outils, à l’utilisation des fonctionnalités pour créer ou re créer des activités pédagogiques mais l’important est sans doute de voir comment le tableau permet d’aider l’enseignant à organiser sa classe, l’animer pour répondre aux mieux à la confrontation entre exigences du programme, configuration du groupe classe et profil de ses élèves.

A l’école Dupaty comme à l’école Schweitzer, l’expérience n’en est qu’à ses débuts, ses balbutiements. Le choix du déploiement implique de convaincre les réticents de se lancer aussi. Les arguments développés pour ne pas y aller sont multiples. Certains sont frileux car l’outil leur semble compliqué, pour ceux-là l’émulation sera sans doute suffisante. D’autres mettent en avant l’argument financier, soulignant les carences tandis qu’on achète de nouveaux outils. Là, ce sont les complexités du financement de l’école, les compétences partagées entre état et collectivités locales qui sont pointées. Enfin, des réticences s’expriment aussi sur la présence d’un écran au sein de la classe alors que l’attention des élèves est saturée en permanence d’images et d’écrans.

A Dupaty comme à Schweitzer, les enseignants participant à l’opération constatent une levée progressive des réticences par l’observation des pratiques et l’utilisation de l’outil dans des moments partagés comme les réunions d’équipe ou les conseils d’école. Stéphanie Elhory souhaite quant à elle montrer aux parents aussi l’intérêt de l’outil et profiter de l’occasion pour leur donner envie de rentrer dans l’école, un lieu qu’ils fréquentent peu ou pas du tout. Pour le moment, ces tentatives n’ont pas été fructueuses mais sans doute qu’à la longue, le tableau interactif sera un outil partagé au sein de la communauté éducative tout entière.

Le numérique contre la fracture au coin de la rue

Ce souhait rejoint les axes de la politique numérique menée par la Ville de Bordeaux. Poursuivre la mue de la Belle Endormie, entrer dans l’ère digitale après avoir réveillé le patrimoine de la ville, Michel Duchène, adjoint au Maire chargé de la cité numérique, de la prospective et de la stratégie urbaine, place l’urbanisme et le numérique dans un même continuum. Les deux mandats précédents avaient choisi comme colonne vertébrale la revalorisation de la cité sur ses façades, dans ses artères et dans la perception de ses habitants, aujourd’hui l’enjeu est celui de la recherche d’une nouvelle modernité. Du patrimoine de l’Unesco au city wall qui prendra place bientôt au cœur de la ville, l’exercice pourrait tourner au grand écart si la relation humaine était tenue à l’écart d’une approche urbaniste trop technique, trop virtuose.

Car le pari est celui du lien social. Le nouveau plan de circulation et l’arrivée du tram ont rapproché le centre ville des habitants. Pour Michel Duchène, le numérique doit assurer la même fonction. Les 600 QR codes disséminés dans la ville livrent des instantanés historiques, des informations sur la vie de la cité. Le portail jeparticipebordeaux ouvre ses pages aux habitants pour participer aux débats. Aux habitants, à tous les habitants ? Sans doute non puisque ce type d’initiatives intéresse en premier lieu les habitués du digital. Alors pour ne pas accentuer les écarts entre les populations par une fracture numérique, une opération a été également lancée en direction des quartiers défavorisés. La Mairie met à disposition des ordinateurs dont ses services ne se servent plus, remis à neuf et équipés de logiciels. Des formations pour les habitants sont ensuite organisées au plus proche de chez eux, au bas des immeubles. Le quartier des Aubiers est le premier bénéficiaire de l’action de formation au bas des immeubles. D’autres actions sont en chantiers touchant toutes les catégories de populations, toutes les générations. Mais parmi tous les projets de la cité digitale, le déploiement des tableaux interactifs remporte la préférence de Michel Duchene car il touche les jeunes générations, celles pour qui on ne peut être en retard, celles qui doivent être formées pour le futur.

Antoine Bidegain, chargé de mission pour le numérique à la Mairie de Bordeaux, anime le déploiement du numérique dans toutes les arcanes de la cité. Il veille particulièrement sur la mise en œuvre de l’opération TNI. Pour lui, le choix de ne pas se placer dans le cadre de l’expérimentation mais de proposer plutôt un outil déjà éprouvé à une grande échelle favorise le succès de l’opération. L’écueil technologique et pédagogique a dans ces conditions une faible probabilité de se manifester. Le choix d’associer l’inspection académique dans la sélection des projets et dans leur accompagnement est également un facteur de réussite.

Madame Collet, Adjointe à l’Education et Monsieur Bonsignore, conseiller pédagogique Tice s’accordent sur la nécessité pour les deux structures de travailler ensemble. Le projet TNI n’est pas le premier projet pour lequel elles s’accordent, les volets sportifs et culturels, entre autres, ont déjà fait l’objet de conventions de partenariat. C’est sans doute la durée et l’ambition de l’opération qui amènent une nouveauté. Le plan de formation élaboré par l’inspection prend en compte les besoins générés par la mise en place actuelle et future des tableaux interactifs dans les classes. La mise à disposition d’un Espace Numérique de Travail apparait de plus en plus indispensable pour compléter l’outil pédagogique par un véritable outil de liaison associant aussi les parents. Pour développer les usages dans la classe, l’acquisition de ressources financées par la ville mais sélectionnés par l’Inspection s’avère nécessaire. Pour faciliter l’intégration du tableau dans la classe, des aménagements doivent être réalisés par les services techniques. Ce sont quelques exemples des collaborations indispensables pour assurer le succès du déploiement. L’élue et l’inspecteur citent également, l’animation du projet par un chargé de mission, et l’appui d’un service informatique performant.

Les ingrédients du succès, les difficultés aussi, les acteurs bordelais auront l’occasion de les partager avec d’autres villes digitales le 23 mars prochain. Au sein de la semaine digitale, manifestation organisée autour des usages et des politiques du numériques, la journée sera consacrée à l’e-education. Destinée aux enseignants et aux élus, elle proposera exposés et échanges autour des usages des tableaux et des environnements numériques.

Pour Antoine Bidegain, l’idée n’est pas de montrer ce que Bordeaux réalise mais d’ouvrir la tribune à d’autres villes, d’autres expériences, de favoriser les échanges et l’émergence de nouvelles idées. Car, à l’instar de Bilbao, cité digitale pionnière, petit à petit des villes opèrent la mue numérique, une illustration du rôle des collectivités territoriales dans l’impulsion et l’accompagnement des changements, y compris à l’école.

La semaine numérique

http://semainedigitale.blog.bordeaux.fr/demandez-le-programme.html

Pour s’inscrire à la journée e-education

http://semainedigitale.blog.bordeaux.fr/archive/2011/02/04/journee-e-education-2011.html