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Par François Jarraud

Une bonne cause peut-elle avoir de mauvais arguments ? C’est la question que pose le « défi sans écrans », lancé le 24 mai par l’Enseignement catholique. Ce dispositif qui vise l’éducation aux médias, une cause que tout éducateur partage, tend malheureusement à diaboliser le monde numérique.

En février 2011, les élèves de l’école Saint Martin du Mans ont réalisé un exploit : ils ont passé 10 jours sans allumer leurs écrans. Enfin, « ceux qui l’ont voulu », précise Jérôme Gaillard, coordinateur TICE et directeur de l’école. L’opération était présentée mardi 24 mai par le Secrétariat général de l’enseignement catholique qui prépare son extension à des écoles picardes et du Centre.

Claude Berruer, secrétaire général adjoint, y voit un projet « bien dans l’esprit de l’enseignement catholique » car associant les parents. Ceux-ci sont représentés par Hervé Jean, secrétaire général des Apel. Ils regrettent le temps passé par leurs enfants sur les écrans et rendent ceux-ci responsables de l’irritabilité de ceux-là. Le dispositif les rassure.

Jacques Brodeur, l’inventeur québécois du Défi, a fait le voyage pour assister à ce lancement. Il associe montée de la violence et de la criminalité juvénile et des troubles de comportement avec l’utilisation des écrans. Selon lui, le sevrage des écrans apporterait en quelques semaines « une baisse de 40% des violences physiques et de 50% des violences verbales » chez les jeunes. « La technique a été crée pour servir les humains et non abuser les enfants », explique-t-il. « Nos enfants ont besoin d’autorité » poursuit Jacques Brodeur en visant cette fois des séries télévisées. « On leur apprend à zapper l’autorité parentale ». La télévision, les téléphones, les ordinateurs, les consoles de jeu sont présentés comme des instruments d’asservissement. Et nous voilà parti dans l’archaïque combat contre la télé. Justement l’origine du Défi est à chercher dans une campagne menée au Québec par J. Brodeur dans les années 1980 contre les publicités et les séries télévisées. Jacques Brodeur ne dira rien de positif sur le numérique et sur ce qu’il peut apporter à l’éducation, au savoir et aux relations entre les hommes.

Alors faut-il laisser le défi dans les poubelles de l’histoire ? Pas forcément. Associé au défi, le psychiatre Serge Tisseron parle du sentiment d’insécurité de certains enfants laissés seuls face à la télévision et aux jeux vidéos. Il annonce la publication à la rentrée d’un site d’aide aux enseignants réalisé par l’académie des sciences. Intitulé « mon cerveau et les écrans », il devrait apporter des pistes pédagogiques pour un usage raisonné des écrans.

Et le « défi » est un vrai dispositif pédagogique qui associe vraiment les enfants et les parents dans un projet qui encourage les relations entre l’école et les familles et les parents et les enfants. Il comprend une initiation critique aux médias qui n’est pas inutile.

Faut-il inviter les asthmatiques à ne pas respirer ? Pourtant pour atteindre cet objectif le défi semble à la fois se tromper de moyen et de cible. C’est aux familles de réguler l’usage des écrans dans la maison. Elles n’ont pas forcément besoin d’un dispositif pédagogique pour savoir qu’il vaut mieux ne pas mettre de téléviseur et d’ordinateur dans la chambre de leur enfant. Surtout l’école manque encore une fois l’occasion d’une véritable éducation au monde numérique c’est à dire celle qui permet à la fois d’en tirer les fruits et d’en mesurer les dangers. Ce n’est pas en asséchant les lacs qu’on peut apprendre à nager. Ce n’est pas en chargeant les moulins d’hier qu’on prépare les jeunes au monde de demain. Ce n’est pas en diabolisant qu’on devient crédible.

Lien :

Le guide du défi sans écran

http://www.ecolenumeriquepourtous.fr/IMG/pdf/defisansecranguide.pdf