Print Friendly, PDF & Email

Par Jean-Louis Auduc

Dans cette tribune, Jean-Louis Auduc ne prend pas nettement position qu’en faveur de François Hollande. Il plaide pour une transformation de l’Ecole et des rapports qu’elle entretient avec le monde professionnel, les parents. Il plaide pour une transformation des programmes.

L’éducation, les enjeux de l’école prennent une place de plus en plus importante dans l’actuelle campagne présidentielle. C’est une excellente chose que l’ensemble de la Nation se préoccupe des questions relatives à l’avenir de ses enfants. Trois candidats ou présumés candidats, figurant régulièrement parmi les quatre premiers dans les sondages se sont récemment exprimés sur cette question.

Les déclarations de François Bayrou ont été marquées sous le sceau de l’immobilisme sur toutes les questions concernant le système éducatif. Alors que le souci de faire réussir tous les jeunes le plus loin possible doit faire réfléchir chacun sur les mutations nécessaires dans l’organisation de l’école et dans l’exercice du métier enseignant, son projet semble nous dire : « Ne changez rien ! Il suffit d’expulser quelques perturbateurs et tout pourra continuer comme avant….». Le collège et le lycée, réservés à quelques-uns telle que c’était dans les années 1950/60, peuvent-ils être reproduits à l’identique lorsqu’il s’agit de mettre en réussite toute la classe d’âge ?

Quand au président sortant et à l’UMP, leurs interventions sur l’école sont marquées par l’ultra-libéralisme, la gesticulation à visée de communication et le mépris affiché pour les jeunes des catégories les plus défavorisées. Quelques exemples entre autres. L’UMP a fait voter une loi permettant une orientation précoce à 14 ans vers des filières d’apprentissage alors même que les branches du MEDEF et les ministères concernés concluent accord sur accord ( avec hélas l’appui de certaines régions…) pour favoriser quasi exclusivement l’apprentissage à Bac +2 , montrant ainsi que l’orientation précoce ne vise qu’à « débarrasser » le système éducatif de certains jeunes et non à leur donner la moindre formation… Les formules sur « l’autonomie des établissements » ou « les décisions de proximité » vont de pair avec les décisions mises en œuvre par les recteurs de fermer tous les établissements scolaires de second degré n’atteignant pas une certaine taille désertifiant ainsi de toutes formations secondaires certaines parties du territoire. Le président actuel déclare dans la presse: « Je rétablirai l’année de formation initiale des enseignants » alors même que ses ministres font voter à l’Assemblée Nationale une proposition de loi supprimant toutes les références à l’existence obligatoire d’une formation initiale et continue des enseignants !…

Le projet de François Hollande, heureusement, se situe sur un autre plan. Il constitue une vraie rupture avec les politiques menées depuis dix ans. Les éléments du diagnostic présents dans le discours de François Hollande sont bien réels.

Il a raison de déclarer que : « Notre jeunesse n’est pas une charge, un danger ou un risque. C’est une chance, un levier, une opportunité….Si des économies sont à faire, elles ne peuvent pas porter sur l’Ecole et sur la préparation de l’avenir. » ; de souligner que « La performance des uns ne se nourrit pas forcément du recul des autres ! On veut trop souvent nous faire croire que pour que les uns réussissent les autres devraient trébucher » ; de dénoncer l’évaluationnite régnant aujourd’hui : « Les évaluations permanentes, qui aujourd’hui accablent les professeurs, les empêchent d’enseigner, angoissent les enfants et leurs parents, seront supprimées » ; de refuser les orientations précoces. Ses formules sur la laïcité de l’école sont claires : « La laïcité doit être expliquée, revendiquée, réfléchie. Une laïcité qui n’a pas besoin d’épithète. Mais qui s’applique dans les lieux scolaires. Pour préserver la liberté de chacun et assurer la protection de tous. »

Deux petites erreurs, cependant, dans le discours de François Hollande. Lorsqu’il dit : « Les difficultés, il faut les résoudre en amont : comment réussir le collège si 40% des élèves qui entrent en sixième sont déjà en difficulté ? », il fait une erreur, ce ne sont pas 40% de tous les élèves qui sont en difficulté en fin de CM2, mais comme le montrent toutes les études, notamment le rapport de septembre 2011 du CESE sur les inégalités scolaires et les évaluations internationales, ce sont 40% des garçons (les filles , elles sont autour de 10%). C’est une très forte réalité de notre système éducatif que l’échec scolaire précoce des garçons…. Il se trompe également lorsqu’il déclare « Il n’est pas acceptable que nous ayons de moins en moins d’étudiants ». La France au contraire a de plus en plus d’étudiants (2. 400 000 en 2010) , ce qui permet de compter aujourd’hui plus de 50% d’une classe d’âge titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Ce qui est exact, c’est que les nouveaux bacheliers se dirigent plus vers les diplômes (BAC+2 ou Bac+3) à finalité professionnalisante qui n’existent que faiblement dans les universités françaises, excepté les IUT. Le succès de la licence professionnelle créée par la Gauche il y a douze ans et qui représente déjà plus d’un tiers de toutes les licences délivrées en 2011 en atteste !

François Hollande dans son intervention pose un certain nombre de principes intéressants qu’il sera essentiel de faire fructifier. Indiquer que le principe de gestion dans les écoles, notamment accueillant des élèves en difficulté : « plus d’enseignants que de classes soit adopté et mis en œuvre » est une avancée pour donner des atouts aux enseignants de mieux développer des aides individualisées efficaces. Souligner que pour que les enseignants aient la capacité de se sentir en possibilité d’innover, puissent avoir le courage d’oser, de prendre leurs responsabilités, il faut qu’ils se trouvent en situation de confiance de la part de leur hiérarchie, est fondamental et tourne le dos à une conception de l’enseignant comme un simple exécutant de projets confiés à la responsabilité d’un chef d’établissement tout-puissant.

On ne peut qu’être satisfait de lire de la part de François Hollande : « il faut des professeurs libres, libérés de toutes les tutelles et de toutes les Eglises, des modes, de l’argent… Ce n’est pas là l’autonomie de la droite qu’il faut, celle des chefs d’établissement transformés en patrons, des écoles en entreprises, la concurrence s’installant entre professeurs, élèves, établissements… Je donnerai aux enseignants la confiance qu’ils attendent avec la responsabilité qui est la leur. » Il rétablit également la formation initiale et continue des enseignants avec la mise en place des structures indispensables à une telle mission et prévoit la création des prérecrutements nécessaires. Le projet dessiné par François Hollande ouvre donc de réelles perspectives même s’il n’apporte pas des réponses à tous les dysfonctionnements actuels du système éducatif.

La transformation de l’école est une nécessité ressentie par tous ses acteurs. Elle ne doit faire l’économie de débats de fond concernant

1) De quels enseignants avons-nous besoin et pour quel métier ? De quelles compétences l’école a-t-elle besoin pour jouer son rôle aujourd’hui et dans les années qui viennent ? La crise actuelle de recrutement implique que les étudiants qui souhaitent devenir enseignants aient une claire conscience de ce qu’on attend d’eux. J’ai été heureux d’entendre au lycée Jean Zay Antoine Prost, l’historien de l’éducation, mettre l’accent dans son discours sur la différence entre « Faire cours et faire la classe » Faire cours, en effet, c’est donner à penser qu’enseigner un savoir, ne nécessite pas de réfléchir sur ceux à qui on l’enseigne. Faire classe, c’est considérer que le cœur du métier d’enseignant, c’est transmettre des savoirs et mettre en apprentissage des élèves en faisant dans la classe des choix raisonnés face à des situations complexes en se dotant de repères conceptuels, méthodologiques et éthiques permettant de viser la réussite de tous et de chacun. Ne pas réfléchir à cette question pendant la formation initiale des enseignants serait un manque important. Il est donc nécessaire de préciser les contenus des mutations du métier enseignant afin de donner du sens a l’appel de François Hollande à « discuter aussi du métier d’enseignant pour le faire évoluer, le rendre plus attractif, plus heureux, plus efficace et qu’il puisse atteindre ses nouveaux objectifs. »

2) Quels contenus, quels programmes d’enseignement, quelles organisations des différents niveaux et des parcours pour permettre à tous les élèves de comprendre le monde pour ne pas le subir ? Il s’agit de bâtir les parcours nouveaux qui permettent de ne laisser personne au bord du chemin. Il faut réfléchir sur la pratique de la pédagogie différenciée qui est la clé de voute de la réussite de tous les élèves et du développement des différentes formes d’intelligences – au lieu de se focaliser sur le curatif (la remédiation – le soutien) qui fait la part belle aux officines de tous ordres et vers lesquelles les familles qui le peuvent se tournent, le cœur du métier enseignant, c’est le « préventif » : la capacité à faire progresser tous les élèves.

3) Quelle place pour les familles et les élèves afin d’en faire de véritables acteurs du système éducatif ? La question de la construction de relations de confiance entre les parents et les enseignants est aujourd’hui une question centrale pour tous les établissements scolaires pour donner plus de sens à l’école. Toutes les recherches menées en France et à l’étranger montrent qu’un dialogue constant entre parents et enseignants, ce qui implique de ne pas « convoquer » les parents que lorsqu’il y a une difficulté », mais de les « inviter à venir parler de leur enfant », qu’une véritable coopération, les uns s’appuyant sur les autres, entre les familles et l’école, permet un meilleur apprentissage des jeunes et amplifie leur réussite. Il faut redonner sens à la notion de communauté éducative en n’oubliant pas de faire des jeunes de véritables acteurs de leur formation.

Pour conclure, j’ai la faiblesse de penser qu’en proposant que les futurs structures indispensables à la formation des enseignants qui vont succéder aux IUFM, s’appellent les ESPé ( Ecole supérieure du professorat et de l’éducation), c’est un signe que demain en formant mieux à leur métier les enseignants, les ESPé soit le début de l’ESPé…rance dans un système éducatif construisant la réussite de TOUS.

Jean-Louis Auduc