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Par Monique Royer

La deuxième session du colloque Ecole numérique organisé par l’Institut Eduter réunissait le 16 février des intervenants côté technologies et côté usages. La confrontation entre les deux regards a donné toute la mesure pour aller des outils à leur utilisation. Des potentiels du livre numérique à un usage en classe s’intégrant dans une politique globale, le pas est large, est il prêt à être franchi en France ?

Le livre numérique à l’orée de ses promesses

Côté technologies, Thomas Ribreau, Directeur du développement de la société Aquafadas et Philippe Stern, directeur projet des services éditoriaux, de Jouve ont présenté toutes les promesses du livre numérique. Le passage du format papier au format numérique n’est pas anodin pour le paysage éditorial. Evolution des supports, évolution du marketing, le marché de l’édition subit les coups de boutoir du virtuel, s’en accommode ou s’y dissout. La stratégie de diffusion se décline sur le tempo de la valse ; le livre papier devenant un produit premium, un objet que l’on soigne au regard de sa pérennité, le format numérique simple et le format enrichi qui exploite les potentialités de la technologie.

Pour les éditeurs, la question du support est d’importance. Trouver le format juste pour être lu, en slalomant dans l’offre des liseuses et des tablettes, adopter le canal de diffusion qui garantit de toucher le lecteur potentiel, la technologie est aussi un obstacle quand elle multiplie les vecteurs de transmission. Publier ne suffit plus, il faut aussi s’assurer de la compatibilité avec les logiciels de lecture.

Le livre numérique a émergé des années 90, propulsé par la qualité de l’encre numérique et l’apparition des tablettes. Progressivement, les formats s’écrèment, résumés à trois aujourd’hui : le PDF, le format Amazon et l’e-pub en passe de devenir un standard. La vente de livres numériques est exponentielle depuis 2005. L’arrivée du Kindle 1 aux Etats-Unis a marqué une étape de forte croissance, suivie par deuxième élan avec le Kindle 2 puis une poussée remarquée avec l’Ipad. Aux Etats-Unis, 12% des ventes de livres concernent des livres numériques. En Europe, le démarrage est plus tardif. La France marque un retard avec un catalogue demeurant faible.

Le livre numérique englobe différents types de supports caractérisés par leur interactivité du format PDF au format enrichi. Sa version actuelle permet de gérer les contenus sous forme granulaire en unités documentaires, un livre interactif où l’utilisateur va pouvoir créer son propre ouvrage C’est dans cette interactivité que les usages nouveaux vont naitre, en intégrant des fonctionnalités favorisant la créativité. Enrichir les contenus, telle est la promesse, la source d’un nouveau rapport au manuel scolaire. Tous les éditeurs ou presque ont traduit leurs ouvrages en format numérique, sans pour autant ouvrir la porte à l’interactivité. L’élargissement du marché des tablettes avec aujourd’hui 34 produits disponibles sur le marché français, démocratise leur acquisition et ne sera pas sans conséquences sur l’offre scolaire.

Le numérique, une promesse pédagogique ?

Côté usages, Jacques Fayet, chef de projet e-larning à la Cegos et Alain Chaptal, chercheur, membre de l’université Paris 8, chercheur au LabSic de l’université Paris 13, ont livré quelques pistes pour que le numérique tienne ses promesses pédagogiques. Pour Jacques Fayet, les promesses sont réelles, exemple de sa mère à l’appui. Ses yeux ne lui permettent plus de lire le journal et la tablette offerte par la famille lui a donné à nouveau accès aux nouvelles de la planète et de son entourage, à un moyen de communication avec un monde dont les portes demeuraient entrouvertes. Le numérique pose question à l’univers de l’éducation par l’ouverture qu’il propose. « Il faut descendre de l’estrade », considérer à la façon de Michel Serres que le savoir s’acquière hors de l’école, hors du périmètre strict des connaissances dispensées par l’enseignant. Pour Jacques Fayet, les compétences pédagogiques doivent s’enrichir de compétences dans le domaine de la communication à emprunter au domaine du cinéma avec la scénarisation, à celui du journalisme pour l’écriture favorisant la vulgarisation et pourquoi pas du côté de la publicité pour la mise en forme des supports et l’efficacité du message. Le numérique réveille la pédagogie et face au risque de consommation superficielle du savoir, l’enseignant a pour rôle d’amener une approche profonde de la connaissance, une analyse critique, une mise en relation et une recherche du sens pour une construction des savoirs.

« De tous temps, l’éducation a été une activité instrumentalisée », Alain Chaptal rappelle les espoirs fondés dans les technologies, du tableau noir aux tablettes, espoirs attisés par les prophéties d’un bouleversement inéluctable de l’acte éducatif. Deux fonctions ont été assignées à ces technologies : celle d’enrichissement en favorisant la visualisation et celle de révolutionner l’enseignement. L’explosion du système scolaire provoquée par les technologies est régulièrement prévue depuis Edison jusqu’à James Clarke, l’expression d’une illusion où l’objet technique se substituerait à l’enseignement. L’illusion persiste, elle se traduit même dans les faits, aux Etats-Unis par exemple où deux états substituent des crédits affectés aux salaires d’enseignants pour les attribuer aux technologies.

Alain Chaptal souhaite aussi déminer le thème très classique du retard français en matière de numérique et de la réticence supposée des enseignants français à utiliser des technologies. En Grande Bretagne, les usages ont été stimulés par une politique d’investissements offensive. 70% des enseignants britanniques utilisent le numérique mais en regardant de plus près, on s’aperçoit que les usages restent classiques, dans une approche transmissive. Aux Etats-Unis, 62 % des enseignants n’utilisent pas les blogs, les wiki, 78% n’utilisent pas les réseaux sociaux. 25% des enseignants des primaires et 34% du secondaire disent ne pas utiliser les TICE en classe. En France, 81% des enseignants utilisent quotidiennement les Tice à des fins professionnelles, essentiellement pour la préparation de leur cours. On ne dénote donc pas une réticence. La cause de la faible utilisation en cours est plutôt à explorer dans la recherche de valeur ajoutée apportée par l’utilisation des Tice en classe.

Clarifier la politique numérique

Les usages du numérique s’appuient souvent sur une approche constructiviste. Cette référence au constructivisme amène aussi des contradictions : en découpant les savoirs, on risque un saucissonnage des connaissances où le sens se perd. Autre danger, dans une interprétation idéalisée, l’alliance des deux peut mener à une impasse. En 2006, Microsoft à crée à Philadelphie une école du futur dans un quartier défavorisé basé sur une pédagogie constructiviste et une utilisation exclusive du numérique. Le système conçu n’a pas résisté à la confrontation avec le système d’évaluation américain : l’éducation dispensée ne permettait pas aux élèves de réussir les examens proposés. Il a donc été réajusté, laissant de côté quelques principes fondateurs. L’expérience a toutefois montré des réussites : le taux d’accès aux études supérieures a été accru pour des élèves dont l’origine sociale privait à priori de tout avenir universitaire réussi.

L’expérience souligne aussi la nécessité d’une politique éducative numérique globale exempte d’ambigüité. Aux Etats Unis toujours, à côté des fonctions d’enrichissement et de bouleversement de l’école attribuées au numérique, apparait la notion d’exploitation des traces. Cette notion répond à celle de productivité, dont la définition est absente du registre éducatif. Elle correspond aussi à une approche idéologique marquée par une certaine défiance vis-à-vis des enseignants. Pour Alain Chaptal, utiliser les résultats des tests des élèves pour évaluer la qualité du travail des enseignants, la valeur ajoutée qu’il produit, est une aberration. On perçoit aussi dans le développement des écoles virtuelles aux Etats Unis une précarisation des enseignants, une privatisation partielle du système éducatif.

Alain Chaptal analyse l’influence du numérique sur le système éducatif du haut de cent ans d’histoire de technologies éducatives. Pour lui, pas de baguette magique, pour réussir l’intégration du numérique, une politique globale est nécessaire. En France, les enseignants doivent être convaincus de la valeur ajoutée par les Tice dans leur enseignement. Une formation continue performante s’avère nécessaire. Un usage rendu plus aisé par un véritable haut débit dans les établissements aussi. Le numérique est une réalité dont l’école doit s’emparer parce qu’il est partie intégrante des usages quotidiens et également parce que la formation du futur citoyen passe par l’apprentissage d’un usage raisonné des outils du numérique. Pour Alain Chaptal le risque est que « si on ne prend pas garde, les initiatives ne pourront que faire des rides sur la surface de l’eau et les outils rouilleront dans les placards. »

Monique Royer

Le colloque « Ecole numérique »

http://www.eduter.fr/ecole-numerique/

A Chaptal : L’avenir des TICE

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lare[…]