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Par Jean-Louis Auduc

Dans cette tribune, Jean-Louis AZudc analyse les raisons pour lesquelles, à ses yeux, le décret du 17 février aui autorise l’alternance après la 5ème est une mauvaise décision. Elle méprise à la fois les parents, les entreprises et les enseignants. Surtout elle insulte l’avenir des enfants.

Le décret publié au Journal Officiel du 17 février rétablissant une possibilité de palier d’orientation en fin de 5eme est non seulement un retour en arrière de plus de vingt ans concernant l’organisation de notre système éducatif, mais il marque un mépris profond pour les élèves, leurs familles, les enseignants, le monde du travail et la population.

En mettant fin en 1994 à la possibilité d’une orientation en fin de 5eme par la création d’un cycle central (4e/3e) au collège, François Bayrou s’inscrivait dans une logique d’accroissement des qualifications de tous les jeunes, condition nécessaire au développement économique de notre pays. Au moment où tous les indicateurs économiques montrent que c’est dans l’emploi qualifié que réside le potentiel de croissance d’un pays, vouloir stopper la formation générale des jeunes en fin de 5eme tourne le dos à l’avenir en prétendant que c’est avec les qualifications des années 50 qu’on peut se préparer à affronter le XXIe siècle.

Ce décret manifeste donc un profond mépris pour tout ce qui se construit aujourd’hui de l’école à l’entreprise.

Mépris pour la population notamment âgée à qui l’on fait croire que l’apprentissage d’aujourd’hui doit ressembler à celui d’hier et d’avant d’hier sans lui expliquer que les gestes professionnels de tous les métiers se modifient, se complexifient et que s’adapter aux mutations des gestes professionnels qui ne manqueront pas d’intervenir dans les années qui viennent nécessitera une bonne formation générale de base que la fin de la scolarité en 5eme ne garantit pas.

Certes, le nombre d’apprentis a considérablement progressé de 2000 à 2010 en passant de moins de 350 000 apprentis à plus de 425 000. Mais, ce qui s’est surtout profondément modifié, c’est la structure de l’apprentissage qui d’un dispositif destiné aux élèves les moins qualifiés s’est peu à peu transformé en formation destinée aux élèves ayant déjà un niveau de formation conséquent. Les formations débouchant sur des CAP, BEP concernaient 72% des apprentis en 2000, 59% en 2006 ; elles ne concernent plus que 49% des apprentis en 2010 et baissent encore en 2011 et 2012. Les apprentis préparant un baccalauréat ou son équivalent étaient 18% en 2000, ils sont 26% en 2010. Ceux qui préparent un diplôme de l’enseignement supérieur dépassent en 2010 le nombre de 100 000 apprentis et représentent 25% des apprentis.

Mépris pour le monde du travail à qui l’on veut faire croire que c’est avec des élèves en difficulté scolaire en fin de 5eme qu’on peut être en phase avec les défis économiques de demain. C’est à l’école que revient la tâche de mettre en situation de réussite ces garçons ( puisque toutes le statistiques le montrent, ce sont des garçons qui sont en difficulté au collège, notamment pour des difficultés dans la maîtrise de la langue) et non au monde de l’entreprise d’assumer une tâche de formation générale.

Sur cette question, les faits des dernières années ont pourtant tranché. En 2006, Gilles de Robien et Dominique de Villepin, à grands renforts de communication, créent l’apprentissage junior pour les élèves à partir de 15 ans. Ils espèrent, disent-ils, 100 000 propositions de stages d’apprentissage….En 2007, Nicolas Sarkozy stoppe l’apprentissage junior dans le silence général. Il y avait moins de 700 ( !) propositions de stages de la part des entreprises ! C’est l’IUMM (Union des Industries Métallurgiques et Minières), qui en mai 2011 a annoncé sa volonté de poursuivre et développer sa politique de recrutement d’apprentis au niveau Bac+2 et bac+3 en indiquant : « L’entreprise n’a pas à rattraper les insuffisances du système éducatif ». Il faut également se rappeler qu’au début des années 2000, il y a eu une manifestation d’une centaine d’artisans murant l’inspection académique de Colmar afin de « protester contre l’insuffisance du niveau scolaire des élèves envoyés en apprentissage ».

Mépris pour les élèves et leurs familles à qui on ne propose aucune solution autre que de quitter les classes normales du collège pour les élèves en difficulté. Alors qu’on supprime les Réseaux d’aide aux élèves en difficulté (RASED), diverses possibilités de soutien et de remédiation dans les établissements scolaires, le ministère indique ainsi que l’école n’a plus pour fonction première de permettre la réussite de tous. La solution n’est pas dans l’externalisation à l’entreprise de la lutte contre l’échec scolaire. Il est dans un combat sans relâche pour une meilleure maîtrise de la langue par les jeunes et par un diagnostic sérieux des causes de l’échec chez certains. Rappelons qu’ « en France, 26% des garçons (plus d’un garçon sur quatre !) n’atteignaient pas, en 2009, le niveau de compétence 2 en lecture, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel….. » (Rapport CESE de septembre 2011) alors que moins d’une fille sur 10 est dans ce cas . Ces chiffres doivent nous interroger sérieusement sur la mise en œuvre d’une meilleure pédagogie personnalisée.

Le choix fait par le ministère est tout autre. Il est de faire sortir ses élèves pour les confier, éventuellement, à l’apprentissage. Le risque est réel, et toutes les statistiques le montrent, compte tenu des enjeux économiques pour les entreprises et des compétences requises pour les postes possibles, que le jeune se retrouve à 16 ans sans aucun contrat, sans aucun diplôme avec des perspectives de chômage bien plus fortes que s’ils étaient restés sous statut scolaire.

Mépris pour les enseignants, notamment de la voie professionnelle. Alors que la voie professionnelle montre ses réussites avec plus de 154 000 reçus au baccalauréat professionnel (27% de tous les bacheliers reçus ), elle n’a jamais aussi été attaquée. Les enseignants des lycées professionnels depuis de longues années permettent une réussite à des élèves jugés en difficulté au collège, grâce à des pédagogies renouvelées et dans le cadre de périodes de formation en entreprises cogérées par les enseignants et les référents des entreprises concernées. Ce n’est pas cette voie d’une alternance maîtrisée et s’inscrivant dans le cadre d’une formation qualifiante qui a été retenue par le ministère. Les enseignants de la voie professionnelle qui sont déjà les « oubliés de la mastérisation », voient des spécialités entières disparaître des concours de recrutement et subissent des suppressions de postes sans précédent. Le passage au baccalauréat professionnel s’est fait à marches forcées sans le souci de maintenir des filières CAP et BEP permettant une première réussite et un premier diplôme à des élèves sortant de collège.

Certains veulent ainsi retourner très vite en arrière en diminuant le nombre de jeunes qualifiés ; ils ne pardonnent sans doute pas à la gauche d’avoir en 1985 créer le baccalauréat professionnel pour diversifier l’accès à ce diplôme et permettre l’arrivée de 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat ce qui signifie si je prends 85% de reçus , 68% d’une classe d’âge titulaire du baccalauréat ( 71,6% d’une classe d’âge de reçus aux différents bacs en 2011 !) et également en 2001 d’avoir créer la licence professionnelle afin de permettre une diversification et une démocratisation du supérieur et l’arrivée en 2011 de plus de 50% d’une classe d’âge titulaire d’un diplôme du supérieur.

Jean-Louis Auduc