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Au lycée de Jules Fil, ce qui ne passe pas c’est la manière. Au détour d’un article de presse, les enseignants constatent effarés, que le BTS CPI à la rentrée prochaine n’existera plus. Depuis, ils se battent pour le conserver, sans que leur protestation ne reçoive un retour de l’institution. Récit d’une lutte à la façon pot de terre contre pot de fer, un exemple hélas parmi d’autres dont le Café se fait l’écho dans sa chronique de la carte scolaire. Malgré tous les discours sur la ré-industrialisation, la France rurale sera-t-elle privée de formations industrielles ?

A l’heure des discours, le constat des fermetures

Le Café Pédagogique avait rencontré l’an passé une partie de l’équipe de Jules Fil engagée dans des projets innovants : réseaux sociaux, blogs, tout était bon au lycée pour entrer de plain pied dans l’éducation web 2.0. Le lycée Jules Fil à Carcassonne, niché dans un quartier défavorisé et à deux pas de la Cité Médiévale, offre en tant que lycée technologique, professionnel et général une diversité dans ses formations aussi grande que celle de son paysage. « Jules » est une institution et quand on touche à Jules, forcément, la réaction ne se fait pas attendre.

Mardi 28 février, à l’heure où Nicolas Sarkozy tenait son discours sur l’Education à Montpellier, préfecture de l’Académie, nous avons rencontré Michel Soulié, enseignant en construction mécanique et Sylvie Mariaud, enseignante en électrotechnique, engagés comme nombre de leurs collègues contre la décision de fermeture du BTS CPI (Conception de Produits Industriels). Ce BTS, le lycée Jules Fil le dispense depuis 1993 avec une section qui accueille quinze élèves chaque année. Quinze élèves, cela peut sembler peu au premier abord, mais à l’échelle d’un territoire rural, ces quinze places constituent une possibilité pour des élèves d’accéder à un BTS industriel alors que les revenus de leurs parents ne leur permettraient pas de le faire dans les grandes villes avoisinantes, Montpellier ou Toulouse. Les élèves sont pour 70% audois, ils viennent également des Pyrénées Orientales et d’autres départements proches. Leur motivation à venir dans ce BTS tient à la réputation de l’établissement et du BTS, à l’effectif de la classe aussi. Le taux de réussite à l’examen oscille entre 75 et 100%. Après, beaucoup d’entre eux poursuivent en licence pro, par la voie de l’alternance notamment, d’autres trouvent directement un emploi.

Une formation ancrée dans le territoire

Le BTS CPI à Carcassonne ne répond pas seulement à une demande des élèves et des familles, il correspond aussi à un besoin du tissu économique local. Ici, pas de grandes entreprises aéronautiques ou automobiles, mais les PME de mécanique de précision ou encore de machinisme agricole recherchent des titulaires de BTS CPI qu’ils pourront fidéliser dans l’emploi. La proximité de Toulouse permet aussi de trouver un emploi à la sortie du diplôme. Alors, lorsque les enseignants ont appris par voie de presse que le BTS allait être rayé de la carte scolaire, lorsqu’ils ont constaté qu’il n’apparaissait pas dans la procédure d’admission post bac pour la rentrée 2012, ils ont décidé de réagir en prouvant par A plus B que ce BTS n’était pas une anomalie dans le paysage de l’enseignement supérieur de Languedoc Roussillon, mais une réponse à un besoin réel. « On s’est frotté les yeux en lisant le journal, pour nous c’était incompréhensible, le BTS CPI fonctionne bien » nous dit Sylvie Mariaud. Ils ont contacté les élus locaux, les entreprises, le Medef, la Chambre d’Agriculture et rassemblé des soutiens. Ils sont ensuite allés au rectorat exposer leurs arguments ancrés dans la réalité locale.

Mais cette réalité là, le rectorat semble l’ignorer, préférant arguer que le tissu industriel est trop faible dans l’Aude pour proposer de solides débouchés, s’appuyant aussi sur une baisse des effectifs il ya trois ans pour prédire une difficulté de remplir la classe à la rentrée. Et c’est ce manque de considération d’une réalité locale attestée que les enseignants supportent mal, le manque de réponse aussi. Le Député Maire de Carcassonne, Jean-Claude Perez, et le Président du Conseil Général de l’Aude, André Viola, ont reçu une réponse à leur courrier de soutien au lycée, les enseignants aucun retour suite à leur visite au rectorat. Dans ce courrier, les arguments et les faits avancés par les personnels de Jules Fil semblent n’avoir jamais été entendus. Le Proviseur lui-même n’a reçu aucune information officielle du devenir du BTS CPI. La presse elle est informée. Ni oui ni non, aucune réaction, les enseignants vivent ce silence comme une marque de mépris à leur égard.

Durcissement du mouvement ?

« Jusque là nous avons été corrects, nous avons souhaité agir dans les règles de l’art respecté les formes » précisent Michel Soulié et Sylvie Mariaud. Le lycée a été occupé une heure quinze jours avant les congés, le conseil d’administration a été boycotté par les représentants des parents d’élèves, des élèves et des personnels. Rien de virulent, et sur la façade du lycée aucune banderole ne vient signaler le conflit. Ce constat de modération n’est en rien un regret, et l’idée de durcir le mouvement est une simple réplique à un manque de savoir vivre d’un rectorat pour lequel Carcassonne n’est sans doute qu’une bourgade rurale éloignée et le CPI de Jules Fil un défi à la RGPP. La visite de Nadine Morano, secrétaire d’Etat à l’apprentissage et à la formation professionnelle, à Narbonne jeudi dernier a été l’occasion de se mobiliser pour faire entendre la voix de « Jules ». Les renseignements généraux ont eu vent du projet de manifestation et ont organisé une rencontre à la Préfecture avec le directeur de cabinet de la secrétaire d’Etat. La rencontre a été cordiale et s’est conclue par l’engagement de communiquer le dossier au directeur de cabinet de Luc Chatel. Depuis, aucune nouvelle du devenir du BTS CPI n’est parvenue jusqu’à Jules Fil.

« Si rien ne se passe d’ici vendredi soir, nous durcirons le mouvement » confient les enseignants Le temps presse à mesure que le terme de la procédure admission postbac se rapproche. « Nous tenons à cette filière industrielle, on se demande à quoi rime la fermeture du BTS CPI ». Le risque se profile d’un appauvrissement du secteur technique de l’Aude. Ni Michel Soulié, ni Sylvie Mariaud n’interviennent dans le CPI. Ils se mobilisent car pour eux l’enseignement technologique est d’importance, offrant pour des élèves que la filière générale n’attire pas une possibilité d’accéder à l’enseignement supérieur. Avoir un BTS sur place, c’est une garantie aussi que les revenus modestes des parents ne seront pas un frein pour l’accès à l’enseignement supérieur.

Et dans le dialogue avec les deux enseignants, le sentiment de mépris et d’injustice se lit entre les mots : mépris pour un territoire, mépris pour un établissement scolaire, mépris pour les élèves et les familles, mépris pour les enseignants. Les propos échangés viennent en écho du discours du président-candidat. L’éducation n’est pas faite seulement d’autorité affichée, elle se construit aussi dans un attachement commun à une école, à une filière, un attachement partagé par les personnels de l’établissement, les élèves, les familles et les élus locaux. Du côté de Jules Fil, on espère encore qu’une réponse sera donnée pour l’avenir du BTS CPI, un oui ou un non mais quelque chose qui signale une marque de considération de la part du rectorat.

Monique Royer

Jules Fil : un lycée numérique aux multiples usages

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/11/[…]