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Par Jean-Louis Auduc

L’échec scolaire masculin précoce est aujourd’hui une réalité que nul ne peut ignorer, même s’il n’est pas toujours de « bon ton » de l’évoquer. Ainsi, une note de la Direction de l’Evaluation, de ma Prospective et de la Performance (DEPP) de novembre 2011 consacrée à « la compréhension de l’écrit en fin d’école. Evolution de 2003 à 2009 » comporte les passages suivants : « Les filles obtiennent des performances supérieures à celles des garçons, tant en 2003 qu’en 2009, et ces différences sont significatives…. Cette information n’étonnera pas le lecteur averti ( sic) puisqu’elle a déjà été mise en évidence dans de nombreuses études portant sur les compétences de la langue. » (1). Cette formulation « le lecteur averti » dans une note officielle du ministère de l’éducation nationale en 2011 semble vouloir dire : « Nous savons clairement la situation et l’importance de la fracture sexuée, mais le « politiquement correct » nous empêche de prendre les décisions qui s’imposent dans ce domaine ».

L’échec scolaire masculin précoce : une réalité

La publication de mon ouvrage « Sauvons les garçons », il y a un peu plus de deux ans (2) , a-t-elle été un coup d’épée dans l’eau ou les réflexions, les analyses sur les filles et les garçons à l’école se sont-elles un peu modifiées ?

Il n’est pas intéressant de voir qu’il y a eu ces dernières années une véritable prise de conscience du fait que la construction d’une véritable égalité filles-garçons basée sur un vivre ensemble harmonieux passait par un combat contre l’échec scolaire précoce masculin, facteur de violences et de ressentiments. L’OCDE dans un document de décembre 2010, elle-même a indiqué l’enjeu et les risques de l’actuel échec scolaire masculin : « Durant la plus grande partie du XXe siècle, ce sont surtout les performances médiocres des filles qui préoccupaient les décideurs attentifs à la variation du rendement de l’éducation entre les sexes. Toutefois, ce sont maintenant les moindres performances des garçons en compréhension de l’écrit qui sont source d’inquiétude. Il ressort des résultats des épreuves de compréhension de l’écrit de PISA 2009 que les filles devancent les garçons de 39 points en moyenne, soit l’équivalent de plus d’un demi-niveau de compétence ou d’une année d’études. » (3)

En janvier 2011, à propos d’un public particulier, qui cumule les fractures sociales et ethniques relevées par le rapport de l’OCDE sur le système éducatif français suite à l’évaluation PISA : les enfants issus de l’immigration, la fracture sexuée est apparue béante au Haut conseil de l’Intégration : « La réussite des filles par rapport aux garçons dans leurs parcours est édifiante. Elevées dans les mêmes milieux familiaux, elles tirent leur épingle du jeu et obtiennent avec une plus grande fréquence des diplômes de l’enseignement supérieur, à quelque niveau que ce soit ( post-bac, bac+2, bac+5 et au-delà). Les explications avancées mettent en avant l’autonomie acquise par les filles dans la poursuite de leurs études et leur désir d’émancipation sociale, désir parfois soutenu par des mères souvent privées de scolarisation. Ce constat de différences entre filles et garçons par rapport aux comportements scolaires et aux résultats a été très largement souligné dans nos auditions. » (4).

Le Conseil économique social et environnemental (CESE) , ancien Conseil économique et social, la troisième assemblée de la République a publié en septembre 2011 un rapport « Les inégalités à l’école ». Ce rapport évoque clairement parmi les inégalités « Les inégalités selon les genres » et il écrit notamment : « Les inégalités de performances scolaires entre les élèves sont aussi étroitement associées au genre. Les filles sont en moyenne meilleures que les garçons…Il y a là une réalité complexe, difficile à saisir, qui renvoie probablement à des différences dans les conditions de socialisation des filles et des garçons dont nous ne sommes pas toujours parfaitement conscients….Les principaux indicateurs de la scolarité rendent compte du meilleur comportement scolaire et de la plus grande réussite des filles jusqu’à un stade avancé de leurs études……Ce qui est préoccupant dans le cas de la France est que le différentiel de performance filles-garçons se soit creusé ( +11 points ) depuis 2000 un peu plus fortement que la moyenne de ses partenaires……La représentation par genre des niveaux les plus faibles dans les enquêtes PISA est particulièrement éloquente. Elle montre la concentration de la difficulté scolaire sur les garçons. En France, 26% des garçons ( plus d’un garçon sur quatre !) et 14% des filles ( moins d’un fille sur sept) n’atteignaient pas, en 2009, le niveau de compétence 2 en lecture, considéré comme un minimum à atteindre pour réussir son parcours personnel….. » (5)

Pourtant deux attitudes parallèles continuent à bloquer le débat et empêchent une véritable discussion sur les pratiques et les méthodes différenciées permettant de gérer une vraie mixité permettant la réussite de toutes et tous :

1) La négation complète d’un échec scolaire masculin : De François Dubet à l’Institut Montaigne, de l’Appel contre l’échec scolaire aux débats sur les méthodes de lecture, combien d’articles et de rapports évoquent les 15 à 20% d’élèves ne maîtrisant pas la lecture, sans aucunement évoquer le fait qu’il s’agit d’une écrasante majorité de garçons !

2) Le rejet de tous les problèmes sur la mixité des classes : Certains pensent avoir trouver la solution sur le retour à des classes non-mixtes, sans s’interroger sur les pratiques pédagogiques à l’œuvre et leurs conséquences…..

Pour trouver des solutions à l’échec scolaire masculin précoce , il faut d’abord s’interroger sur ses causes.

Les causes de l’échec scolaire masculin précoce. Les moments clés ou il se produit

A) L’entrée dans la tâche scolaire et dans la lecture

Ce n’est pas d’allergie à la lecture qu’il faut évoquer, mais de difficultés d’entrer pour le jeune garçon dans le « métier d’élève », dans la tâche scolaire.

Compte tenu des stéréotypes fonctionnant encore dans les familles et dans la société, les filles qui effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des jeunes garçons, savent mieux maîtriser les différentes composantes des tâches scolaires, composantes du métier d’élève :

L’énoncé, l’ordre donné

L’accomplissement de la tâche

La Relecture, la Validation,

La Correction éventuelle

La Finition , la finalisation de l’exercice

On sait combien la non-maîtrise de ses composantes est pénalisante pour certains garçons qui vont refuser les corrections, et ne pas tenir compte de ce que signifie la finition en « bâclant » souvent leur travail scolaire.

Pourquoi cet état de fait et ce refus d’accomplir pour une partie des garçons les cinq composantes d’un tâche scolaire ?

Nous nous trouvons ici face aux conséquences du formatage préétabli dans la toute petite enfance par l’éducation familiale, créateur de stéréotypes des rôles sociaux masculins et féminins. Si l’école ne les prend pas en compte dans sa pédagogie et ses approches, elle les conforte de fait.

Concernant la tâche scolaire, dans de nombreuses familles, les filles effectuent très tôt de nombreuses petites tâches à la maison à l’inverse des garçons qui vont les regarder faire et ne pas agir. Elles vont donc rapidement comprendre ce qu’est un ordre précisant la tâche à accomplir, à exécuter cette tâche, à attendre la validation de ce qu’elle a réalisé, à corriger ce qu’elle a mal exécuté et a terminer le travail demandé.

Comme le rappelle Samia Essaaba, professeur au lycée professionnel Théodore Monod de Noisy le Sec (93) : « A la maison, la fille est sommée de participer aux tâches ménagères quand son frère en est généralement dispensé. Et s’il est l’aîné, il peut carrément régner en maître sur la fratrie. Du coup, pour elles, l’école apparaît comme un lieu de valorisation. Alors, que pour les garçons, elle est un lieu de contraintes. » (6) Les filles apprennent donc souvent les cinq composantes d’une tâche avant d’entrer à l’école. Elles n’ont donc aucune surprise à les retrouver dans la classe à l’école, ce qui n’est pas le cas des garçons qui vont ne découvrir les composantes des tâches qu’en entrant dans l’école, donc avec un retard concernant ce qu’est le métier d’élève.

Les observations faites, notamment en grande section de maternelle et en cycle 1 montrent que pour un nombre non négligeable de jeunes garçons, au-delà de l’acte d’apprentissage, il y a souvent des blocages concernant les corrections et la finition du travail : « En EPS, dès qu’il faut refaire un exercice, il y a pour certains garçons des cris et des pleurs » (professeure des écoles en grande section) ; « C’est un refus permanent d’accepter pour la moitiés des garçons de la classe de refaire un exercice de mathématiques; Impossible de faire relire ces garçons, le travail est toujours bâclé et non soigné … » ( Professeur des écoles en CE1)

Les observations menées par des étudiants dans le cadre de leur master ont montré que plus de 80% des filles en fin de CP maîtrisaient les cinq composantes de la tâche scolaire pour juste un peu plus de la moitié des garçons. L’écart est d’autant plus important que les écoles ressortent du dispositif « éducation prioritaire » Au niveau de la classe de seconde, il y a encore plus d’un tiers des garçons qui ne se préoccupent pas des composantes 4 et 5 de la tâche scolaire…… « Il faut apprendre aux garçons à effectuer un retour sur le travail qu’ils ont fait. Pour eux quand c’est fait, c’est fait : on n’en parle plus. Ils n’ont pas l’idée de vérifier leur travail et encore moins de réfléchir à la façon de l’améliorer. Il faut les obliger ( presque physiquement) à relire ce qu’ils ont écrit, à vérifier leur calcul, à chercher leur erreur, à identifier la démarche qu’il fallait suivre pour pouvoir la reproduire une autre fois…Cela demande de la patience et de l’énergie car ils n’en voient pas l’utilité et sont frustrés de ne pas pouvoir passer tout de suite à un autre exercice. » ( professeur de mathématiques en lycée à Grenoble)

Dans le cadre de son mémoire de DHEPS ( Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales) de l’Université de Haute Alsace (SERFA), intitulé « Une innovation menacée ? La mixité scolaire », Mme Céline Guérin a travaillé sur la tâche scolaire des élèves de lycée à partir des cinq moments repérés ci-dessus : « Il s’est avéré qu’en fin d’année toutes les filles avaient intégré les cinq étapes alors que seulement 30% des garçons allaient jusqu’à la troisième étape….J’ai réalisé un sondage auprès de garçons en échec ou largement en-dessous de leurs capacités de deux classes de seconde…. Ils ont tous déclaré s’arrêter à la deuxième étape. Ce sont précisément ceux qui ne rédigent pas leurs exercices, qui se scandalisent de ne pas avoir tous les points bien que leur résultat soit juste, et qui ne notent pas la correction des exercices en classe si on ne les oblige pas, persuadés que cela ne sert à rien…. Cette expérience m’a conduite à mener une enquête à propos des cinq moments de la tâche scolaire auprès de sept classes de lycée…..Les filles sont trois fois plus nombreuses que les garçons à effectuer les cinq moments de la tâche scolaire. 78% des garçons ne vérifient pas et (ou) ne corrigent pas…. » (7)

Par rapport à des garçons, il semble que les trois chantiers suivants d’aide personnalisée à des élèves en difficulté devraient être privilégiés :

Préparer la séance à venir :

Il s’agit d’éviter que l’élève ne subisse pas très vite un effet retard qui ne lui permettrait pas de suivre les apprentissages prévus pendant la séquence.

Pour cela, il faut lui faire comprendre ce qu’on va apprendre.

Par exemple, préparer un travail de lecture, ce peut être :

travailler en amont l’identification de certains mots ;

leur raconter de façon très succincte l’histoire évoquée la leçon suivante. Du coup, ils ont une représentation mentale de cette histoire et leur attention pourra augmenter

leur montrer ce qui va être important le lendemain.

Soutenir pendant l’apprentissage :

Il s’agit de reprendre à l’identique ce qui a fait blocage pour permettre à l’élève de décomposer les différentes tâches qu’il a accompli , voir le chemin qu’il a parcouru et où se situent les zones de blocage.

Il s’agit de lui permettre de comprendre les différentes composantes nécessaires pour réaliser la tâche demandée.

Faire autrement :

Il peut s’agir par exemple de faire refaire un exercice après un apprentissage effectué par un autre enseignant que l’habituel. Ce peut intéressant pour permettre aux jeunes de mieux s’identifier à l’adulte de faire qu’un enseignant masculin ( voire un étudiant ) fasse travailler le jeune garçon.

B) La sortie de l’enfance

Pèsent sur les garçons la disparition de tous rituels d’intégration sociaux à un moment donné de leur vie et le flou régnant entre 16 et 25 ans autour de l’entrée dans l’âge adulte. Cette société d’adolescence où l’on est préado, et post-ado, où se développe pour les trentenaires la notion « d’adulescence », ni tout à fait ado, ni tout à fait adulte, elle heurte, on le comprend bien, beaucoup plus la construction de l’identité masculine que celle de l’identité féminine où la rupture enfant/adulte est marquée par des transformations corporelles et le fait d’être devenue en capacité d’être mère.

Nous vivons aujourd’hui une société marquée par la confusion des âges, où on demande le plus souvent à ceux qui la composent de devenir mature de plus en plus tôt pour rester jeune de plus en plus tard. La société semble avoir des difficultés à accepter qu’on puisse grandir et devenir adulte. On peut vraiment se demander si la société qui a inventé la notion d’adolescence ne fonctionne pas à l’image de celle-ci dans une situation de refus permanent de devenir adulte et donc « ancien » ou « vieux ». Le syndrome de l’adolescence peut se caractériser comme le moment où on renvoie à plus tard les décisions graves et où on vit sous la dictature du désir. Cette société d’adolescence où l’on est préado, et post-ado, où se développe pour les trentenaires la notion « d’adulescence », ni tout à fait ado, ni tout à fait adulte, elle heurte, on le comprend bien, beaucoup plus la construction de l’identité masculine que celle de l’identité féminine où la rupture enfant/adulte est marquée par des transformations corporelles et le fait d’être devenue en capacité d’être mère.

Dans la construction de sa personnalité, le jeune, spécifiquement le garçon, parce qu’il vit moins dans son corps le passage à l’âge adulte que les filles qui lorsqu’elles sont réglées savent qu’elles peuvent potentiellement être mère, a toujours eu besoin de rites d’initiation, de transmission et d’intégration. Ceux-ci ont été longtemps religieux (confirmation, communion solennelle) et civiques (les « trois jours » ; le service national). Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus de rites d’initiation et de transmission, ce qui, la nature ayant horreur du vide, laissent le champ libre à des processus d’intégration réalisés dans le cadre de « bandes », de divers groupes, voire par des sectes ou des intégrismes religieux.

Si l’on veut éviter que le groupe, la bande, la communauté ne soit le seul élément initiatique repérable ,il faut rétablir des rituels d’intégration sociale, par exemple :

pour marquer la sortie de l’enfance et l’entrée dans l’ère de la responsabilisation (13 ans est juridiquement en France ce moment)

pour marquer l’entrée dans l’âge adulte, les établissements scolaires, les centres d’apprentissage, les mairies doivent organiser des cérémonies pour marquer ce moment décisif de rupture que représente « être majeur » avec les droits et obligations que cela représente (8).

Une enquête sur les sanctions au collège menée par Sylvie Ayral « La fabrique des garçons » (9) a montré que plus de 80% des violences en collège étaient le fait de garçons ce qui l’a amené à penser « que pour les garçons la sanction est un véritable rite de passage qui permet à l’heure de la construction de l’identité sexuée, d’affirmer avec force sa virilité, d’afficher les stéréotypes de la masculinité, de montrer que l’on ose défier l’autorité » : « Dans treize collèges enquêtés récemment, aux caractéristiques socioscolaires très différentes, les garçons représentent de 74% à 89% des élèves punis et de 85,2% à 100% des élèves sanctionnés pour violence physique. ….Pourquoi cette surreprésentation masculine n’attire-t-elle pas l’attention des équipes éducatives alors que le ministère de l’Education Nationale réaffirme à chaque rentrée scolaire le principe de l’égalité des sexes et que les effets négatifs des punitions données de manière excessive sont démontrés depuis longtemps ?… Dans les faits, l’univers scolaire apparaît comme un lieu de confrontations intersexes et d’activation de stéréotypes de genre ( représentation de soi en tant qu’homme ou en temps que femme) plutôt que de coéducation des sexes. Garçons et filles partagent la classe en deux espaces distincts, ne mangent pas ensemble, ne fréquentent pas les mêmes endroits dans la cour, même si cela n’empêche ni les amitiés, ni les flirts, ni les amours qui se déroulent sur un fond de « guerre des sexes »………..En définissant les infractions et en punissant les garçons, l’institution scolaire stigmatise ces derniers et les consacre collectivement dans leur « virilité ». Elle renforce l’inégalité entre sexes dans laquelle s’inscrit en creux l’invisibilité des filles. » (10).

Les familles se rendent-elles compte qu’un travail bien encadré sur les limites, les dangers, les risques calculés, peut permettre d’éviter que des jeunes n‘aillent rechercher ailleurs des sensations extrêmes, des violences contre soi-même : véhicules motorisés lancées à grande vitesse, voire prises de substances « grisantes » comme l’alcool, des médicaments ou des drogues….et que quelques plaies ou bosses, des déchirures ou des vêtements un peu abîmés, peuvent être le prix à payer pour que le jeune se confronte, en étant encadré par des professionnels, à l’aventure, aux risques, à ses limites, et n’essaient pas de leur faire seul ou en bandes, sans contrôle.

En effet, transgresser, c’est pour l’adolescent le moyen, une manière de prospecter les limites, de les tester, de se mesurer aux interdits. Il est donc important que l’adulte ne se laisse pas prendre à ce jeu de transgression qu’expérimente l’adolescent. Il ne s’agit pas d’être laxiste, mais de travailler sur les limites et les régulations possibles.

Quand on interdit au nom du « principe de précaution » dans une cour de récréation les jeux de balles, la possibilité de grimper ici ou là, dans un centre de loisirs, les campements « sauvages », les rallyes d’orientation nocturnes, bref tout ce qui peut amener à travailler avec le jeune les peurs et les dangers, qu’on ne s’étonne pas des résultats !

Pour quelques cas médiatisés, on empêche l’adolescent de se préparer à gérer efficacement son passage à la maturité.

C) La difficulté d’identification au moment de l’orientation

La Commission Européenne souligne bien en conclusion que comme je l’avais fait remarquer dans plusieurs articles récents concernant la France « Le point faible des mesures actuelles résident dans le fait qu’elles se concentrent essentiellement sur les filles. Ainsi, alors que l’intérêt des filles pour la technologie suscite beaucoup d’attention, on s’intéresse moins aux garçons et à leur éventuel accès aux professions liées aux soins. (…) Les initiatives d’orientation sensibles à la dimension de genre ont tendance à cibler plus souvent les filles que les garçons. »

Dans l’école française, le moment décisif concernant l’orientation des élèves se situe entre la classe de quatrième et la classe de troisième. Il touche donc les jeunes à l’âge de 14/15 ans. Or, à cet âge où se joue une grande partie de ce qui va faire la réussite ou non du parcours scolaire des jeunes, où l’institution leur demande de construire un projet personnel , tous les spécialistes de la psychologie de l’adolescence le disent, c’est le moment du plus grand écart de maturité entre les jeunes garçons et les jeunes filles. A l’adolescence, un entre-deux entre enfance et âge adulte qui commence de plus en plus tôt et finit de plus en plus tard, où la crise de l’intériorité se traduit par une image toujours insatisfaite de l’image de soi dans le miroir des autres. Est-ce que les jeunes garçons vont voir autour d’eux, des hommes plus âgés, des semblables en situation d’adulte-référent ?

Les professions qui interviennent autour de l’enfance et de l’adolescence, comme celle qui sont en prise avec le quotidien de la population, se sont en vingtaine d’années massivement féminisées. Notre société doit s’interroger sur le fait qu’aujourd’hui, entre 2 et 18 ans, les jeunes vont ne rencontrer pour travailler avec eux que des femmes : professeurs (80,3% de femmes dans le premier degré ; 57,2% de femmes dans le second degré, BTS et classes prépas inclus), chefs d’établissements, assistantes sociales, infirmières, avocats, juges, médecins généralistes, employées de préfecture ou de mairie, voire juges, tous ces métiers sont de manière écrasante féminins…

Les filles ont donc durant leur cursus scolaire et leur adolescence, présentes devant elles, des semblables, femmes référentes, auxquelles elles peuvent sans peine s’identifier, ce qui pour une bonne part expliquent également qu’elles souhaitent, leurs études réussies, rejoindre ces métiers qu’elles jugent valorisants. On peut en effet, penser que les filles se dirigent plus spontanément à la fin de leurs études vers des métiers qu’elles rencontrent pendant leur scolarité, avec lesquelles elles peuvent s’identifier, dont elles ont pu faire d’une certaine manière des modèles des personnes qui les exercent. Les jeunes filles construisent donc souvent un cursus scolaire adapté au métier choisi ce qui leur permet de réussir, mais il ne faut pas mettre de côté le fait que cette identification peut éventuellement freiner leurs ambitions.

On peut dire aujourd’hui que quasiment la totalité des professions féminisées sont des métiers visibles présents dans le quotidien et dans l’environnement des lieux d’habitation, alors que la majorité des métiers masculins sont souvent des métiers invisibles situés loin des territoires d’habitations. Certes, il reste les pompiers et les policiers, mais ceux-ci ont perdu de leur prestige….

Il y a un vrai risque pour notre société de voir une division du travail entre des métiers travaillant sur l’humain et la vie quotidienne très massivement féminisés et des métiers « techniques » ou financiers « réservés » au monde masculin.

Le problème concernant les métiers féminisés à recrutement par concours est double :

Susciter des candidatures d’hommes dans ces métiers en les incitant à s’investir dans les professions travaillant sur l’humain comme la médecine, la magistrature, les avocats, la culture , les vétérinaires, l’architecture, l’enseignement……

Lutter contre les difficultés de maîtrise de l’écrit par les garçons afin de leur permettre d’avoir de meilleurs résultats aux concours, car dans tous les concours de recrutement et particulièrement dans les concours d’accès au métier enseignant, les candidates réussissent bien mieux que les candidats.

Les mutations dans la structure familiale doivent, en effet, être prises en compte. Il n’y a pas que la monoparentalité féminine qui peut poser problème aux garçons. Dans les familles recomposées, restructurées, voire décomposées qui se développent de plus en plus et sur lesquelles il faut s’interdire de porter le moindre jugement, la femme le plus souvent apparaît comme le pivot permanent, solide, constant autour de laquelle la composition familiale va évoluer au fil du temps. Un tel positionnement de la mère en tant que pivot ne peut pas ne pas avoir des conséquences sur l’image que se fait de lui-même le garçon à l’âge de la puberté et des questionnements sur son devenir.

Les solutions mises en œuvre ailleurs……

Une certitude : Toutes les études montrent qu’en Europe comme en Amérique du Nord, la solution ne réside absolument pas dans l’abandon de la mixité.

La réponse à des problèmes en relation avec des différences dans la qualité des apprentissages liées aux différences de sexe est d’ordre pédagogique et éducatif, comme l’ont montré les éléments du diagnostic. Le rapport EURYDICE « Différences entre les genres en matière de réussite scolaire : Etude sur les mesures prises et la situation actuelle en Europe » publié par la Commission Européenne en juin 2010 a eu l’immense intérêt de mettre une nouvelle fois l’accent sur le fait que mettre des filles et des garçons ensemble ne suffit pas à gérer l’égalité, mais qu’il faut gérer réellement la mixité pour obtenir la réussite de tous.

Ce rapport essaie de sortir du débat piégé : classe ou école non mixte ; classe mixte en mettant bien en avant les expériences où dans une classe mixte, il y a des moments séparés non mixtes pour mieux favoriser les apprentissages et la réussite de tous. « Certaines écoles primaires ( En Ecosse et dans les pays nordiques) séparent les filles des garçons pendant de courtes périodes durant la journée, sans organiser de classes non mixtes fixes. L’idée est d’offrir plus d’espace à la fois aux garçons et aux filles »

De nombreux chercheurs reconnaissent en effet qu’aujourd’hui, il ne suffit pas de mélanger des garçons et des filles ensemble dans la même classe pour que l’égalité de tous soit assuré.

Il faut apprendre à gérer efficacement la mixité, sinon le retour de bâton risque d’être terrible au niveau des valeurs portées par l’école.

Nous connaissons en France une non-mixité à postériori qui ne pose de problèmes à personne alors qu’elle est le reflet d’un malaise profond, qui se traduit par une présence massive des garçons, notamment issus de l’immigration, dans les dispositifs d’aide aux « élèves en difficulté »

Des expériences diverses se déroulent dans certains pays pour favoriser l’entrée des garçons dans le processus de la lecture. Ainsi, c’est le cas en Ecosse avec le projet « SPL ( Scottish Premier League Football) Reading Stars » Il s’agit d’un projet mené par les clubs de la première division écossaise de Football en direction des garçons des écoles élémentaires : « Ce projet vise à utiliser les motivations des jeunes autour du football pour les aider à s’investir dans la lecture. Chaque joueur d’un club de football de 1ere division choisit son livre d’enfant favori qui sera proposé à un jeune d’une école partenaire du club. Avant d’aller le chercher à la bibliothèque, l’enfant et sa famille sont invités à venir au club SFL partenaire pour faire une visite du stade et rencontrer le joueur concerné. Ils vont également visiter une bibliothèque et rencontrer un auteur. Les bibliothèques partenaires du projet tiennent aussi à la disposition des familles des exemplaires gratuits des livres choisis par les jeunes et d’autres livres d’enfants. Chaque enfant en fin de projet reçoit, lorsque son travail de fiches de lecture du livre a été validé par des enseignants, des récompenses de la part du club de football et se voit décerner un certificat de réussite. La projet « SPL Reading Star » en est à sa seconde année de déroulement et a permis à de nombreux jeunes d’améliorer leurs compétences en lecture et écriture » (11)

Dans le même esprit, au Canada, une action concernant la lecture a été menée dans le cadre d’un club de hockey sur glace : « Comme tous les lundis d’hiver, c’est jour d’entraînement pour les Capitals de Shediac, équipe de hockey du sud-est du Nouveau-Brunswick. Pendant une heure, les joueurs de 9 et 10 ans enchaînent les exercices sous le regard attentif de leur entraîneur, Shane Doiron. Et leurs efforts ne s’arrêtent pas au dernier coup de sifflet. Lorsqu’ils quittent la glace, un autre entraînement les attend… Dans le vestiaire, ils rangent leur équipement et sortent de leur sac une pochette en plastique. À l’intérieur ? Un roman jeunesse, un cahier, un crayon ! Tous les lundis, ces jeunes Acadiens discutent en petits groupes de la dizaine de pages qu’ils ont lues à la maison au cours de la semaine précédente. Leur entraîneur et quelques papas animent les échanges. «Aujourd’hui, un jeune m’a dit qu’il avait appris 14 mots en cinq pages ! » dit Shane Doiron. Partout au Canada, les garçons éprouvent plus de difficultés que les filles en lecture – un important facteur de risque dans le décrochage scolaire. La situation est encore plus alarmante chez les élèves francophones du Nouveau-Brunswick, qui ont les pires résultats en la matière au pays. Manon Jolicœur, chargée de cours en éducation à l’Université de Moncton, a aidé Shane Doiron à mettre sur pied son groupe de lecture dans le contexte de sa maîtrise. Grâce à cette initiative, les joueurs ont tous découvert le plaisir de lire, affirme Manon Jolicœur, qui les a interviewés. Cer¬tains ont même marqué des points dans leur bulletin » (12).

Que faire ?

On ne peut que se féliciter que la circulaire de rentrée 2011de l’Education nationale impose à tous les établissements scolaires « la mise en place d’indicateurs sexués sur les violences mais aussi sur les résultats scolaires des élèves » (13) afin de leur permettre de pouvoir analyser leur situation.

Il est très important pour un établissement scolaire d’établir des statistiques sexuées pour agir efficacement pour la réussite scolaire de tous. C’est ce qu’a réalisé en 2011-2012 le collège Marcel Doret du Vernet ( Haute-Garonne) . Voici quelques extraits du diagnostic qui recouvre toutes les études nationales et qui permet de travailler localement pour faire changer ce qui s’y déroule : « A première vue, le collège du Vernet, collège rural de 733 élèves ne pose pas de problèmes particuliers en termes d’inégalités entre les filles et les garçons. 54% de garçons et 46% de filles y sont scolarisés… Comme on pouvait s’y attendre, les filles sont majoritairement victimes de violences sexistes. Pour autant quelques garçons ont à souffrir également s’insultes homophobes… Les filles sont majoritaires à vouloir continuer des études et plus particulièrement vers un baccalauréat scientifique. En ce sens, elles manifestent plus d’ambition et d’opiniâtreté dans leur scolarité. 75% des filles passent en 2GT contre seulement 54% des garçons. 30% des garçons optent pour un bac pro industriel contre 2,6% de filles. Pourtant, on reste quant au choix d’une profession dans les schémas très sexués…. Les garçons restent obstinément dans l’action, la démonstration de force, les filles tournées vers les autres, altruistes ou artistes… La fréquentation du CDI montre que les filles lisent et empruntent beaucoup plus de romans que les garçons… Un étude menée sur le 1er trimestre 2010/2011 montre que les garçons sont plus sanctionnés que les filles ( 7 fois moins que les garçons) . De la même manière, les garçons reçoivent plus de punitions que les filles. »

Prendre conscience de l’échec scolaire masculin précoce est un véritable enjeu de société. Faire réussir tous les élèves, quel que soit leur genre, peut permettre de diminuer la violence, de rendre le travail sur les stéréotypes plus efficaces.

Il ne s’agit pas de prôner des classes non-mixtes, mais de mieux penser la gestion pédagogique de la mixité dans le cadre de classes mixtes, pour toujours plus mettre en place les conditions d’un meilleur vivre ensemble.

Redéfinir les conditions d’une mixité permettant la réussite de tous

Il n’est plus possible d’en rester à la situation actuelle tant l’échec scolaire précoce masculin est précoce et pèse sur notre société. Les inégalités dans la réussite scolaire apparaissent pour une bonne part liées à une pédagogie inadaptée qui pénalise massivement les garçons et particulièrement ceux des milieux défavorisés où les familles ne peuvent compenser les manques de l’école. Le défaut français d’enseigner pareillement à tous les élèves sans prendre en compte leurs spécificités, leurs rythmes, apparait comme responsable d’un échec scolaire précoce, dès la maternelle, des garçons face à des filles plus matures dans certains domaines.

La création d’espaces de non-mixité au sein d’écoles et de classes mixtes apparaît s’imposer comme une solution d’avenir. Cela signifie tout au long du cursus scolaire, prévoir des groupes d’apprentissage non mixtes, qui doivent être bien identifiées , ne pas dépasser les années où ils existent un quart du temps des élèves et conçus dans leurs finalités pour mieux gérer les moments en commun. Ils doivent permettre de mieux adapter l’enseignement et la méthodologie de diverses disciplines aux besoins des élèves.

Peut-être également qu’enfin entrer dans une dynamique de complémentarité à tous les niveaux de la société , notamment par un meilleur partage des tâches au domicile, permettrait de sortir du paradoxe français : une école dominée par les femmes et un monde du travail dominé par les hommes et leurs codes, avec des femmes écartelées entre leur désir de maternité et de réussite sociale.

Jean-Louis Auduc

Notes

1 Note d’information 11-16 « la compréhension de l’écrit en fin d’école. Evolution de 2003 à 2009 » Note de la DEPP. Ministère de l’Education Nationale. Novembre 2011.

2 Jean-Louis AUDUC Sauvons les garçons. Editions Descartes. Novembre 2009

3 Résultats du PISA 2009 : Synthèse. OCDE Décembre 2010, page 7.

4 Rapport du Haut Conseil de l’Intégration « Les défis de l’intégration à l’école » . La Documentation Française. Janvier 2011, page 97.

5 Les inégalités à l’école. Rapport du Conseil économique social et environnemental. Septembre 2011, pages 47 à 49.

6 Marianne, 28 août 2011

7 Céline GUERIN « Une innovation menacée ? La mixité scolaire » Mémoire présenté en vue du diplôme des Hautes Etudes de Pratiques Sociales sous la direction de Mr Guy AVANZINI, professeur émérite de l’Université Lyon 2 (Université de Haute Alsace. SERFA), pages 102-103.

8 Rappelons qu’en 2002, le ministère de l’éducation nationale avait prévu de donner à chaque élève devenant majeur une brochure « Au XXIe siècle, qu’est-ce qu’être majeur ? » . Cette brochure est malheureusement resté dans les cartons. Elle est toujours téléchargeable sur le site du MEN.

9 Sylvie AYRAL La fabrique des garçons. PUF 2011

10 Sylvie AYRAL « Sanctions et genre au collège » Socio-logos, Revue de l’Association française de Sociologie, 5/2010. http://socio-logos.revues.org/2486 .

11 ( extrait du site Internet SPL Reading Star )

12 L’Actualité du 17 mai 2011. Article de Marie-Eve Cousineau

13 Circulaire de rentrée 2011 de l’Education nationale. B.O.E.N. du 5 mai 2011

Garçons et filles : Le poids des représentations n’est pas partout le même

Par François Jarraud

« Que veux tu faire plus tard ?  » A travers l’enquête PISA, l’OCDE a posé la question à des garçons et des filles âgés de 15 ans. L’organisation publie les résultats dans un nouveau numéro de Pisa in Focus (n°14). Si les filles sont globalement plus ambitieuses, elles ne choisissent pas les mêmes métiers que les garçons. Et trois pays réfrènent leurs ambitions. Dont la France…

Exception française. Quand on demande à des adolescents de 15 ans ce qu’ils veulent faire à 30 ans, les filles sont plus nombreuses à annoncer un métier prestigieux : législateur, patron ou officiel de haut niveau. Partout l’écart entre les filles et les garçons est important : 11% en moyenne. Partout sauf en France, en Allemagne et au Japon. Dans ces trois pays, les filles restreignent leurs ambitions au niveau des garçons. Enfin en Suisse, les garçons affichent plus d’ambition que les filles.

Des stéréotypes universels ? Universels aussi sont les stéréotypes professionnels. Partout les filles se voient bien travailler dans la santé. Et partout elles fuient les métiers d’ingénieurs et du numérique. L’écart est carrément immense : 5% des filles en moyenne opteraient pour ces métiers contre 18% des garçons.

Et L’école ? « L’éducation est un des secteurs les plus ségrégés par le genre », nous dit Pisa in focus. Dans les pays de l’OCDE, les femmes représentent les trois quarts des professeurs de collège mais moins de la moitié des principaux. Est-ce le cas en France ? Dans l’éducation nationale, si largement féminisée, le genre semble poser la hiérarchie. Si 82% des professeurs des écoles sont des femmes, ce n’est le cas que pour 62% des certifiés , 51% des agrégés et 32% des professeurs de chaire. Dans l’administration de l’éducation nationale, si 93% des adjoints administratifs et 83% des secrétaires administratifs sont des femmes, on ne trouve que 45% des IEN, 41% des IPR, 24% des inspecteurs généraux et des recteurs. Quant au ministre vous savez ce qu’il en est…

Pisa in Focus n°14

http://www.oecd.org/dataoecd/18/58/49829595.pdf

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