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Le numérique est il un continent de promesses et une terre d’illusions, un océan à découvrir et un lac où l’on se noie ? Il est à coup sur un territoire de contrastes où les inégalités de réalisations et de perceptions perdurent. Il mérite bel et bien un plan stratégique pour explorer dans une vision harmonisée ses potentialités en toute équité.

Il y a belle lurette que des enseignants se sont emparés du numérique pour adapter leurs pratiques à un contexte et des publics qui évoluent. Les cinq forums des enseignants innovants que nous avons organisés en témoignent. Depuis plusieurs années déjà, des collectivités territoriales ont investi pour que le numérique prenne toute sa place dans l’enceinte scolaire. Les initiatives individuelles ou collectives se sont multipliées sans toujours essaimer.

Le numérique peut être perçu comme un gadget à mesure qu’il percute les cloisons et rend obsolète les schémas d’une école à configuration de sanctuaire. Les murs se fendillent mais les réactions de résistance se nourrissent des torts que causeraient les réseaux sociaux, les vidéos, les jeux, au savoir avec un grand S. Apprendre, enseigner avec le numérique suppose de réinvestir la relation triangulaire entre l’enseignant, l’élève et le savoir. Cette évidence heurte les visions les plus ancrées d’une école sacralisée où l’enseignant dispense les contenus vers un public supposé captif. Au fil des ans, au fil des rencontres avec les enseignants innovants, une autre certitude s’impose : l’intention pédagogique est présente dans les usages du numérique, une intention qui se nourrit d’une réflexion, d’une interrogation de l’enseignant sur ses propres pratiques et sur les théories de l’apprentissage.

Apprend on mieux avec le numérique ? Aucune étude ne le prouve certes, mais ce qui est sur, c’est qu’on apprend différemment en s’impliquant plus. Les usages du numériques tels que nous les observons favorisent l’accès au savoir des élèves pour qui les méthodes traditionnelles induites par le cours magistral constituaient un frein. Ils ouvrent aussi la porte vers des contenus jusque là inaccessibles permettant une équité quelque soit le lieu où l’on habite. Ces promesses saisies par quelques uns, dédaignées par d’autres sont aussi pour la majorité une terre à explorer sans savoir comment et par quelle frontière l’aborder.

Comment faire pour transformer un territoire de pionniers en un continent habité, commun ? Comment convaincre l’ensemble des enseignants de s’y promener sans crainte en s’appropriant ses potentialités ? Le numérique ne deviendra stratégie partagée qu’à ce prix. Et mine de rien, l’objectif est une gageure pour l’institution impliquant tous ses rouages, tous ses échelons. Le temps du plan T07 est révolu. Le numérique n’est pas uniquement une question de technique, de tuyaux, de matériel et de débit. Il joue aussi sur les relations que nous entretenons avec le savoir, avec la construction des apprentissages, avec les autres acteurs aussi. Verticalité, horizontalité, transversalité, les dimensions se percutent sans ordre de priorité, sans ordonnancement établi. L’éducation toute entière est interrogée, dans l’implication des acteurs dans et hors les murs de l’école, dans leurs relations, leurs rôles.

Vincent Peillon place le numérique comme une ferment de l’Ecole de la République version XXIe siècle. Réduire les inégalités d’accès au savoir, s’affranchir des contraintes territoriales, l’enjeu est de taille et le défi conséquent. Alors nous disons chiche, reconstruisons l’école en ouvrant portes et fenêtres pour donner de l’air aux apprentissages. Saisissons le numérique pour apprendre et enseigner autrement et refonder une éducation inclusive.

Monique Royer