Par François Jarraud
“Le numérique offre une opportunité unique pour refonder l’Ecole”. Le 13 décembre, Vincent Peillon a su trouver les mots pour inscrire le numérique éducatif à la hauteur d’une grande ambition collective. Devant un public constitué des acteurs du numérique éducatif, le ministre de l’éducation nationale a présenté “la stratégie pour le numérique à l’Ecole” et à plusieurs reprises évoqué les enseignants innovants. Il présente un éventail d’actions qui vont loin dans le temps (2017) et profond dans l’éducation, jusqu’à évoquer une nouvelle gouvernance. Le stratège est bien là. Les troupes aussi. L’intendant c’est moins sûr…
Vincent Peillon souhaite intervenir en direction des enseignants, des parents , des collectivités territoriales et déjà modifier la gouvernance. “Il faut changer le mode de gouvernance de l’éducation nationale”, affiche le ministre. “C’est déterminant”. Il annonce la création en 2013, à coté du Conseil national du numérique, mis en place par Fleur Pellerin, ministre en charge du numérique, d’un “comité stratégique” interne à l’éducation nationale, “coordonnant le plan numérique” assisté d’un directeur chargé de piloter le programme. Un “conseil du numérique éducatif” associant des représentants de la communauté éducative, de l’éducation nationale, des collectivités territoriales et de la recherche, des partenaires publics et des acteurs privés de la filière numérique éducative” sera “une instance de dialogue et de coordination”. En même temps, le ministère impulsera “un cycle de travail” avec les collectivités territoriales et la Caisse des dépôts pour “une gouvernance partagée au niveau territorial” en matière de numérique éducatif.
En direction des enseignants, V Peillon permettra dès la rentrée 2013 “un meilleur accès aux ressources numériques des grands établissements culturels et scientifiques”. Ce point renvoie à un article de la loi d’orientation qui prévoit d’étendre l’exception pédagogique pour une utilisation en classe des produits culturels. Tout cela est évidemment dépendant des indemnisations éventuelles des établissements. En 2017, les enseignants devraient bénéficier “d’une offre de contenus et services numériques facilitant les apprentissages”. Un “réseau professionnel des enseignants, espace d’échange et de co-construction entre pairs” devrait être développé par le CNDP pour 2017. Enfin le ministre entend valoriser les carrières des enseignants s’impliquant dans l’accompagnement du déploiement du numérique éducatif à travers “des promotions et évolutions de carrière”. Dans son discours V Peillon a évoqué les enseignants innovants et indiqué qu’ils devraient participer à la formation des enseignants. Dès 2013, la certification C2i2e devrait évoluer et un plan de formation de 150 000 enseignants sur 2 ans s’appuyant sur les IPR sera mis en place. Il s’agira probablement de formation à distance. Enfin un “campus numérique”, véritable Espé numérique sera proposé aux futurs enseignants et aux enseignants en place pour leur formation en 2017.
Pour les parents, V Peillon a annoncé l’ouverture dès janvier 2013 d’un dispositif interactif sur l’apprentissage de la lecture par le CNDP Il s’agira de vidéos pédagogiques, de témoignages de chercheurs et d’extraits d’articles sur la lecture. La procédure d’inscription en lycée sera dématérialisée en juin 2013.
Pour les collectivités locales, V Peillon annonce la clarification de la question de la maintenance du matériel numérique dans la loi d’orientation. Une offre globale d’équipement et de prestations sera proposée aux écoles primaires au printemps 2013 pour aider les communes à s’équiper. Mais l’essentiel de l’effort ministériel reste dans le développement des ENT . La stratégie promet le développement d’ENT dans le premier degré et la généralisation des ENT dans le secondaire en 2014 dans 63 départements.
Ce catalogue hétéroclite révèle en fait les limites du programme ministériel. Le développement du numérique a connu de nombreux “plans” qui ont déjà annoncé certaines de ces réalisations, par exemple la généralisation des ENT. Si la stratégie de V Peillon ne manque pas de hauteur de vue, elle manque cruellement de moyens. Le ministre avoue disposer de 10 millions, une somme dérisoire pour une véritable révolution numérique. Luc Chatel disposait de 30 à 60 millions par an sans avoir réussi à avoir une action efficace. Le seul programme Ecole numérique rurale a consommé 60 millions. Cette somme était elle-même dérisoire par rapport aux dépenses du gouvernement travailliste britannique (1200 millions). V Peillon a clos son discours en annonçant qu’il ferait appel à des fonds européens. Si ceux-ci pourront aider les collectivités territoriales assez outillées pour les solliciter, il est clair que ce n’est pas l’argent européen qui financera la révolution numérique française. C’est sans doute la rareté des moyens qui explique qu’aucune mesure n’est chiffrée. Du coup un certain flou flotte autour de chaque annonce.
Vincent Peillon a compris que le numérique remet en question le fonctionnement du système éducatif. Le défi pour l’Education nationale c’est de passer d’une organisation verticale hiérarchisée qui pédale dans le vide à une organisation en réseaux horizontaux centrés sur des objectifs pédagogiques. Il propose donc de toucher à la gouvernance. Mais ses propositions elles-mêmes montrent que ce sera difficile. Il y a à la fois des assemblées et un nouveau directeur de l’administration centrale. Une sorte de hiérarchie semble s’instaurer entre les 3 assemblées présentées par le ministre. Un comité délibératif entre partenaires “sérieux”, un conseil dont la portée reste bien imprécise et un organe de travail entre Etat et collectivités locales qui risquera de matérialiser la volonté de l’Etat de continuer à dicter sa loi aux collectivités.
Bien d’autres questions demeurent sur la mise en place de cette “stratégie” numérique. L’urgence c’est de donner des gages de changement de gouvernance dans les actes. Et d’éclairer l’opinion sur le financement du programme numérique.
François Jarraud
Maire adjointe du Pré Saint-Gervais (93) et déléguée générale d’Ecoles Internet, Anna Angeli a une connaissance concrète de l’intégration du numérique dans l’éducation. Elle décrit les freins rencontrés au quotidien pour l’intégration du numérique dans les écoles. Et aussi ses espoirs dans le programme Peillon. Avec une mise en garde : dans le 93, ces espoirs ne doivent pas être déçus.
Dans votre vie d’élue, quels freins rencontrez-vous pour l’intégration du numérique à l’école ?
Au Pré Saint-Gervais diriez vous que vos efforts d’équipement ont un impact sur le niveau scolaire des enfants ?
Les inspecteurs de l’éducation nationale nous disent qu’il y a un impact sur les résultats. Les professeurs de collège nous disent leur surprise de voir des élèves à l’aise avec les TBI, aller spontanément au tableau. Les blogs de classe incitent les enfants à écrire. Enfin cela déborde sur les familles où les enfants transmettent ce qu’ils savent faire. On voit aussi les enseignants s’emparer du TBI pour un usage quotidien, co-construire des séquences avec les élèves. C’est pourquoi on va continuer en 2013. On commence à équiper en TBI et en tablettes les maternelles. On les teste dans le cadre de vrais projets pédagogiques. On va aussi renforcer les “cyberbases”, des EPN installés dans les écoles.
Quel regard jetez-vous sur la “stratégie” numérique de Vincent Peillon ?
Je suis très encouragée par ces nouveaux dispositifs, la nouvelle gouvernance et la reconnaissance des différents acteurs que l’on trouve dans ce programme. La prise en considération des collectivités territoriales dans la mise en place des équipements me parait une bonne chose.
Maintenant si je considère qu’un dispositif national est une bonne chose, j’insiste sur le fait qu’il faut aussi travailler sur la décentralisation et s’intéresser aux acteurs de proximité. Par exemple les pistes financières décrites par le ministre, le FEDER par exemple, ne sont pas à la portée d’une collectivité moyenne. Les dossiers sont trop techniques. Il faudra trouver une échelle, celle de l’agglomération ou du département, pour pouvoir en bénéficier.
Globalement je suis pleine d’espoir. Je vois avec bonheur s’instituer un dispositif nationale de concertation. J’espère qu’il sera décentralisé. De toutes façons, il faut réussir cette réforme. On ne peut plus se tromper. C’est particulièrement net dans le 93 où les enseignants ont été si malmenés, où l’Etat nous a abandonné. On est à cran.
Propos recueillis par François Jarraud
Chercheur au LabSic de Paris 13, Alain Chaptal suit depuis des années le développement du numérique éducatif en France et dans le monde. Il extrait pour nous quelques bons points et quelques objets d’inquiétude du programme annoncé par V Peillon.
Je suis frappé aussi de voir qu’il parle positivement du plan Ecole numérique rurale (ENR). Il y avait quelque chose de très novateur dans ce plan c’était l’appel au volontariat. Ca correspond à une attente des enseignants qui en ont assez de se voir imposer des choses, de voir débarquer des équipements dont ils n’ont pas besoin.
L’annonce de la généralisation des ENT en 2017 cela fait sourire quand on sait qu’elle a déjà été faite en 2004 ! Les enseignants qui utilisent le numérique en classe ne se servent pas des ENT. Ils utilisent les outils standards dont tout le monde se sert.
Mais ce qui me frappe surtout c’est l’absence d’éléments chiffrés pour la plupart des projets. Le ministère avance un budget de 10 millions d’euros. Mais c’est un budget de PME ! En Angleterre, avant l’arrivée au pouvoir des conservateurs, le gouvernement disposait chaque année d’un milliard de livres (1,2 milliard d’euros) pour sa politique numérique ! On voit bien qu’on n’est pas dans la même perspective. Autrement dit, le discours de Vincent Peillon va dans le bon sens. Mais il n’a pas les moyens de la politique annoncée.
Propos recueillis par François Jarraud
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