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Alors que les médias se remplissent de tableaux de classement des établissements, force est de constater qu’ils arrivent à des résultats très différents et que leur classement est très relatif. Alors à qui et à quoi servent ces indicateurs ? Aux familles ? A l’institution ? Et si finalement les indicateurs ne servaient à rien qu’à entretenir l’illusion du choix ?

Les indicateurs ne servent pas aux parents. En publiant ces données sur l’accès au bac, le ministère prend le risque de (ou souhaite ?) créer une véritable concurrence entre établissements. Est-ce ce qui se passe ? En 2009, les travaux d’Agnès Van Zanten (Choisir son école, Le lien social, Puf, 2009, 284 p), montraient que les parents ont leur propre critère de choix. « Certes, les évolutions du marché du travail ainsi que les modalités d’orientation dans le système scolaire poussent beaucoup de parents à se soucier particulièrement de la capacité des établissements à améliorer le « niveau » de leurs enfants » nous déclarait Agnès Van Zanten. « Pourtant les parents des classes moyennes ne font pas que des choix « instrumentaux ». Ils font aussi des choix « expressifs », c’est-à-dire orientés vers le bien-être, le bonheur et le développement global de leur enfant ». Or, si quelques médias tentent de diversifier les modes de lecture des indicateurs, c’est bien un classement qu’ils publient majoritairement. La course pour placer son enfant dans l’établissement le mieux classé doit être relativisée. Plus que la réussite scolaire, l’entre soi semble déterminant chez les classes moyennes. A. Van Zanten montrait même que cela pouvait être, dans l’ouest parisien, l’entre soi de sa résidence…

Les indicateurs ne servent pas à l’institution. Après tout, avec la « plus value » des établissements, l’institution dispose d’un indicateur des lycées où le rendement scolaire est faible. Elle pourrait les utiliser pour affecter des moyens pour aider les établissements en difficulté à redresser leur situation. L’ancien directeur général de l’enseignement scolaire, Jean-Michel Blanquer nous avait répondu que « avec les indicateurs, à l’échelle de l’école, de la circonscription, du département on dispose d’un outil de pilotage très poussé ». Ces indicateurs alimenteraient les contrats passés entre l’Etat et les académies puis entre celles-ci et les établissements. Oui mais comment ? Si l’on fixe des objectifs à tel ou tel proviseur, quels moyens les accompagnent ? Peut on vraiment parler d’un pilotage national ? Dans la situation actuelle où la réduction des moyens a frappé même les établissements prioritaires, s’agit-il vraiment d’un pilotage ou d’une déclinaison locale du « débrouillez-vous » ? Ce qui est certain c’est qu’aucune règle nationale n’accompagne l’exploitation de ces indicateurs.

Les indicateurs ne sont pas à l’origine de la ghettoïsation du système éducatif. Celle-ci commence en amont alors même que le ministère n’a pas diffusé les indicateurs des collèges. La politique « d’assouplissement » de la carte scolaire (2007) a considérablement relancé la mise en concurrence des établissements. Les travaux de C Ben Ayed ou de B Monfroit montrent que l’assouplissement a levé les obstacles idéologiques et légitimé l’évitement scolaire. Finalement il a renforcé la ségrégation et les inégalités. Un verrou semble avoir sauté et les demandes de dérogations explosent là où la concurrence entre établissements est possible. C’est au final le sentiment d’entre soi qui pilote le marché scolaire dès qu’il existe. Par exemple, M Oberti, en Ile-de-France, montre que la ségrégation scolaire accentue la ségrégation sociale et ethnique au niveau des collèges. Le fils du pauvre est davantage ségrégé au collège que ses parents !

On mesure alors à quel point le rituel de la publication des indicateurs sert de paravent aux tristes réalités du système éducatif. Tout comme l’assouplissement de la carte scolaire, il donne l’illusion du choix aux familles. Or la vérité de l’Ecole c’est qu’elle est parfaitement injuste socialement. Et que cette injustice est en action bien avant l’entrée en lycée. Parents qui feuilletez les indicateurs, il est déjà trop tard !

François Jarraud