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On dit que le diable, celui qui divise et qui détruit les harmonies, est dans les détails. Cela conduirait-il symétriquement à penser que la lumière qui apporte la vie et facilite la connaissance, cause d’harmonie, est dans l’essentiel ? Dans ce cas, que peut-on trouver comme puissance mythique dans le « plus de maîtres que de classes » ? Un détail ou l’essentiel pour refonder l’école ? Le diable ou la lumière ?

1. Rappelons quelques données d’ordre administratif

La circulaire du 15 janvier 2013 précise entre autres : « Les écoles prioritairement concernées par l’attribution de ce moyen supplémentaire sont celles de l’éducation prioritaire, mais aussi des écoles repérées localement comme relevant de besoins similaires… Diverses formes d’interventions pédagogiques peuvent être choisies dont la co-intervention dans la classe avec le maître titulaire ou la prise en charge de groupes d’élèves en fonction de leurs besoins. L’organisation d’une école avec « plus de maîtres que de classes » peut également favoriser la mise en œuvre de modes d’organisation pédagogique en équipes qui diffèrent de l’organisation en classes, en cohérence avec l’esprit des cycles, et en veillant à assurer aux élèves un cadre d’apprentissage solide et sécurisant…Il est essentiel que l’équipe d’un projet « plus de maîtres que de classes » soit stable. L’affectation d’un maître supplémentaire se fait dans une école ou un nombre limité d’écoles relevant d’un ou plusieurs groupes scolaires d’un même secteur de collège, sur la base d’un projet porté par une équipe. Des engagements pluriannuels seront recherchés.

Les besoins des élèves, la population des écoles et les équipes de maîtres sont toutefois susceptibles de varier dans le temps et une certaine souplesse dans l’affectation des ressources dans les écoles d’un secteur de collège doit être possible, sous l’autorité de l’IEN chargé de la circonscription.

La mission du maître supplémentaire vient en appui de ses collègues dans la classe. Elle peut être exercée par un maître spécifiquement affecté à l’école ou au groupe scolaire ou par un maître de l’école dans le cadre d’un échange de service. Elle nécessite un engagement de l’ensemble de l’équipe enseignante ».

Ce maître supplémentaire, volontaire et formé devra ainsi tout à la fois :

– consolider la mise en place des cycles et donc favoriser une vision plus collégiale de l’école et du parcours des élèves ;

– participer à l’innovation pédagogique en inventant des dispositifs, des modes de collaboration avec des collègues, ce qui est loin de constituer une évidence, tant le regard de l’autre pèsera sur son action.

2. Une telle mesure aurait un statut de détail dans la loi de refondation si elle relevait de la seule initiative de deux personnes de bonne volonté réunies au hasard et agissant sans références dans le cercle de la classe.

Nous espérons quelle aura à voir avec l’essentiel à deux conditions :

– qu’il n’existe pas de subordination d’un maître en surnombre au titulaire de la classe, et que les deux ne fassent qu’un. Pour tirer dans la même direction, les hommes avec les animaux ont inventé le joug. Entre eux les hommes parlent de finalité ou de valeurs communes. Ainsi le projet de ce groupe de classes recevant le maître surnuméraire devrait-il être connu, accepté voire revendiqué par ce dernier, excluant les nominations au hasard.

– que le paradigme d’action de ce maître soit mâtiné de l’empathie et de l’autorité bienveillante nécessaires pour aller à la rencontre des élèves en difficultés. Mais aussi qu’il emprunte au registre didactique et pédagogique. De l’ordre de celui-là, attentif aux compétences à développer, aux champs notionnels, à la distinction entre tâche et activité, aux obstacles, aux erreurs, à la dévolution… De l’ordre de celui-ci, attentif à ce qui peut se passer dans des relations inter personnelles mais aussi dans de petits groupes partageant des difficultés proches. D’aucun parleraient d’évaluation formative, de conflit socio-cognitif, voire d’entretien d’explicitation et de son lien avec la métacognition, rappelleraient la distinction entre avoir de l’autorité et faire autorité… Évoquons à ce propos l’évaluation contrastée rapportée par Pascal Bressoux et Bruno Suchaut des expériences américaines et anglaises. « Aux Etats-Unis, où des enseignants surnuméraires ont été affectés à des programmes de remédiation ciblant des activités et des apprentissages précis, les résultats sur les performances des élèves ont été manifestes. Ce n’est pas le cas des expériences menées en Grande-Bretagne, où des évaluations toutes récentes se sont révélées décevantes. Là-bas, des assistants d’enseignement ont été affectés dans des classes auprès d’enseignants titulaires, sans consignes précises. Aux écoles de définir leurs missions. L’enseignant titulaire de la classe a alors eu tendance à se détourner des élèves en difficulté pour faire cours au reste de la classe. Il faut être très attentif à ce risque : que le dispositif ne décharge pas l’enseignant de ses responsabilités vis-à-vis des élèves en difficulté. »

3. Ce que nous voulons suggérer avec cet appel aux ressources du didactique et du pédagogique, c’est un changement de paradigme possible que ces référents théoriques peuvent offrir pour rencontrer les élèves dans leurs difficultés.

En s’appuyant sur ces ressources, ces élèves en difficultés ne seront pas sortis de leur classe pour des activités de remédiation en tête à tête avec un personnel certes qualifié mais dont la formation emprunte largement à des référents psychologiques, sans lien étroit avec les contenus disciplinaires abordés, en s’appuyant parfois sur des exercices déconnectés de ce qui a généré une difficulté en classe. Les difficultés des élèves dans cette classe à deux maîtres qui ne feront qu’un seront traitées in vivo à partir de ce qui constituait le cœur de l’apprentissage, et si cela est possible, en petits groupes autant qu’individuellement. D’une certaine façon, à une manière de procéder aux caractéristiques psychologiques dans le cadre d’une relation duale, se substituerait une manière de procéder aux caractéristiques didactico-pédégogiques dans le cadre d’une relation à quelques uns.

Un détail, ou l’essentiel ? Et si ce n’était ni l’un ni l’autre ? Les RASED et leur paradigme d’action ont toute leur place pour certains élèves (les plus en rupture avec l’école et le rapport au savoir qui y est développé). Le tandem enseignant permis par le maître surnuméraire introduit une temporalité d’action permanente, non déconnectée des situations et des contenus d’apprentissage des élèves et peut faciliter une régulation des pédagogies dès lors qu’il y a une absence de subordination entre eux et qu’ils partagent une vision commune.

Pour que cet apparent détail dans la loi de refondation de l’école devienne un essentiel afin de réduire les difficultés d’apprentissage d’abord, l’échec scolaire à terme, ce couple mérite un accompagnement et une formation qui ne soit pas seulement de l’ordre de la posture à adopter, mais d’une centration sur les apprentissages. Didacticiens, pédagogues peuvent en profiter pour montrer la validité de leurs concepts et… de leurs convictions.

Débusquons le diable niché dans les détails des apprentissages scolaires. Amenons le en pleine lumière. Un diable ne fait pas l’enfer et finalement il n’existe qu’à celui qui le craint.

Michel Develay