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Pour le sociologue François Dubet, le retour de la morale à l’Ecole est une bonne chose. A condition que ce soit pour de vrai une morale mise en action. Il pose aussi la question du rapport au religieux, un domaine où la société française a considérablement évolué.

L’idée de promouvoir une morale laïque à l’école n’est pas contestable et l’on peut même se réjouir de voir l’école retrouver une vocation éducative afin de ne pas se réduire à une fonction d’instruction, de formation professionnelle plus ou moins directe et de sélection plus ou moins équitable. Ceci dit cette éducation à la laïcité pose deux problèmes qui méritent quelques remarques : le contenu de cette morale et les modalités de sa transmission.

Il me semble que l’on ne peut pas revenir vers une conception de la laïcité construite sur le principe de la mise à l’écart des cultures spécifiques et des identités religieuses tenues pour hostiles ou étrangères à la laïcité comme c’était le cas en 1905. Ceci tient au fait que la société française n’est plus implicitement catholique et chrétienne ce qui permettait de construire la laïcité contre l’Eglise mais sur une fond de morale chrétienne et d’unité culturelle nationale indiscutable. La morale chrétienne se superposait alors au christianisme grâce à une version kantienne de cette morale conduisant à l’affirmation d’une culture nationale française perçue comme universelle. Aujourd’hui, la morale laïque doit tenir compte des différences culturelles et il n’est plus possible d’opposer le public universel et le privé singulier avec la même radicalité que naguère. Alors qu’il fallait réduire les différences de foi et de culture au privé, nous devons apprendre à vivre paisiblement avec ces différences. En ce sens, il ne nous suffit plus d’être républicain, il nous faut aussi devenir démocrate. La morale laïque ne peut plus surplomber les morales et les identités particulières, elle doit aussi nous apprendre à les reconnaître et à vivre ensemble.

De plus, l’exercice de la citoyenneté a changé. Il ne repose pas seulement sur l’adhésion à des valeurs, mais il suppose aussi des compétences politiques et citoyennes définies comme des capacités d’information, des capacités critiques, bref des compétences et pas seulement des actes de foi.

Mais le problème essentiel est moins dans le contenu de la morale que dans son mode de transmission. Pas plus à l’église qu’à l’école l’apprentissage de la morale repose sur une soumission à l’autorité « transcendante ». Autrement dit, l’apprentissage de la morale procède moins d’une leçon que d’une expérience. Et sur ce plan, on peut avoir du mal à comprendre la vision trop traditionnelle de Vincent Peillon dont le projet repose sur des leçons de morale alors que le chapitre vie scolaire reste désespérément vide ou réduit aux initiatives volontaires. Comment apprendre la morale laïque dans un espace dépourvu de droits pour les élèves et dans lequel les élèves n’apprennent à vivre ensemble et à « disputer » que dans la sphère d’une vie juvénile étrangère à l’emprise des enseignants ou confiée au seul travail disciplinaire des conseillers d’éducation. On ne peut apprendre véritablement la morale laïque que dans une école construire comme un espace civique, ce qui ne suppose nullement que les maîtres et les élèves y soient égaux, mais ce qui exige qu’ils aient des obligations et des droits réciproques. Ne pourrions-nous imaginer des apprentissages actifs de la laïcité ? Ce qui n’a rien de révolutionnaire quand on pense à la longue expérience des mouvements de jeunesse et des mouvements d’éducation populaire qui ont donné aux élèves et aux jeunes des responsabilités que l’école leur refusait le plus souvent.

Bien sûr ces formes d’apprentissage exigent que les établissements eux-mêmes les prennent en charge grâce à l’engagement de l’ensemble des adultes dans ces pratiques et que le métier d’enseignant ne se réduise plus à la transmission de connaissance. La faute majeure serait que la morale laïque devienne une spécialité appelant, pourquoi pas, la création d’un CAPES.

Si nos habitudes et nos mœurs pédagogiques ne nous permettent pas de franchir ces pas ; si nous pensons que l’apprentissage de la laïcité doit être un retour au bon temps de Jules Ferry, si nous croyons que l’autorité des grands textes suffit, si nous pensons que les maîtres ne peuvent que transmettre des connaissances, on peut craindre que les leçons de morale n’aient guère de sens et que, pire encore, les élèves n’y mesurent, encore une fois, la distance entre nos principes et nos pratiques.

François Dubet