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Une démarche valable mais trop en rupture avec le cadre scolaire. C’est ainsi que B Devauchelle décrit la nouvelle mouture du B2i lycée que le ministère publie au Journal officiel du 7 août. Professeur à l’université de Poitiers, B. Devauchelle suit le B2i depuis ses origines. Il lui a consacré son doctorat en 2004.

Quels changements par rapport au texte précédent qui date de 2006 ?

Le B2i lycée a été initié dès 2003 et le texte en vigueur datait de 2006. Ce texte résultait d’un double souci : souhait de cohérence avec le B2i Ecole et Collège, en gardant les mêmes catégories principales, nécessité de mettre à jour les contenus, compte tenu des évolutions liées aux technologies et aux usages. Ce sont en particulier les pratiques collaboratives et les réseaux sociaux qui désormais font partie du paysage sur lequel le monde scolaire se doit de tenir une parole. C’est aussi l’évolution de la recherche et l’utilisation des informations qui désormais est une préoccupation d’autant plus importante que les pratiques incontrôlées (copies, plagiat) et questionnantes (source, vérification de la véracité etc.) se sont multipliées

Pourquoi publier un nouveau texte ?

Comme pour le B2i collège et école, il était devenu indispensable d’actualiser les contenus. Certes il ne s’agit pas de suivre les modes, mais surtout de garantir, ce qui est un des fondamentaux du B2i, un usage « raisonné et citoyen » du numérique. Certains diront qu’on a oublié l’informatique fondamentale, mais il n’y a pas d’inquiétude de ce côté, il semble acté que d’une part l’Informatique et Sciences du Numérique est désormais partie intégrante de la formation de tous les élèves (proposé à toutes les sections l’an prochain) et que d’autre part on ne peut ignorer les usages, leurs richesses et leurs dérives dans une éducation qui se veut complète. Il est aussi nécessaire de relancer la dynamique et la réflexion dans les établissements scolaires qui ont délaissé le B2i lycée car non obligatoire dans les examens…

Le B2i a très peu réussi à pénétrer au lycée. Ce nouveau texte peut-il changer les choses ?

Probablement pas… car l’absence de « retour sur investissement » pour les équipes et les élèves va le mettre en annexe des objectifs du lycée. Cependant ce texte, réécrit dans une forme qui rappelle la mouture initiale de 2000, est une base particulièrement intéressante pour les enseignants qui veulent « parler du numérique » dans leur enseignement. Or c’est justement ce que beaucoup d’enseignants font au quotidien dans leur discipline. Le B2i est un cadre, pas un programme, en quelque sorte un référent pour agir. Il est de la responsabilité des équipes enseignantes de choisir la meilleure manière de se saisir de cet objet et d’en faire un outil au service des élèves. Cette liberté n’a pas réussi au B2i collège, mais son inscription dans la loi (loi d’orientation de 2005) n’a pas non plus révolutionné les pratiques.

Le B2i rénové peut-être une bonne base pour travailler en équipe autour du numérique au lycée. La multiplication des smartphones (et des tablettes, en même temps que la généralisation des ENT) est une occasion intéressante de réfléchir à ce que les compétences du B2I peuvent permettre de travailler aussi bien dans les disciplines que dans l’accompagnement personnalisé, l’orientation et plus généralement dans la pédagogie de projet (cf les TPE).

Que faudrait-il faire ?

Il serait intéressant, mais compliqué semble-t-il, de développer une véritable reconnaissance autonome du B2i comme certification de compétences. Il est probable que l’appellation elle-même sonne mal aux oreilles des professionnels et surtout que le référentiel donne peu à voir les véritables savoir-faire qu’en attendent ceux-ci. En donnant la part principale à des pratiques personnelles et scolaires, on a du mal à imaginer comment faire valoir le B2i sur le marché du travail. Il semble bien que cette voie soit une des principales pour sortir le B2i de son ornière scolaire. Certains pourront penser qu’associer le B2i au baccalauréat pourrait être un levier. Malheureusement la logique du B2I a du mal à s’intégrer dans la logique de cette évaluation de fin de lycée. On l’a vu pour le brevet des collèges avec le B2i qui n’a pas réussi à trouver sa pleine place.

Il semble bien qu’il y ait un important travail à mener en lien avec les inspections pédagogiques régionales disciplinaires et vie scolaire. En effet, tant que de ce côté-là, le B2i ne sera pas perçu comme un élément important de la « culture actuelle de la population », il ne sera pas suivi et valorisé. Or c’est cette dimension culturelle qui semble largement absente de la définition du B2i tout comme elle est absente des C2i. Ce qui est en train de se produire ne procède pas simplement d’un outillage complémentaire au service du quotidien personnel et professionnel, mais bien d’une évolution culturelle fondamentale dont la principale conséquence, mais trop souvent mise de côté, est une évolution de la forme de construction des connaissances et donc des apprentissages. Ce qui ne change pas, c’est l’organisation scolaire, ou seulement à la marge. Certes des évolutions ont été perceptibles au cours des quinze dernières années : TPE, accompagnement personnalisé, enseignement d’exploration, ISN, orientation, mais elles n’ont pas encore suffisamment traversé la culture collective des enseignants pour lesquels le numérique reste encore souvent quelque chose « en plus ». Heureusement, c’est cette évolution du corps enseignant qui petit à petit permet de rester optimiste.

La démarche même du b2i est-elle encore valable ?

Le texte de 2013 est un retour aux fondamentaux du texte fondateur de 2000. La formulation de 2006 voulait satisfaire une vision de l’enseignement qui renforcerait la place des connaissances en les opposant aux compétences. La formulation de 2013 reprend cette approche par compétence qui, bon gré mal gré, s’impose petit à petit dans l’enseignement et le monde du travail.

La démarche elle-même du B2i reste d’autant plus valable en lycée qu’elle n’est pas quelque chose en plus, mais plutôt un cadre pour des actions existantes. Nombre de disciplines utilisent désormais ordinairement les TIC. Certes ce n’est pas forcément une révolution pédagogique, mais c’est surtout un fait qui s’impose à tous. Et nombre d’enseignants ne manquent pas désormais d’intégrer des usages des TIC dans leur modèle pédagogique : comment peuvent-ils imaginer freiner leurs élèves alors qu’eux-mêmes en sont souvent de grands usagers pour leurs propres cours ?

Ce qui pose problème c’est la certification des compétences des élèves. On a observé depuis plusieurs années qu’au lycée le numérique est plutôt bien déployé. Mais on a aussi observé qu’il était difficile de « rajouter » quelque chose dont la logique serait éloignée des pratiques en place. Il semble que la partie certification traditionnelle (feuille de position etc.) soit très fragile. Par contre l’attente sur le numérique dans les formations post-bac est de plus en plus importante. Si jamais l’enseignement supérieur décidait d’imposer le B2i pour accepter des étudiants (indépendamment du baccalauréat), il est probable que cette démarche initiale serait mieux acceptée et mise en place. Mais pour l’instant l’enseignement supérieur ne sachant pas encore comment régler le problème des C2i, on voit mal comment il pourrait imposer le B2i.

Reste que le B2i est un projet qui a aujourd’hui treize années et qu’il a désormais marqué le paysage sans pour autant le transformer. C’est probablement parce que cette « invention institutionnelle » était et est encore trop en rupture avec la culture et la forme scolaire qu’elle n’a pas encore pris ou trouvé une véritable place dans le monde scolaire.

Propos recueillis par F. Jarraud

Voir aussi : Si le B2i était conté aux enseignants