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Joseph Rossetto, est Principal du collège Guy Flavien à Paris (1) . Sa gouvernance vise à engager les adolescents dans une école où l’on conçoit l’expérience comme l’axe central de toute forme de toute connaissance. L’école est pensée comme un voyage d’études avec pour boussole le projet d’établissement. « Le projet d’établissement crée un équilibre dans l’établissement, en mettant en place une organisation qui permette aux professeurs et aux élèves d’être dans une exigence, dans une qualité pédagogique et une éthique relationnelle. »

Le projet détermine les activités propres à chaque établissement sous forme d’objectifs et de programmes d’action, de mise en œuvre des objectifs nationaux et académiques et des programmes nationaux (2)… Comment passe-t-on de cette vulgate à votre définition du projet d’établissement comme moyen d’installer un équilibre, de favoriser le bien-être du personnel et bien sûr celui des élèves ?

Je précise d’abord que je n’ai pas pour habitude de partir des textes officiels pour élaborer avec les professeurs les actions qui nous semblent indispensables pour que notre établissement puisse accomplir ses missions d’éducation, de transmission, en favorisant autant que possible la réussite de tous les élèves. Cela passe par le projet. Il se trouve que cette démarche (et c’est également le cas pour la plupart des actions que nous entreprenons) correspond aux demandes de l’institution et parfois d’ailleurs, les précédent. Le projet a toujours été pour moi un socle à partir duquel on peut mettre en mouvement un établissement, construire cet équilibre qui passe par une cohérence et des exigences.

Dans la démarche de projet, il ne s’agit pas de réunir le conseil pédagogique, mais de travailler avec tous les professeurs pour examiner, très précisément, les problèmes que nous rencontrons et à partir de là, de définir des priorités et des axes de projets. C’est ensuite que nous apportons progressivement des réponses par des actions cohérentes. Le temps de la réflexion est donc indispensable: on s’arrête et on regarde ce qui se passe. C’est toujours le cas, notamment, au moment de la répartition de la dotation horaire. Nous évaluons, nous évoluons, nous progressons.

Vous parliez d’équilibre. Ce n’est pas qu’un simple mot. Cet équilibre est pour moi un facteur essentiel de réussite : on y parvient, en créant une organisation qui permette aux professeurs et aux élèves d’être dans une exigence, dans une qualité pédagogique. Mais cette qualité pédagogique ne peut exister sans que les adultes soient attentifs à la relation (la relation conditionne considérablement la compréhension c’est pareil dans toutes les écoles du monde). Et j’ajouterai que cet équilibre ne peut se maintenir sans le bien-être du personnel et bien sûr celui des élèves. (Et cela passe par la culture, par des espaces de créativité où l’exigence encore une fois est primordiale, par des espaces d’expression mais aussi d’écoute; par des espaces de suivi et d’accompagnements indispensables). C’est toute une organisation. L’autorité est à ce prix. J’entends par là une autorité authentique, collective.

La gouvernance désigne dans l’ensemble des modes opératoires qui permettent d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement. Donnez-nous des exemples de ce qui va dans le bon sens dans votre établissement ?

Le chef d’établissement n’est pas là pour appliquer simplement les directives ministérielles. Il a une conception de l’éducation et de l’organisation d’un établissement qu’il s’est forgée au cours de ses expériences vécues avec les professeurs. Il est très impliqué dans le domaine pédagogique (sinon il vaut mieux qu’il change de métier), mais il ne travaille pas tout seul. Nous devons être pragmatiques dans la construction du projet, faire preuve de rigueur, de méthode, nous devons travailler avec les professeurs, diagnostiquer et proposer tout en laissant la décision finale aux professeurs et ainsi créer la confiance indispensable.

Pour ma part, je ne travaille pas avec le conseil pédagogique où alors il s’agit d’un conseil pédagogique à géométrie variable. Pour les grands moments du projet, les diagnostics, les axes, je travaille avec l’ensemble du personnel. Il y a donc chaque année, deux ou trois réunions plénières pour cela. Pour les projets interdisciplinaires, les temps d’accompagnements, les ateliers, je réunis les professeurs concernés à la fin de chaque trimestre. L’organisation dépend beaucoup de ces réunions et de l’analyse des résultats des élèves à la fin des trimestres: les taux de décrochage, l’évolution des élèves en difficulté, celle de ceux qui réussissent bien. Toutes ces données permettent de faire évoluer et d’enrichir le projet.

Et dans tout ce travail, il faut faire confiance aux professeurs. C’est ainsi que nous sommes sortis d’une organisation uniforme pour nous orienter vers trois pôles qui se complètent et dont la pérennité dépend de la marge de manœuvre dont nous disposons. Le tronc commun, réorganisé, pour éviter que les élèves soient perdus dans les savoirs et les compétences, en organisant une grande partie de l’enseignement du français et des mathématiques en groupes de besoins et de compétences. Les enseignements complémentaires interdisciplinaires en projets et des ateliers artistiques. L’accompagnement pédagogique, l’aide au travail personnel: tutorat, aides au devoir, recherches, projet de l’élève etc.

Selon vous le projet d’établissement permet d’amener l’établissement vers des horizons nouveaux (et inattendus), de mettre en mouvement une équipe, d’impliquer les professeurs dans une organisation pédagogique adaptés au besoin des élèves… Comment se fait-il qu’il faille un projet d’établissement officiel pour impliquer les professeurs ?

Les professeurs sont engagés, impliqués, et soucieux d’amener les enfants à la réussite. Il peut arriver que ce ne soit pas le cas, c’est plutôt rare. Mais ils sont tous très différents. Ils ont une vision différente des difficultés auxquelles nous sommes confrontées et des réponses à apporter, il n’est donc pas facile de mettre en mouvement cette diversité de compétences. Quand à l’institution, elle est trop directive, elle ne peut s’empêcher de l’être, elle ne laisse pas suffisamment d’autonomie. L’emploi du temps, les formes d’enseignement sont organisées de façon uniforme, immuable. Tout est bien cadré. Ça ne bouge jamais. Toutes ces choses favorisent l’immobilisme.

Notre travail de chef d’établissement est de permettre, autant que possible, à toutes ces différences de pouvoir s’exprimer dans la diversité et l’hétérogénéité des actions menées dans le cadre du projet. Le projet est né de diagnostics, discussions, d’expérimentations qui ont crée un consensus et il permet à une communauté de différences de devenir une communauté de chercheurs.

Propos recueillis par Gilbert Longhi

Les tribunes de G Longhi

Notes :

1 J. Rossetto a publié Une école pour les enfants de Seine-Saint-Denis – L’harmattan – 2004 et Jusqu’aux rives du monde – Striana Editions – 2007

2 Articles L.401-1 et R421-3 du code de l’éducation.