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Ce qu’on appelle « groupe » dans l’éducation nationale est une simple subdivision technique des effectifs. Le terme ne préjuge ni d’un type d’enseignement, ni d’un état du vivre ensemble. D’ailleurs, la doxa scolaire ne voit la vie des groupes qu’en termes de phénomènes délétères (bandes, clans, chahuts, débordements…) Les rares enseignants s’appuyant sur une pédagogie de groupe sont soupçonnés de galvauder leurs missions d’instruction au profit d’une animation. Dans ce contexte, la création de groupes destinés à traiter à part des élèves en difficulté, (parfois contre leur gré) peut amplifier leur désaffiliation.

Sous-ensembles opportunistes

L’Éducation nationale engendre parfois des groupes assez originaux dans les quels les élèves n’ont pas le droit de faire quoique que ce soit ensemble. Dans cet ordre d’idée, l’Académie de Paris a mis en place des groupes de besoin constitués en fonction des difficultés momentanées rencontrées par les élèves… Au sein du groupe, les élèves ont la même tâche, mais ne travaillent pas ensemble (1)… (Sic).

Dans l’appareil scolaire, le mot groupe peut désigner de multiples sous-ensembles d’élèves répertoriés selon des critères opportunistes : groupe des bons élèves gentils attentifs, faisant des efforts (2); groupe d’élèves redoublants (3); groupe des élèves ayant des difficultés (4)… Rien à voir avec un collectif composé de personnes volontaires, centrées sur un objectif consensuel, en interaction consentie, unies par des relations interpersonnelles explicites, établissant un fonctionnement collaboratif et tenant des rôles reliés à des valeurs communes… Ce type de groupe n’a aucune existence effective dans un établissement standard. Cependant à titre exceptionnel l’administration en accepte l’existence dans quelques rares écoles, collèges ou lycées dits pilotes, innovants, autogérés, expérimentaux…

Passager clandestin

Dans les établissements banals la vie de groupe est un passager clandestin dont on ressent toutefois la présence sous-jacente. D’ailleurs, nombre d’enseignants ne cessent d’en parler comme d’un fantôme … Quelques uns même savent que l’ectoplasme en question peut se manifester par un bon état d’esprit c’est-à-dire une solidarité entre les élèves (5), un climat de confiance et un sentiment d’appartenance à la classe et à l’école (6). À l’inverse, l’avatar du groupe peut insuffler un mauvais état d’esprit qui prend la forme d’un grégarisme fait d’attitudes négatives (7), de passivité, d’obstructions, d’animosités etc.

L’appareil éducatif a une perception rudimentaire du groupe. Il est communément détesté à cause des fameux effets de groupe. On le présente le plus souvent comme une bande, un groupuscule dont le pouvoir de nuisance est redouté … Cette approche tératologique apparaît nettement à travers les plaintes des professeurs sur les mauvaises ambiances de classe (8), l’existence de clans rivaux (9), le poids des meneurs (10), la présence de chahuts (11)… Cette vue étroite n’est pas anodine, il s’agit d’une culture profonde qui sécrète une imagerie naïve composée essentiellement de leaders négatifs entourés de pairs plus ou moins soumis.

Stigmatisation

Si l’on juxtapose les difficultés des élèves et la problématique des groupes, on constate que la notion même de groupe peut fonctionner comme une stigmatisation. Par exemple, dans une classe lambda, les professeurs parleront du groupe des redoublants afin de différencier quelques individus en raison d’un échec au passage en classe supérieure. N’est-ce pas une forme de maltraitance scolaire insidieuse (12)que de cataloguer ainsi des élèves ?

Sur ce modèle péjoratif, l’école définit d’innombrables groupes plus ou moins officiels. Quelques uns ont pour objet l’exfiltration des élèves en échec hors de leur classe d’origine afin de les rassembler pour diverses prestations : soutien, accompagnement, aide, écoute, remédiation, suivi, re-scolarisation, re-motivation, ré-orientation, préprofessionnalisation, insertion, adaptation, raccrochage, remise à niveau … En définitive, si l’on prend le cas d’un collégien en difficulté, il peut être confronté à une douzaine de dispositifs, structures, classes, opérations, activités (13)…

Les établissements dénomment groupes une profusion de tri des élèves en fonctions de processus administratifs, d’opérations techniques, de sélections dépréciatives… dont les objectifs sont parfois équivoques. Ainsi, l’agglutination d’élèves en difficulté constitue une amélioration ergonomique pour les enseignants qui n’ont plus à porter le poids de quelques traînards dans une classe traditionnelle. Mais, s’agit-il réellement d’un mode opératoire permettant réparation scolaire efficiente des élèves ainsi regroupés ?

Maelström

Un élève en échec n’adhère pas facilement à son transfert (même temporaire) dans un groupe de remédiation. Il nourrit une grande défiance à l’encontre des structures palliatives et compassionnelles dans lesquelles on l’affecte pour son bien contre son gré. Il perçoit rarement comme un avantage le fait d’être retiré de son cursus actuel (naturel) pour rejoindre de nouveaux pairs détachés comme lui à cause de leurs défaillances. L’impression de bannissement est prégnante et l’élève concerné garde un attachement fort pour la classe précédente où pourtant il échouait.

Les territoires scolaires connus pour leur population en difficulté génèrent un maelström de groupes qui admettent deux grandes catégories de mauvais élèves. Dans la première, il y a ceux dont l’école sait traiter la situation soit par une coercition simpliste ; soit par des techniques de soutien classique. Les individus retenus doivent avoir des difficultés solubles dans les méthodes conventionnelles (voire désuètes) : reprise en mains, contrat éducatif, cours particuliers, révisions ou tout autre forme de suivi, accompagnement, tutorat ou coaching…

Dans la seconde catégorie des élèves en difficulté, on trouve les mistigris. Il s’agit de ceux que l’école ne sait pas aider et qu’elle fait sous-traiter par des tiers : essentiellement la médecine et l’entreprise. Par exemple, une prise en charge médicalisée de l’absentéisme lourd (décrochage), le promet en phobie scolaire. Cette approche permet à l’école de se dessaisir de la question des décrocheurs au motif qu’ils ne relèvent pas de l’enseignement mais du soin.

Groupe en vie

Jean-Michel Baude (14) explique que dans un groupe en vie chaque élève et chaque enseignant est amené, à faire valider ses demandes à l’aune de celles des autres. Le groupe régule les attentes, les désirs, les besoins, les difficultés, le comportement de chacun….Dans l’enseignement standard, le groupe n’est pas envisagé comme une réalité agissante grâce aux interactions des individus entre eux et à la fonction du collectif dans l’édification de la personnalité.

La prise en considération de la vie de groupe à l’école semble réservée aux méthodes réparatrices et à l’éducation spécialisée. Dans ces domaines restreints, la vie du groupe n’est d’ailleurs pas une fin en soi. Elle est un vecteur qui permet d’augmenter le niveau de savoir, de savoir-faire, de savoir-être en confrontant les élèves à un vécu collaboratif socialisant.

Bien plus qu’une commodité organisationnelle la vie de groupe est une substance éducative d’une rare densité. Le collectif devient une instance d’implication, de mutualisation, de communication, de débat et même de polémique ou de conflit. Les élèves peuvent compter les uns sur les autres ainsi que sur leurs professeurs.

Gilbert Longhi

Notes :

1 https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_404585/les-groupes-de-besoin

2 Académie de Montpellier. www.crdp-montpellier.fr/ressources/memoires/memoires/2004/b/2/04b2013/04b2013.pdf (14 janvier 2006).

3 http://publimath.irem.univ-mrs.fr/biblio/IPI96005.htm (14 janvier 2006).

4 www.eduscol.education.fr/D0056/EXP-lvlycée.pdf (14 janvier 2006).

5 www.ifc.cfwb.be.defaut.asp?pagetg=viewform05&id=320505 (19 juillet 2006).

6 www.cdsl.qc/pedagogie.suivi.html (19 juillet 2006).

7 http://web.upmf-grenoble.fr/sciedu/pdessus.sapea.socialisation.html (19 juillet 2006).

8 http://lyc-henri4.scola.ac-paris.fr/lycee/prepas/prepaPre.htm (28 mai 2006).

9 http://arcours-diversifies.scola.ac-paris.fr/manuel/formation/centre.htm (28 mai 2006).

10 http://français.creteil.iufm.fr/memoires/bucquet.html Comment gérer la classe par des rituels maîtrisés. Claire Bucquet, 2004. (27 mai 2006).

11 www.cafepedagogique.net/dossiers/violence/barrere.php (28 mai 2007).

12 Cf. Supra Jacques Pain.

13 Dispositifs d’aide, d’accompagnement et de prévention du décrochage scolaire : accompagnement éducatif ; accompagnement personnalisé en 6e ; PPRE (programmes personnalisés de réussite éducative) ; IDD (itinéraires de découverte) ; dispositifs relais (classes, ateliers) ; internats de réussite éducative ; PIIODMEP (parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel) ; option découverte professionnelle 3 h en troisième (3e DP3) ; classe de 3e préparatoire aux formations professionnelles (prépa pro) ; DIMA (dispositif d’initiation aux métiers en alternance) ; CIPPA (cycles d’insertion professionnelle par alternance)… http://www.esen.education.fr/fr École supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche

14 Jean-Michel Baude. Vie collective. Théories et pratiques sociale. Vuibert Éditeur. 19/03/2007. EAN13 : 9782711719884